mercredi 27 août 2014

L'Arc-en-Ciel

C’était une nuit étrange dans une ville sans nom. La lune d’un rouge pur n’augurait rien de bon. C’était la nuit de tous les vices. Elle était là, tapie dans un recoin, silhouette fine, élancée mais brisée. Brisée à l’intérieure, prisonnière de sa vie. C’était une nuit qui aurait pu être normale si ce n’avait été de se signe astrale, gigantesque forme circulaire brillant sur ce tableau charbonneux. Il n’y avait plus personne, à cette heure avancée, dans les rues pavées de paillettes argentées. Le vent mugissait, apportant avec lui des promesses de mort. Pas la sienne. La jeune fille se releva avec agilité. Elle avait entendu le signal. Un fin sifflement, un peu comme celui de cet oiseau rare, aux plumages violets. Elle sourit, grimace grotesque sur ce visage juvénile. Une enfant dans un corps d’adulte. Désabusée.

Elle se dirige d’un pas lent, mesuré, rythmé vers sa destination, vers son paiement. Elle dansait jadis, avant que la nuit ne la trouve et la prenne. Devant elle, s’ouvre la baie. Magnifique et tumultueuse, robe d’un indigo profond. Couleur de ses prunelles. Autrefois, elles étaient vertes, comme les pierres précieuses. On lui répétait constamment que ses yeux étaient ensorcelants. Qu’elle allait réussir, que sa beauté lui ouvrirait les portes d’un avenir doré. Aujourd’hui, on ne peut plus y discerner la flamme de sa vie d’antan. Ce n’est que deux trous sans fond, ce n’est que l’expression de ce qu’elle n’est plus. Ne sera plus jamais.

Le sifflement reprend. Elle se dirige vers ce son peu commun. Elle seule peut le percevoir, elle est entraînée à cet effet. Tant de jours à l’écouter, jusqu’à la folie, jusqu’à l’aiguisement de se sens en particulier. On lui avait répéter tant de fois, que ses yeux ne servaient à rien, que c’était ses oreilles qui lui étaient le plus précieuses. Avec elles, ou plutôt, grâce à elles, elle survivrait si elle prouvait qu’elle était forte. Elle l’était. Plus qu’ils l’avaient espéré. Alors il l’avait adjugé dans leurs rangs serrés et secrets.

Tout en avançant vers le lieu de rencontre, elle serre dans sa main le petit poignard qu’elle a toujours sur elle. C’est son arme, l’extension d’elle-même, de ce qu’elle est. Il a été forgé à même son essence de vie; La couleur de son aura ; jaune. Elle redresse les épaules et lève son regard aux reflets bleutés vers ce ciel, immense et infini. Elle inspira profondément. Le vent la brutalise, lui renvoi constamment ses mèches d’un orange brûlé à la figure. Dans le ciel, une étoile, improbable lueur, se met à scintiller. Un souvenir fugace pulvérise sont apparente sérénité, révélant une image beaucoup plus douce que celle qu’elle laissait paraître.

L’adolescente refait surface, l’espace d’un moment éphémère. Éternité d’un instant si vite consumé. Tout disparait alors : La société qui l’engage pour tuer en échange d’or et d’anonymat, la nuit avec sa lune rouge, le sifflement sinistre, mélodie macabre d’un être vivant pour qui son arrêt de mort vient d’être signé. Elle se balance d’un pied à un autre. Hésite. Ça ne lui ait jamais arrivé depuis qu’elle est l’une des leurs. Le sifflement se perd dans les méandres du vent, dans les débris de ce qu’elle refuse d’évoquer. Elle se secoue, comme un animal qui sort de l’eau. Elle essaye de se remettre les idées en place. Elle créer un mur, pierre après pierre autour d’elle.

Elle tend l’oreille, le sifflement revient, plus fort et plus percutant qu’auparavant. C’est un ordre. Elle court pour ne plus penser. Elle court pour effacer sa faiblesse, pour endiguer le flot de larme bleue qui menace de couler.

Essoufflé, elle arrive enfin à l’endroit désigné. Une église. Devant celle-ci, sur les marches, un homme au pantalon déchiré et à la veste brûlée. Un sans-domicile, un sans papier, un rejet de la société. Un débris. Malheureusement, dans cette ville, on ne tolère pas un tel affront. Ici, la beauté est reine. Elle s’étend à des kilomètres, respire son opulence et ses couleurs chatoyantes. On ne pénètre pas aisément les portes forgées dans l’or, mais parfois, des individus intrépides, des contestateurs, des imbéciles s’y risquent. Je suis alors mandaté à me débarrasser de ses êtres qui n’ont pas su comprendre ce qu’était cette ville. Car seul son nom est éclatant. À l’Arc-en-Ciel, il y a peut-être la beauté, mais c’est du brouillard pour vous attirer ici et vous dépouiller de ce que vous avez. De la cendre maquillée en neige.

Soyez vigilant ! De votre essence vitale aux mille couleurs, je peindrai la ville pour la rendre toujours plus belle.