dimanche 21 septembre 2014

Sans titre

(Thème : La photo)

 
Trois mois plus tôt :

Je marchais dans les rues clairsemées de la ville en suspens. L’automne donne toujours cette impression d’interruption. Un peu comme si la vie cessait de créer pour enfin un peu respirer elle aussi. La nature se meurt peu à peu, les feuilles aux couleurs agonisantes jonchent le sol et s’effritent à la première foulée. Le soleil décline rapidement à l’horizon, peignant le monde d’or. Je souris sans m’en rendre compte, une douce chaleur palpite à l’intérieur de moi. C’est comme une journée à la plage, où le soleil tape fort et que le vent vient caresser ta peau. J’ai envie de courir dans les feuilles, d’éclater de rire que pour l’entendre raisonner, tel la joie qui circule dans mes veines. Mes cheveux couleur fauve rebondissent sur mes épaules à chaque pas que je fais et qui me rapproche de ma maison. Un bonheur si simple, si tendre, une vie plus calme et sereine. Mon bonheur ne se résume pas à grand-chose et pourtant, je le sublime d’étincelles argentées.

Je tourne le coin de notre rue quand mon téléphone sonne. Ton nom s’affiche sur l’écran bleu. Un bonheur si simple.

-Bonjour chéri, comment vas-tu ?

-Anellysse, écoute-moi, c’est important.

Les paillettes d’or dans le ciel s’assombrissent, des nuages d’un gris froid s’amoncèlent dangereusement au-dessus de ma tête. Mon bonheur se fige sur mon visage. Le ton de ta voix est si loin des notes grave habituelles. Je me fige au beau milieu de la rue le cœur affolé, les doigts crispés sur le téléphone.

-Anellysse, ne vient pas à la maison. Je ne veux pas que tu rentres. Rebrousse chemin et va chez ta sœur. Je ferai expédier ses effets là-bas !

-Mes effets ? Que je répète bêtement d’une voix atone.

-Anely, ne joue pas les idiotes avec moi. Si tu t’approches de ma maison, j’appelle la police.

Je me retiens de répéter encore une fois sa dernière phrase. La police ? Mes effets ? Ma sœur ? Que me raconte-t-il là ? Je serre les dents avec une telle force, que j’en ai mal. Je ne comprends rien à ce qu’il me raconte. On dirait une mauvaise blague. Je déglutis péniblement et me force à avancer. Ce n’est pas sa maison, c’est la nôtre.

-Anely, gronde mon fiancé que je ne reconnais pas, ne fais pas un pas de plus.

Je réalise qu’il doit être à la fenêtre et qu’il m’aperçoit au milieu de la rue. Je refuse de l’écouter, il ne sait pas ce qu’il dit, il est certainement en danger. Pourquoi ne voudrait-il plus de moi ? Cela n’a aucun sens. J’avance, titubante, comme si j’avais ingurgité des litres de champagne. Je renifle bruyamment refusant de laisser libre ma peine. Elle ne peut pas exister puisque tout ceci est un malentendu. Je suis presque devant le jardin quand je le vois sortir comme un diable le téléphone à la main. Je suis saisi d’effroi.

-Anelysse, n’écoutes-tu jamais ce que l’on te dit ?

Sa voix glaciale me douche sur place. Les bras ballant, j’en échappe mon téléphone qui fait trois bonds dans l’herbe constellé de rosée. Tout ceci est un rêve. Cela ne peut pas être vrai. Hier encore, nous nous enlacions. Nous avions des projets. Qui est cet homme ? Il fait deux pas vers moi, le regard menaçant, je ne peux pas bouger. Je suis tétanisé d’angoisse. Le ciel se strie d’éclairs blancs. Mon monde se fendille peu à peu. Ce ne peut être vrai. Des images défilent dans ma tête, lui, dans la chambre, son corps superbe, sa longue chevelure blonde, les draps de satin verts. Quelque chose cloche pourtant dans ce décor si familier. Du sang, partout, du sang vermeil, liquide improbable. Je secoue la tête en hurlant. William fonce sur moi et plaque une main sur ma bouche. Ses yeux couleur azurés me glace le sang. Sa poigne est forte et je panique.

-Écoute bien Anelysse, j’ai été sympa avec toi, mais il faut que tu arrêtes de venir ici. Ce n’est plus chez-toi. J’aurais pu te faire emprisonner pour ce que tu as fait, mais je t’ai laissé une chance car je t’aime bien et je savais que tu n’allais pas bien. Mais je ne pourrai rien pour toi si tu persiste à revenir.

Sa voix est si lointaine, si désincarnée de celle que je connais. Il raconte un tas de sottises. Je vie ici.

-C’est notre maison William, pourquoi te mets tu dans cet état ?

Le son de ma voix dépose dans ses yeux une lueur embuée. Il me relâche et me tends un papier. Je secoue la tête et recule. Je refuse de le prendre, ceci détruira ma vie, je ne veux pas le lire. Il m’attrape le bras et le fourre dans mes mains puis s’éloigne lentement. À la fenêtre, un rideau est tiré, j’entrevois une main aux longs doigts féminins. Dans un éclair, j’aperçois la bague qui brille de mille feux.

Un sacrilège.

Une longue plainte inhumaine s’échappe de mes lèvres. Tel un animal blessé, je tombe à genou et un torrent de larmes secoue mon corps prostré. Doucement, une fine pluie se déverse des nuages trop plein et vient délaver le papier que William m’a remis. On peut y lire une restriction de la cour à mon nom. Je n’ai pas le droit de l’approcher. J’ignore combien de temps s’écoule avant qu’ils finissent par arriver. Un voisin les a alertés. J’entends des mots, sans pouvoir en faire des phrases, comme si j'étais dans un brouillard épais. Maladie, héréditaire, suicide, fiancé, dépression, puis, la voix si semblable à celui que j'ai tant aimé, qui explique à un policier : 


-J'étais le frère de William. Anelysse me confond avec lui depuis sa mort.

À ce dernier mot, quelque chose en moi se brise. Mon cœur s’éteint lentement. Devenant molle soudainement, l’ambulancier qui me soutient manque de me laisser tomber. Mais ça n’a plus d’importance, car je me souviens. Ce soir-là, quand je suis rentrée avec à la main, une note inscrite d’un médecin qui confirmait que j’étais bel et bien enceinte. Mes pas qui me guident jusqu’à la chambre et mon haut le cœur à la vision du sang, partout. William mort, la cervelle en bouilli sur le mur décoré de papier peint qu’on avait choisi ensemble. D’un geste désespéré et incompréhensible, il avait détruit notre bel avenir. Et tandis que l’on roule vers l’inconnu, je sais que jamais plus je ne pourrai rire à nouveau.

Aujourd’hui :

Tout s’en est allé, la musique qui nous unissais autrefois, le rire que nous partagions, l’amour qui nous aveuglait. Je t’ai tant aimé, comment cela a-t’ il put nous arriver ?
Tu m’as tout pris, il ne reste plus de moi, que la lente agonie. Que des notes désordonnées, qui hurlent en écho sourd dans le silence de l’éternité. Je m’entends encore, supplier tes yeux froids. Les murs blancs sont étroits, il n’y a pas de fenêtre. Ils ont dit que c’était pour ma sécurité, pour la sécurité de l’enfant que je porte. Mais je n’en veux pas. Alors ils m’ont attaché. Je suis comme cette femme sur le tableau de ma chambre. Nue et seule au milieu de l’infini. Au milieu de nulle part.

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