mercredi 27 juin 2018

La mort en sandale



-Ha, bravo ! Tu es fière de toi à présent ?

Je baisse les yeux, contrite.

-Ce n'est pas tout à fait ce que je pensais qu'il allait se passer, tu sais.

-Penser, penser, personne ne t'a demander de penser, il fallait juste exécuter.

Elle me fixe, furieuse. Bon, c'est vrai, j'ai peut-être manqué un peu de pragmatisme sur ce coup. En même temps, on ne m'avait pas dit qu'un corps pouvait peser si lourd. Avoir su, je n'aurais pas mis mes tongs. 

-Alors, tu vas te bouger, oui ou non ?

-Je fais ce que je peux, je te signale. Ces chaussures me font un mal de chien.

Je jette un regard à mes pieds et laisse échapper un cri strident qui se réverbère sur les murs. À mes côtés, Chastity sursaute violemment et laisse tomber le corps qui fait un “ploc” sourd en s’échouant au sol.

-Bon dieu, Lana, qu’est-ce qui te prend de hurler comme ça ?

-Du sang, dis-je, dans un filet de voix, les yeux exorbités et le teint pâle, j’en suis certaine.

Chastity soupire bruyamment. Je la vois se masser l’arrête du nez. Elle inspire lentement et ouvre les yeux.

-Où ça ?

Son ton calme ne me trompe pas. Je la sens exaspérée. Je ne comprends pas pourquoi.

-Là, dis-je en pointant mon pied droit. La courroie de la sandale m’a pété le pied, je vais les tacher et elles m’ont coûtées trois cent balles….

Une larme perle au coin de mes yeux.

-Ça ? S’écrit Chastity. Tu as payé ça, trois cent dollars, mais tu es folle, ma parole. Ce n’est que du plastique blanc avec une fleur de tournesol sur le dessus.

-C’est une rose, en fait, pour la sortie du film…

-Je m’en fiche, me coupe-t-elle brusquement. Tu as quand même claqué trois cent balle pour du plastoc…

-Bien… Pour être tout à fait franche avec toi, je ne les ai pas encore payées. Je comptais sur ce boulot pour me rapporter de l’argent vite fait bien fait.

Je lui souris de toutes mes dents pour essayer de cacher le fait qu’on était un peu dans la bouse de chats si on n'arrivait pas à déplacer le corps de cette foutue salle de bain.

-Et tu t’es dit que c’était une bonne idée de les essayer aujourd’hui ? Spécialement aujourd’hui, pour exécuter ce boulot qui justement, est censé les payer ? Tu as eu toute seule cette magnifique, cette brillante idée, ou tu as été aidé par quelqu’un ?

-Bah, oui ! Si je ne les aime pas, je veux pouvoir les rapporter au magasin. Tu crois que je vais garder des tongs que parce qu’elles sont désignés par Louboutin ?

Chastity lève les yeux au ciel et soupire à nouveau.

-Bon.

Je souris, une fois de plus, de toutes mes dents. Je me sens comme l’âne dans Shrek. L’air frais, de la ventilation me fait mal aux gencives. Je salive abondamment, mais garde la pose fièrement. Ça va marcher.

-Est-ce que tu peux marcher ?

-Non !

-LANA !

Je souris derechef. C’est mal barré, je le sens.

-Enlève tes putains de chaussure et tu vas y aller pieds nus. On a plus le temps de tergiverser, on est déjà plus qu’en retard sur le planning. Le corps doit être dans le jardin à dix-neuf heures et il est plus de dix-huit heures trente. Je te rappelle que c’était TON idée.

-Je pensais que ça allait être marrant… Toi, moi, un petit boulot rapido, presto, qui rapporte un beau montant…

-Tu aurais dû mieux te renseigner sur les conditions de travail… Et demander, surtout, si c'était un homme ou une femme, le cadavre.

-Je ne suis pas certaine que ça aurait fait une grosse différence, dis-je pensive.

-En tongs, clairement ça n’en fait aucune, s’énerve-t-elle.

Je pince les lèvres vexée.

-Bon, je me fiche de comment tu t’y prends, mais on y va. Allez, attrape les pieds, c’est plus simple et facile à transporter.

Je ploie bien les genoux pour attraper les pieds sans me casser le dos.

-J’y crois pas, tu as mis ma petite culotte en dentelle rose ? Ma PRÉFÉRÉE ? Celle avec écrit Bitches sur le derrière ?

-J’ai un rendez-vous, ce soir, après ce boulot, dis-je lentement, et tous mes sous-vêtements sont au sale, que voulais-tu que je fasse ?

Chastity inspire profondément et je vois qu’elle fait un effort pour ne pas exploser. Je ne comprends pas pourquoi elle en fait des tonnes.

-On va en reparler, dit-elle doucement, ce qui me fait dresser les cheveux sur la tête.

Elle se met à avancer à reculons pour sortir de la salle de bain qui est littéralement imprégné de sang sur les murs et le plafond. Pas le mien, malgré la plaie à mon pied. En sortant, elle manœuvre un tournant serré et n’ayant pas la même dextérité qu’elle, la tête se fracasse contre le mur et lui imprègne une légère poc.

-Oups !

Chastity me fusille du regard, mais ne dit rien. Elle poursuit sa route à reculons et je vois des perles de sueur sur son front dû à l'effort qu'elle déploie. Je suis admirative, elle se donne beaucoup. Nous sommes enfin dans l'escalier qui mène au jardin. Nous arrivons au bout de nos peines. Tout se passe bien finalement. Il ne nous reste plus qu'à déposer le corps sur la pelouse au milieu des fleurs et d'un bac à sable. Sincèrement, j'espère que ça ne sera pas là la fillette de huit ans qui sortira la première. Des chances qu'elle soit traumatisé à vie. Chastity lâche notre encombrant paquet et se masse le dos.

-On se casse. Allez Lana, je veux mon fric. Toute suite. 

Nous nous retournons d'un même mouvement et tombons nez à nez avec la femme du défunt. Pendant quelques secondes, nous nous regardons sans rien dire. Puis, je lâche un rire nerveux. C'est à ce moment que la dame se met à beugler plus fort qu’un âne qui ne veut pas avancer.

Et c’est le chaos.

***


-Écoutez, mesdemoiselles, je veux bien faire un effort pour vous aider, mais il va falloir me donner un peu plus de détails et surtout, un bon numéro de téléphone.

À ces mots, Chastity se retourne vers moi, ses yeux gris brillants de colère retenue.

-C’est pas possible, ça, Lana. Combien de numéro de téléphone ce mec t’a laissé ?

-À vu de nez, je dirais une trentaine.

Elle lève les yeux au ciel.

-Et tu ne t’es pas dit que c’était louche ?

Je l’ignore délibérément et me retourne vers le policier.

-Vous pouvez essayer celui-ci ?

Il marmonne dans sa barbe et compose le numéro. Aucun abonné. Je tente un sourire penaud, mais Chastity, visiblement à bout, se lève d’un bond et me saute à la gorge. Dans son énervement, elle nous fait tomber toutes les deux.

-J’en ai marre de toi et de tes sales plans foireux. Comment comptes-tu nous sortir de là, hein ?

J’ouvre la bouche pour protester, mais elle me devance en hurlant :

-Ne dis rien, à cause de toi, on est dans la merde jusqu’au cou…

-Mesdemoiselles, s’interpose le policier. Ça suffit.

Il agrippe une Chastity complètement hystérique et l’éloigne de moi. Je me relève tranquillement et aperçois mon reflet dans la glace. Mes cheveux sont en épis sur ma tête et j’ai des égratignures sur les joues. C’est fini, je ne pourrai jamais aller à mon rencard avec cette tête-là...

-Assoyez-vous toutes les deux et je ne veux plus vous entendre crier sinon, je vous passes les menottes.

Chastity croise les bras sur sa poitrine et détourne la tête.

-Bon. C’est mieux. Maintenant, reprenez tout à zéro. Il y avait ce mec qui vous a proposé de mettre un cadavre dans le jardin…

-Il fallait aussi mettre du sang dans la salle de bain, beaucoup de sang. Vous voyez, il y a deux jours, j’ai vu cette petite annonce dans le journal. Ça disait qu’ils avaient besoin de bras forts pour transporter un corps contre une belle somme. Trois mille dollars, pour être exacte.

Le policier me regarde de haut en bas, puis, fronce les sourcils.

-Et vous avez appelé en vous disant que vous étiez la candidate idéale ?

-Bien sûr.

Chastity renifle avec mépris, mais je décide de ne pas y faire attention.

-J’aime bien jouer des tours…

-Des tours ? Répète platement le policier tout en écrivant sur son calepin.

N’y tenant plus, Chastity explose.

-Oui, des tours, M. le policier. Cette idiote, a crû que ça serait amusant de mettre un cadavre dans le jardin pour faire, faire une crise cardiaque à l’ex du client. Je ne vous raconte pas la mise en scène qu’il fallait exécuter et le panneau qu’on a dû écrire :

-Joyeuse St-Valentin, ma biche.

-Donc, résume le policier, c’était une blague. Une très mauvaise blague. Ce n’est pas un vrai cadavre…

-Oh, mais qu’est-ce que vous croyez, à la fin ? Est-ce qu’on a l’air des tueuses ? Regardez-là, dit ma soeur avec arrogance, vous croyez qu’elle est assez futée pour ça ? Non, bien sûr que non, elle est tout juste bonne à se présenter pour un contrat salissant en tong…

-Oh mon dieu ! Je m’écris tout à coup.

-Qu’est-ce qui se passe, encore ?

-J’ai laissé mes sandales sur les pieds du cadavre…

FIN.

vendredi 4 mai 2018

Il était un flamant

-Non, non, non, mais qu’est-ce que tu as fait ?

Je me mordis la lèvre inférieure et baissé la tête contrite. Du bout de ma chaussure, je fis valser quelques chaussettes.

-Janelle !

Son ton aurait pu couper une feuille de papier. Je soupirai et relevai le menton pour rencontrer le regard assassin de ma soeur. Je forçai un sourire.

-Il est plutôt mignon tu ne trouves pas ?

À ce moment, je pense que si ses yeux avaient eu le pouvoir de tuer, je serais étendu sur le sol, sans vie. Je soupirai à nouveau, plus fort cette fois-ci. Ça commençait à m’agacer toute cette histoire.

-Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? C’est un flamant rose, et puis ?

-C’était mon petit copain, avant ! Hurla-t-elle.

Bon, d’accord, elle a raison. Par contre, je maintiens qu’il est beaucoup plus beau ainsi. Quelle idée avait-elle eu, aussi, de s’enticher d’un Japonais ? Des yeux bridés : beurk ! Une peau jaune : beurk, beurk ! Un petit… Enfin, vous comprenez le principe. Un silence inconfortable plane dans la chambre. Nous regardons toutes les deux l’oiseau qui se nettoie les plumes. Il est plutôt gracieux et grand. Surprenant, on n'aurait pas cru, quand on connaît le spécimen original.

-Est-ce que tu vas arranger ça ?

Non.

-Bien sûr, je réponds platement, seulement, je ne sais pas comment…

C’est vrai. J’ignore même, encore, comment j’ai réussi cet exploit. Changer un humain en oiseau. Ce n’était pas tout à fait ce que j’essayais de faire.

-Mon dieu, s’énerve Sarah, j’ai la soeur la plus incompétente du monde… Mais qu’est-ce que tu essayais de faire, au juste, pour en arriver à cet abruti d’oiseau rose ?

Le dit oiseau, se met alors à piauler et se diriger vers la porte en agitant ses ailes. Au passage, il fait tomber mon cocktail aux ananas. Sale bête !

-Je pensais plutôt à Brad Pitt, pour être honnête, mais j’ai été déconcentrée quand j’ai lancé le sort…

Albert le flamant, oui, son petit ami se prénomme Albert, s’acharne sur la porte avec son bec. Clairement, il a envie de découvrir le monde. Ce n’est pas que je suis contre la liberté des animaux, seulement, je n’ai pas envie de mêler ma voisine de chambre, Patsy, à cette histoire. C’est une chipie, mais surtout, une grande gueule et j’aimerais plutôt que l’épisode du flamant rose reste un secret. Pas que je ne suis pas fière, seulement, je n’ai pas envie d’expliquer le comment du pourquoi il est arrivé là. Il faudrait que je dise à Patsy-je-ne-peux-pas-m’empêcher-de-potiner, que je suis une sorcière. Elle est tellement sensible, tellement exubérante, tellement idiote (oups !), qu’elle serait capable de me demander de voler sur un balai. Franchement, on est en 2018, qui vole encore sur un balai ? C’est tellement 2017. Ça ne serait pas la faute de cette cruche, pardon, Patsy, mais autant éviter ameuter tout l’université pour un si petit problème. Tellement petit qu’il est presque insignifiant. Comme Albert. Justement, le flamant a réussi à percer la porte. Je peste et le rejoins en deux enjambées. Je lui attrape le cou pour essayer de le tirer vers moi, mais il se met à brailler comme un perdu.

-Oh. Mon. Dieu ! S’exclame paniquée ma soeur. Tu vas le tuer ! Laisse-le tranquille !

Il se met alors à secouer la tête dans tous les sens et à la cogner contre la porte. Il fait tellement de foin, que exaspérée, je sors ma baguette magique. Pauvre animal, il faut abréger ses souffrances !

-Janelle, non !

Ma soeur se précipite vers moi en gesticulant.

-Laisse-moi faire avant que tout l’université se ramène dans notre chambre. Tu veux qu’ils sachent que nous pratiquons la magie ?

Au même moment, quelqu’un frappe à la porte. Loin de calmer le malheureux animal, celui-ci se met à couiner de plus belle. Jamais entendu un oiseau faire autant de bruit. On se croirait dans une ménagerie.

-Janelle ? Qu’est-ce que se passe dans ta chambre ? Cri Patsy de l’autre côté de la porte. Est-ce que tout va bien ?

C’est vrai que là, tout suite, on a l’air d’égorger dix chatons en même temps. Je pointe ma baguette sur le flamant braillard et commence mon incantation. Retenir des formules, ce n’est pas mon point fort. J’ai toujours du mal à mettre les mots dans l’ordre. Sarah, désespérée, se met entre l’animal et moi.

-Arrête ça tout suite, tu ne toucheras pas à un de ses cheveux.

-Plumes, tu veux dire ?

-Janelle !

-Sarah !

-Janelle ?

Ça, c’est Patsy. Sa voix recèle une curiosité qui m’indique qu’il ne me reste que quelques secondes avant qu’elle ne réussisse à ouvrir la porte et découvre le pot aux roses. Le pot façon flamant rose. Encombrant comme pot. Trop bruyant aussi. Le niveau de décibel qu’il réussit à produire est stupéfiant et me rend complètement folle. Je n'aurais pas cru ça d’Albert. Je dois mettre un point final à cette mascarade. Si j’ai réussi à l'ensorceler, je peux le défaire, c’est sûr. Facile. Je n’ai qu’à prononcer la formule dans l’autre sens. Je souris. Sarah fait non de la tête. Elle s’accroche à Albert-le-flamant et moi, d’un mouvement parfait du poignet, je jette le sort qui percute l’oiseau de plein fouet. Pendant une fraction de seconde, le temps se suspend. Je vois dans les yeux de ma soeur qu’elle pense que j’ai réussi. Je le crois aussi. Une seconde. Puis, une explosion retentit. Un paquet de plumes roses pleut dans la chambre et mon mur s’asperge de rose y imprégnant un graffiti de flamant. Plutôt réussi, je dois dire. Sarah, tellement stupéfaite, n’arrive pas à articuler un mot. Elle cligne des yeux, la bouche ouverte. Ses magnifiques cheveux roux sont dressés sur sa tête par le souffle de l’explosion. Quelques plumes s’y sont logées. Au même moment, Patsy ouvre la porte.

-Mais qu’est-ce qui se passe ici à la fin ?

Je recraches quelques plumes roses.

-C’est quoi ce cendrier dans ta main ? Tu fumes maintenant ?

Ha ! Tien, c’est bizarre ça. Je n’ai plus ma baguette. Sûrement un contre-coup du sort.

-On refait la déco, je dis.

Elle approuve de la tête.

-Plutôt réussi, mais ton flamant, il a une tête de japonais, non ?

FIN.

samedi 14 avril 2018

Sans titre - Nuit d'écriture

 Le thème est la photo suivante :
Je regarde la carte postale, le coeur serré. Elle représente la vue du ciel à notre premier voyage en avion. J’étais tellement impressionnée et émerveillée. Tous ces nuages qui flottaient autour de nous, sa main dans la mienne, son sourire détendu, presque coquin.

«-Suis-moi !

Son regard en dit long sur ses intentions et je me sens rougir. Mon coeur palpite d’un rythme effréné dans ma poitrine. Impossible de faire ça dans un espace aussi clos. Il y a beaucoup trop de gens. Puis, c’est tellement cliché de s’envoyer en l’air… Dans les airs. Je le frappe sur l’épaule et ricane pour cacher mon malaise. Il me prend le menton et plonge ses yeux gris, brillant et aimant dans les miens.

-Allez, Mélie, personne ne le saura, chuchote-t-il doucement.

Il caresse doucement ma main de son pouce. J’ai des papillons dans le ventre. Jamais je n’ai ressenti un truc pareil. En même temps, ma vie n’a pas encore été très longue. Seize printemps. Ce voyage, est un voyage scolaire, mais pour une raison inconnue, nous avons été surclassés, lui et moi, et nous nous retrouvons donc seul, en avant de l’avion, tandis que les autres sont tout à l’arrière.

-Vas-y, je te rejoins.

Il sourit et tout à coup, je n’ai plus peur. L’excitation prend le dessus et je me lève. Lentement, je passe devant lui et je le regarde intensément. Longtemps après, je sens toujours son regard brûlant dans mon dos. »


Ça avait été un premier baptême de l’air réussi, tout comme nos fiançailles, deux ans plus tard. Nous avons terminé l’école et nous nous sommes inscrits à la même université. Les gens parlaient, prédisaient que notre relation ne tiendrait pas la route. Un amour de jeunesse, seulement. Comme si le fait de n’avoir que dix-huit ans nous empêchait de construire une vie commune. Nos expériences et nos premières fois, nous les vivions ensemble et ce n’était pas toujours parfait. Ce n’était pas un conte de fées.

«-Mélie, c’est toi ?

Je peste en entendant sa voix sèche. Il n’est pas couché, comme je l’avais cru. Je me souviens alors qu’il a un énorme examen demain à l’université. Je soupire, agacée.

-Oui, je me change et je viens te rejoindre.

Je bataille à essayer d’enlever mes bottes et je l’entends se lever pour venir me rejoindre. Je grogne de plus belle.

-Tu sais qu’elle heure, il est ? M’attaque-t-il.

-Deux heures du matin. Je réponds sur le même ton.

Je sautille pour essayer d’enlever cette fichue botte, mais mon équilibre est précaire et je me retrouve dans ses bras. Sans pouvoir me retenir, je m’esclaffe.

-Tu n’es pas sérieuse Mélie. Si tu continue comme ça, tu vas ruiner ta session.

Je réussis enfin à enlever ma chaussure et je lève la tête pour le regarder. Ses yeux gris sont plus foncés qu’à l’habitude. L’orage gronde.

-Laisse-moi respirer un peu. Tu n’es pas mon père, que je sache. Je fais ce que je veux.

Je croise mes bras sous mes seins et je sens qu’il fulmine.

-Tu en aurais bien besoin d’un pour qu’il te donne une fessé. Tu ne fais que boire et rentrer tard ces derniers temps. Tu es en train de mettre ton avenir en jeu et la mienne par la même occasion.

-Si ça te déplaît tant, tu n’as qu’à prendre tes choses et disparaître de ma chambre.

J’en ai plus qu’assez de discuter avec lui. J’ai juste envie qu’il disparaisse de ma vue pour que je puisse aller me coucher et espérer que la pièce cesse de tourner comme un manège de foire.

-C’est ça que tu veux ? Cri-t'il.

-Oui ! Je réplique sur le même ton. Tu me fais chier à être constamment sur mon dos. J’ai pas besoin que tu me surveilles, je suis une adulte maintenant.

-Bah ! On ne dirait pas, aux décisions que tu prends, ma grande !

Son ton est complaisant et dédaigneux. Nous nous fixons quelques instants du regard et finalement, j’ouvre grande la porte de l’entrée et lui fait signe de dégager. Il serre la mâchoire et son regard devient aussi noir que les soirs de tempêtes. Il retourne dans la cuisine prendre ses effets scolaires et revient comme une furie devant moi :

-T’es qu’une connasse, Mélie !

-Vos gueules ! Hurle quelqu’un dans le couloir. On essaye de dormir.

Je lui fais un doigt d’honneur et claque la porte dans un bruit fracassant.

Ce soir-là, j’ai vomi bien plus que de l’alcool dans les toilettes. »


On a fini par se réconcilier. C’était souvent comme ça, on avait des chicanes violentes. De celles qui font peur, qui brisent des souvenirs, qui déchirent un peu plus de notre amour. Mais nous avions quelque chose en plus. Cet amour, justement, était infini et fort. Il a et a toujours été plus grand et plus solide que nous. Il est notre plus grande faiblesse et notre plus grande force à la fois. Il y a peu de temps que nous arrivons à le canaliser. C’est vrai, nous sommes encore très jeunes. Je vais avoir vingt-sept ans. Bientôt. Il a terminé l’université, mais moi. C’est ce que je voulais. Je me sens plus libre ainsi, plus épanouie. J’arrive à mieux gérer mon tempérament. Chaque jour, nous bâtissons notre route et chaque jour, nous sommes un peu plus heureux. Nous apprécions les petites choses et nous rêvons des grandes. Nous nous battons à devenir des gens meilleurs. Tous les jours. Ça aurait dû être suffisant pour nous préserver et pourtant...

Je serre la carte postale contre moi. Il y a des murmures derrière moi. Je les avais presque oubliés. C’est tout ce à quoi j’ai pu penser. Cette photo de notre premier voyage. Je la dépose délicatement sur le satin froid. Je serre la boîte à m’en blanchir les jointures, à m’en briser les ongles. C’est arrivé si vite. Je n’ai pas eu le temps de comprendre, pas eu le temps de reprendre mon souffle. Il n’y a pas eu d’au revoir. Ça été foudroyant. À notre image. Je déglutis et lisse ma robe noire de mes paumes moites. Je le regarde comme je l’ai jamais regardé. C’est notre dernier instant. J’inspire profondément. Je ferme les yeux et je nous revois dans cet avion. Complice. Je me souviendrai de ça.

Les gens disaient que la jeunesse aurait raison de notre relation. Ils avaient tort. Ce n’est pas la jeunesse qui nous a désunis.

C’est la mort.

FIN.

lundi 19 mars 2018

In Memories

Le grondement du ruisseau est assourdissant. Il couvre le piaillement des oiseaux, le vent dans les feuilles. Pourtant, derrière le rugissement de l’eau, on distingue un bruit. Comme une distorsion. Une brèche dans ce vacarme naturel. Ce bruit est en dissonance avec les autres. Il est irrégulier. Comme un battement de coeur, comme un appel. Un hurlement muet.

Si faible…


***
 
-Allez Amélia, il reste encore trente minutes avant la reprise des cours. Ça va être cool.

-J’sais pas trop, il fait froid.

-Come on !

Gabriel me donne un léger coup de poing sur l’épaule et je chancelle légèrement.

-Ça va te réchauffer… Dit-il, malicieux.

Ses yeux pétillent d’excitation et d'anticipation. Roxanne sourit pour m’encourager. Pourquoi pas après tout ? Mon cours de mathématique me semblera moins pénible. Puis, ce n’est que pour rigoler. Tout le monde le fait, je le sais. J’ai déjà vu David arriver en classe en titubant. Il avait du mal à rester droit pendant le cours et il ne cessait de pouffer de rire. Le prof avait fini par le sortir et il avait eu une retenue. Je crois que je saurai mieux m’en sortir. Je ferai attention. Puis, je n’ai pas envie d’être la reloue de service.

-D’accord, allons-y !

-Ha ! Tu es génial, Amé.

Gabriel ébouriffe mes cheveux et je sens mon coeur faire une loupe dans ma poitrine. Je tousse pour masquer ma gêne. Depuis quelques temps, j’ai remarqué que Gabriel avait changé. Pourtant, je le connais depuis trois ans, mais il y a peu, il m’est apparu sous un nouveau jour. Plus grand, plus musclé, plus drôle, plus... beau. Il a cette lueur dans ses yeux gris qui me transperce chaque fois qu’il me regarde. Comme si j'étais là septième merveilles du monde. Je n'ai jamais ressenti cela auparavant. Cette chaleur au creux de mon ventre. Ce chatouillement, comme si l'aile d'un papillon m’effleurait doucement. J'ai envie de le voir. Tout le temps.

Chaque fois qu'il me touche, un courant électrique traverse mon corps et des frissons apparaissent sur mes bras. J'ignore ce que tout cela signifie, je n'ai jamais rien ressenti de tel auparavant. Comme si le fait d'avoir quatorze ans m'avait propulsé dans un autre univers. Un monde de sensations nouvelles. Ce n'est pas désagréable, loin de là. C'est seulement déroutant. Avant je ne me préoccupais pas de mon apparence, mais à présent je suis constamment à replacer les mèches de ma longue chevelure brune que je trouve terne. D'ailleurs, je dois penser à prendre rendez-vous chez le coiffeur pour mettre un peu de pep là-dedans. J'ai envie que Gabriel me trouve jolie. Je souris à cette pensée et Roxanne me donne un coup de coude. Elle se penche à mon oreille et chuchote :

-Il est plutôt mignon Gabriel, tu trouves pas ? Je pense qu'il t'aime bien. Il va surement t'inviter au bal de fin d'année.

-Qu'est-ce que vous marmonner toutes les deux ? Demande Alice, suspicieuse.

-C’pas de tes affaires. C'est entre ma meilleure amie et moi.

Elle me prend le bras et continuant à murmurer, elle me dit :

-Si jamais vous allez plus loin que les préliminaires, tu me le dira, hein ? J'aimerais tellement savoir c'est comment le sexe.

À ce mot, comme s'il avait pu entendre, Gabriel se retourne vers moi et je sens mes joues rougir violemment. La chaleur se répand dans tout mon corps et m'embrasse. J'ai la sensation d'être une torche vivante qui va se consumer sur place. J'ai besoin d'air frais et vite.

-Alors, on y va ? Dis-je pour cacher mon embarras.

Notre petit groupe se met en branle et je fusille Roxanne du regard. Elle me sourit, l'air innocent. Je la vois prendre son téléphone et quelques secondes après, la sonnerie du mien se fait entendre. Je regarde son message s'afficher sur l'écran.

-Je suis sérieuse, je veux tous les détails croustillants.

Je lui envoie une smiley qui tire la langue et ferme mon téléphone. Nous nous dirigeons vers l'arrière de l'école, près du bois. La journée est plutôt clémente pour un mois de février, mais comme je n'ai que mon blouson par-dessus mon uniforme, je frissonne légèrement. J'entends le bruit d'une canette qu'on ouvre et Gabriel s'avance vers moi et me tend le breuvage alcoolisé.

-Ca t'aidera à te réchauffer...

Il me fait un clin d'œil et un sourire se dessine sur ses lèvres faisant apparaître une fossette sur sa joue droite. Je bois une longue gorgé pour me donner une contenance. Le liquide est tellement sucré que je détecte à peine le goût de l'alcool. C'est plutôt bon et les couleurs criardes de la canette sont chouettes. Elle me fait penser au baume à lèvres de chez Maybelline, les Babylips. Nous arrivons dans une clairière et nous prenons place sur des roches plates. Alice sort d’autres canettes de bières de son sac à dos et les distribuent à chacun de nous. Ayant déjà terminé celle que Gabriel m’a offerte, j’en accepte une autre. J’apprécie la sensation de chaleur et de détente que je ressens au fur et à mesure que je bois la boisson. Roxanne est assise près de moi et a posée sa tête sur mon épaule. Gabriel, l’air ailleur, caresse lentement ma paume de son pouce. Je ferme les yeux pour laisser le soleil caresser mon visage. Plus je m’enivre, plus je me sens en paix. Quelques minutes s’écoulent pendant lesquelles nous restons ainsi à ne rien dire, à savourer nos bières et le moment d’être ensemble avant de devoir retourner en classe. Au loin, un oiseau cri.


***
 
Ils piétinent les feuilles mortes, laissant des empreintes de semelle sur la neige mouillée. Traces éphémères qui mourra avec le soleil de demain. Les branches des arbres nues dansent sous l'assaut du vent. Ils ajustent écharpes et capuchons. Leurs yeux expriment ce que les mots ne peuvent pas dire. Ils n'entendent pas. Son coeur fait : boum…..boum…………….boum. lent, tellement lent.

Elle a les yeux clos. Elle rêve au printemps.

Le ruisseau pleure.


***
 
Ma vision est brouillé, comme si quelqu'un avait mis un voile devant mes yeux. Mon corps est engourdi par l'alcool. J'ai le fou rire, mais j'ignore ce qui me fait tant rigoler. Mes amis se lèvent et ramasse les vestiges de cette petite beuverie. Je les imite, mais tout à coup le monde est devenu un carrousel de fête foraine. Je chancelle dangereusement, mais Gabriel, me retiens par le coude.

-Est-ce que tu vas bien, Amélia ?

L'inquiétude perce dans sa voix.

-Ça va… C'est simplement que les arbres semblent danser la saramba.

Gabriel raffermit sa prise pour m'aider à tenir debout. Je lui en suis reconnaissante. Je ferme les yeux quelques secondes pour tenter de calmer mon tourni.

-Allez, on s'active tout le monde, sinon on va être en retard pour nos cours.

Alice prend la tête de notre petit groupe et ouvre la marche sur le chemin du retour. Nous n'avons pas fait dix pas que tout ce que j'ai ingurgité fait pression sur ma vessie. Je ne pourrai jamais attendre jusqu'à notre arrivée à l'école.

-Partez sans moi, je dois…. Je dois aller faire pipi…

-Tu rigole ? S'écrie Alice. Ça ne peut pas attendre ?

-Amélia, fait un effort m’implore Roxanne. On est presque arrivé.

-Ne m'attendez pas, Je vous rejoins après.

-Je vais rester avec toi dit Gabriel de sa voix douce. Partez devant, vous autres.

Mon cœur s'emballe à nouveau. Il est si attentionné, ça me rend heureuse. Cependant je ne peux pas le laisser avoir une retenu par ma faute, ça serait injuste.

-Je te remercie Gabriel, mais ça me gêne trop si tu reste là.

-Tu es certaine ?

Il semble hésiter.

-Mais oui, ne t’inquiète pas. C’est l’affaire de quelques secondes. Si j’ai de la chance, j’arriverai à temps.

-Moi, je me casse. Je n’ai pas envie d’avoir une autre retenue ce mois-ci, mes parents vont me tuer. Gromelle Alice.

-Amé ?

Roxanne m’interroge du regard.

-Tout va bien, les amis. Dis-je en riant. Je suis à cinq minutes de l’école. Je ne vais pas me perdre.

-On se voit plus tard, alors.

Roxanne me fait signe de la main et trottine derrière Alice pour la rattraper. Gabriel s’approche de moi et lentement, se penche vers mon oreille et chuchote :

-Ne t’avise pas de te geler le derrière dans cette neige.

Il me fait un clin d’oeil et dépose un baiser sur ma joue. Je sens un ras de marré m’envelopper. Il prend ma main, la serre doucement et court rejoindre les autres.

Au creux de ma paume, je sens un bout de papier.


***
 
Tout le monde en parle. Les journalistes à la télévision, les médias sociaux, les journaux… Des reproches silencieux sont formulées. Les remords comblent les silences. Personne ne sait. Tous cherchent. Les arbres inclinent leurs branches nues. Ils voient, mais ils ne savent pas comment le dire. Ils n’ont que le vent pour parler et les gens n’écoutent pas. La chaleur, doucement, s’évapore. Trois jours. Une éternité dans les méandres de ce bois. Tout près, l’eau gronde. Mugit. Un rythme effréné en divergence de ce silence de plus en plus long. Les oiseaux se taisent.

La nature inspire.

***
 
Je regarde le bout de papier et lis ce qui est inscrit.

«Voudrais-tu m’accompagner au bal ?»

Une simple phrase, sans fioriture, écrit à la main, comme dans l’ancien temps. Je souris de plaisir. Mon coeur déborde de joie. Je me sens tellement chanceuse, tellement jolie, tellement forte, à cet instant précis. J’ai l’impression que je pourrais conquérir le monde, que je pourrais sauter dans le vide et voler de ces ailes qui me poussent dans le dos. Le cours de mathématique me semble tout à coup beaucoup plus supportable. Je me dirige vers le ruisseau qui bruisse légèrement. Le boisé est calme. Derrière les nuages, un rayon de soleil éblouissant se fraye un chemin et perce le ciel grisâtre. Pendant une fraction de seconde, le monde devient une gigantesque lumière incandescente.

***

Pendant une fraction de seconde, le temps se suspend. La boucle de la vie s’étire, devient éternelle.

Une fraction de seconde.

***
Amélia, elle expire une dernière fois.



***À la mémoire d’Athena Gervais.

FIN.

mardi 6 février 2018

La vie multicolore





Je creuse la neige à main nue, les doigts gelés, engourdis, le coeur vide. Un trou. Le soleil est bas, bientôt, il mourra dans une finale explosive de pêche et de roses. Je dois me dépêcher, terminer cette besogne avant que le crépuscule, de ses longs tentacules, engloutissent le champ. J’inspire profondément, et l’air glacé pénètre dans mes poumons broyant les vaisseaux sanguins, cristallisant mon coeur . Je me mets à tousser. Il fait si froid et je voudrais être si loin, mais je suis ici, avec toi.

J’ai dessiné des mots sur la neige, des adieux que j’aurais voulu te dire, mais je n’ai pas eu le temps. Ils t’ont arraché à moi sans que je puisse les retenir. J’ai tendu les bras en criant, mais je crois que ma voix était muette. Mon coeur ne l’était pas, mais ils n’ont pas compris. Ils t’ont déposée sur la table, si petite. Je me suis redressée et pourtant, ça me faisait mal, mais pas autant que toi. Ils se sont retournés, leurs visages fermés.

-Restez couché, mademoiselle, vous perdez du sang, on va s’occuper de vous.

Mais qui s’occupait de toi ? Tu sais, il y a un décalque d’une licorne sur le mur blanc. Il y a aussi des arbres, de magnifiques arbres aux branches gorgées de feuilles d’un vert aussi brillant que la mer. Il y a aussi ce plaid tout doux, chaleureux, invitant. Il n’attend plus que les nuits comme celle de ce soir pour t’envelopper et te protéger. Mon amour.

Je les ai vu te fermer les yeux. Je les ai vu t’arracher ce qui restait de ton âme. Tu n’as même pas pu être. Tu étais déjà partie. Ailleurs. Peut-être qu’il y a des tulipes et des pissenlit qui s’évaporent les soirs d’été. Ces journées qui ne finissent plus, qui s’étirent dans le temps, chaudes et éternelles.

Ils ne m’ont pas laissé le choix. Ils ont refusé que je te prenne. Ils ont prétendu que je n’allais pas bien, que j’étais instable. Trop jeune. Tu avais des ailes, elles étaient d’un lilas très soyeux. Je leur ai dit, pour ne pas qu’ils pleurent. Parce que moi, je voulais célébrer le soleil que tu avais placé sur mon coeur et qui l’espace d’une seconde, avait fait pleuvoir des confettis dorés sur ma vie. Ils n’ont pas voulu. Ils t’ont prise et j’ai eu beau hurler, me débattre, briser mes poings, ils t’ont amené là où la lumière ne va jamais. Dans les entrailles de l’hôpital.

J’ai terminé de creuser. Ce n’est rien ce froid comparé au vide qui me submerge depuis que tu es partie. Je t’ai volée. C’est ce qu’ils ont dit, mais tu es à moi. Comment aurais-je pu te voler ? Toi, ma chair de ma chair. J’ai fait du plaid ton linceul et je sais que tu n’auras plus froid. Il ne t’avait même pas recouverte, là-bas. Ici, tu es au chaud. Pour toujours.

J’ai déposé paillettes et souvenirs dans ton cercueil de neige et j’ai murmuré des paroles que le vent m’a dérobées pour les apporter aux oiseaux. Ils se sont envolé, emportant avec eux, mes adieux. Ainsi, ils ne pourraient pas mourir.

Tu es libre.

J’ai marché à sens contraire de ta vie, une ombrelle à la main. Multicolore. Comme toi. Ma fille. Mon amour.

FIN.