vendredi 9 décembre 2016

Les contes à l'envers - La Belle aux bois dormants

Le château était silencieux, un courant d’air glacial le parcourait, faisant frissonner les flammes des bougies allumées. Je montais lentement les marches, hypnotisé par le chant doucereux. Un appel. Non, une mélopée. Ils les avaient tous brûlés, les rouets, et pourtant, je savais qu’un se cachait dans la tour la plus haute du château. 

Le sien. Celui qui m'appelait doucement. 

Je n’avais pas pu me résigner à le regarder partir en fumée. Je refusais les conventions et les quand dira-t-on, mais surtout, je rejetais la malédiction. Oui, cette malédiction qui pèse sur moi depuis mon enfance et dont tout le monde croit que je n’en sais rien. Je ne les contredis pas dans leur croyance. Ils veulent mon bien, mais là est leur erreur. Ils n’ont pas compris, qu’il n’était pas question de moi. 

La vue, de là-haut, est magnifique. La forêt enchantée s’étale sur une bonne partie du royaume et si on regarde bien, on peut distinguer le scintillement des fées. Quand j’étais plus jeune, elles venaient la nuit embrasser ma joue et veiller sur mon sommeil. Je ne faisais jamais de cauchemars, grâce à elle et je me sentais choyée, jusqu’à ce qu’une nuit, je surprenne leurs chuchotements. Elles parlaient d’une méchante fée qui terrorisait les habitants et qui était à la recherche d’une princesse aux cheveux blonds et aux yeux bleus. Une princesse qui lui avait volé quelque chose de précieux. C’était la première fois que j’entendais parler d’elle. On la nommait…

Maléfique. 

Cependant, ce n’était pas son réel prénom. On l’avait surnommé ainsi parce qu’elle possédait des ailes noires et un corbeau comme ami. Pourtant, s’ils avaient su… Elle, par contre, l’avait compris et c’est pourquoi elle riait la nuit venue. Les habitants étaient terrorisés par ce rire qu’il qualifiait de démoniaque. Moi, quand j’étais seule, j’ouvrais la fenêtre et dansais sur leurs notes magiques, m’imaginant tenir sa main. C’était ainsi depuis toujours et aujourd’hui, je veux lui offrir un cadeau. Demain, j’aurai seize ans. Je ne suis jamais sorti du château. On a voulu m’envoyer dans une maison isolée dans la forêt, avec trois fées pour seule amie, mais j’ai refusé. Je ne suis pas mourante, je suis maudite, c’est différent. Quoique la malédiction ne donne pas cher de ma vie, mais elle a une faille. 

Elle ne se réalise que par la peur. 

Parfois, je me dis que dormir éternellement, en attente d’un baiser d’un mec que je n’ai jamais vu de ma vie, pourrait être tentant. Je sais que je suis jolie, je suis une princesse et me marier à un prince est ma seule et unique vocation dans la vie. Ça et faire une flopée d’enfants. Je n’ai bien sûr aucune autre ambition et très vite, je vais devenir flasque et ridée alors dormir pour l’éternité et préserver ma beauté à parfois, des côtés plus que tentant. Enfin, ce n’est pas comme s’il avait le choix. C’est pour le meilleur ET pour le pire. 

Je détourne mon regard de la forêt, du ciel noir et des étoiles minuscules qui le font paraître infini. Je souris, mais je me sens triste. Je contemple le rouet. Il semble nimbé d’or, mais ce n’est que le reflet de la lune jaune. 

Qu’un reflet…

-Tu es venue !
-J’ai promis, n’est-ce pas ?
-Oui. As-tu aimé ta vie ?

J’incline la tête de côté, songeuse. Les rayons de lune filtrent dans ma chevelure ambrée. Je me remémore chaque moment et il me semble qu’il manque quelque chose. Un vide au creux de ma poitrine. Je soupire.

-Ce n’était pas ce à quoi j’avais aspirée. Ils m’ont mise en cage, alors que tout ce que je voulais, c’était voler. Leur amour, au lieu de me donner des ailes, m’a étouffé. 

Ils avaient bien essayé de contrer la magie noire en demandant à une fée de l’annuler. Cependant, ils n’avaient pas choisi la fée la plus futée et celle-ci, remplis de bonne volonté, certes, mais pas d’aucun talent, avait fait ricocher le sort dans tout le royaume, touchant chaque habitant présent et ainsi, les frappant à leur tour de la magie de Maléfique. Même les cochons y avaient goûté. Je crois même qu’un rat qui passait par là, a été foudroyé. À mes seize ans, ce n’était pas que moi qui allait m’endormir pour l’éternité, c’était le château au complet. J’étais, déjà, si lourdement handicapé dans ma vie, que mes parents, atterrés, se sont dit qu’être belle et savoir bien chanter, atténuerait l’épée de Damoclès au-dessus de ma tête. Je ne serais pas une vraie princesse, sinon. 

La malédiction les avait changés. À la place de profiter de nous, ils s’étaient terré dans la peur et le désespoir, me privant des jeux et des rires. Ils ne voulaient pas que je meurs par sa main, mais c’était eux, qui m’avait tuée, jour après jour en refusant de me laisser grandir, en brûlant les rouets, au lieu d’affronter la vérité.

-Il est temps.
-Tu crois qu’ils comprendront ?
-Je leur laisserai un indice. 

J’inspire profondément. 

-As-tu peur ?

Je souris franchement. 

-De toi ?

Un rire m’échappe. 

-Même ton rire est mélodieux, chuchote-t-elle. 

-La fée rouge…

Je m’avance lentement vers le rouet. À mes côtés, elle se matérialise. Elle est belle, dommage que personne n’ait jamais pris le temps de la regarder. 

-Il me voit avec les yeux, alors que toi, tu me contemples avec ton coeur répond-t-elle à mes pensées. 
-Je n’ai pas de coeur dis-je doucement.

Ses yeux brillent, j’y vois le manque, mais aussi l’amour. 

-Tu as été une bonne amie, Aurore. 
-Ils m’avaient peut-être enfermé, mais ils ont oublié de jeter la clef. Ils ont aussi oublié que les oiseaux savent chanter…
-Les corbeaux ne chantent pas Aurore.

J’esquisse un sourire indulgent.

-Peut-être ne sais-tu pas écouter ?
-Toucher. 

Elle me prend la main. On pourrait croire que ses doigts sont glacés, mais ce n’est pas le cas. Ils irradient de chaleur. De vie. La mienne. 

Ce que mes parents n’avaient pas saisi, c’est qu’en voulant me séparer de ma soeur, celle qu’ils avaient nommé Maléfique, parce qu’elle avait des ailes noires, ils m’avaient arraché une partie de moi. Mon coeur. Depuis ce temps, je n’étais plus complète. J’étais vide. 

-Nous allons recommencer et je suis certaine que cette fois, on écrira une toute autre histoire lui dis-je pour lui redonner espoir. 
-Ça sera comme un conte.
-Oui, mais à l’envers. 

Fin.

lundi 17 octobre 2016

Ombre et lumière

Thème : Ombre et lumière 
 
 ***
 
Je marche d’un pas lent, le dos légèrement voûté, mes longs cheveux noirs devant mes yeux. Rideaux voilés d’une vie en jachère. C’est une journée d’automne où le ciel est bas, lourd de nuages gris foncé et de noirceur. Le talon de mes bottes résonne sur l’asphalte jonché de feuilles aux couleurs vives. Je ne lève pas les yeux, de toute façon, il n’y a personne dehors. Ils sont tous chez-eux, au chaud. Heureux.

-Alice !

La voix provient de loin. D’ailleurs. Je ne me retourne pas. Je continue sur le chemin des feuilles mortes, la mélodie du vent ondulant au travers des arbres dénudés. Froid. J’avance, les poings serrés, la morsure glaciale du mois de novembre courant sur mes mains, grimpant le long de mon bras, s'agrippant à mon cou. J’essaye de fermer la porte pour ne plus entendre tous ses reproches, pour ne plus apercevoir briller au fond de ses prunelles bleuâtre, la déception.

-Pourquoi ne peux-tu être normal ? Pourquoi dois-tu tout peindre en noir ?

Parce que j’aime le noir, maman.

Mais je n’ai rien dit. Les mots se sont bloqués quelque part dans ma gorge et ils m’étouffent tandis que je marche vers hier. Vers rien. Mon long manteau effleure le sol, froisse doucement les feuilles sur mon passage. Poussière de néant au souffle rauque.

-Alice, s’il te plait, attend-moi.

Je décèle des notes aigües de supplication dans son ton de voix. De la sollicitude. Comme si j’en avais quelque chose à faire ? Comme si ça m’importait de savoir que tu es derrière moi, à essayer de me rattraper alors que je ne coure même pas. Essayes-tu réellement ? Je relève la tête, un bruit a attiré mon attention, quelqu’un vient vers moi. Il marche vite, la tête rentrée dans les épaules, le regard fixé sur le trottoir. Il ne me voit pas et malgré que je me sois décalé vers la droite, il me percute légèrement. Il lève la tête vers moi, ses yeux remplis de grisaille m’effleurent, me bouscule, me heurte. Bang.

-Alice, Alice, tu m’entends ? Réponds-moi, Alice.

C’est étrange, on dirait que tu tambourines à la porte. Si tu veux réellement m’attraper, tu accéléreras le pas. Je suis juste là, tout à côté de toi, tu pourrais faire un effort, mais tu n’en as pas réellement envie. Ça te plaît bien que maman me déteste comme ça, toi, tu brilles. Tu éblouis. Tu resplendis. Toi, petite fille chérie aux grand yeux marron, aux lèvres pleines et boudeuses, aux cheveux d’un blond indécent et au corps si bien formé. L’été brille dans tes prunelles, n'ai-je jamais eu une chance ? Un ricanement m’échappe, presque un hoquet. L’homme me dévisage, incline la tête de côté et soupire doucement. Il tend la main vers moi, hésitant, et effleure l’os de ma joue.

-Alice, ce n’est plus ton nom.

Je le regarde, hypnotisé et indécise. Il caresse imperceptiblement, de ses longs doigts, mes lèvres craquelées et fendues par le froid. Des larmes fleurissent aux coins de mes paupières.

-Je…

-Alice, je t’en supplie, ne soit pas idiote, ne soit pas égoïste, reviens-moi.

On dirait qu’elle sanglote, comme si je lui causais du tort alors que c’est elle, qui se plaint constamment que je l’effraie, que ma chambre noire lui donne des cauchemars, que mes vêtements lui font honte.

-Pourquoi tout ce noir ? N’aimes-tu pas le soleil ?

Tu me brûles, Luciole, tu me fais mal avec ta lumière, avec ton rire et tes yeux aux teintes éternelles. Je ne danse pas avec toi parce que je ne vois pas ce que toi, tu persistes à essayer de me faire voir. Je n’ai pas tes ailes blanches. Tu consumes chaque ombre alors que moi, je tente sans relâche de les créer pour m’en faire un apparat. Une vie.

-Ce n’est pas important, me dit l’étranger, ce n’est plus une guerre entre l’ombre et la lumière, c’est seulement toi, que toi, jolie inconnue.

Je déglutis et les larmes glissent lentement sur mes joues laissant de grosse traînées noires de mascara.

-J’ai raison de vouloir ?
-Oui.
-ALICE !

Comme si hurler allait changer quoique ce soit. Comme si ça allait rattraper sa main quand elle m’a frappé avec la ceinture. Une fois, deux fois, dix fois. Pas toi, enfant chérie, enfant bénie. Mais moi, Luciole. Le sais-tu, à quel point elle me haït ? À quel point, je lui inspire de la peur et du dégoût. Tu pourrais me prendre dans tes bras et me bercer en essayant de panser mes blessures, en essayant de dessiner des soleils sur ma peau pâle et hivernale, mais rien ne peut dégeler mon coeur. Je tends la main vers l’homme, il la presse doucement. Ça fait du bien. Je sens presque ce qu’est ta vie, Luciole. J’inspire profondément.

-Alice… Alice…
-Luciole…

Ma voix se brise. L’homme me sert plus fort la main, la broie presque. Je sens les os si fins, si fragiles craquer. Il insiste. C’est comme ça, Luciole, ne m’en veut pas. Il me prend dans ses bras, étau polaire autour des vestiges des flamboiements d’hiers. Des promesses murmurées qu’on sait qu’on ne tiendra pas. Je l’enlace et jette un dernier regard derrière moi. Je te vois, Luciole. Tu as réussi, tu m’as rattrapée, tu as défoncé la porte. Ta lumière est à quelques mètres de moi. Si près, mais trop loin en même temps. Tu me regardes, tes yeux perlés de larmes irisées. Tes mains sur mes poignets sont chaudes. Tu ne pourras pas arrêter l'hémorragie. Les ombres sont partout.

-Alice, tu m’entends ?
-Oui, Luciole.
-Pourquoi Alice, pourquoi ?
-Parce que j’aime le noir, Luciole. Parce que je ne savais pas comment apprivoiser la lumière.

Un sanglot secoue son corps. Elle se penche vers moi, je sens la caresse de ses cheveux sur mon visage. Elle dépose son front contre le mien.

-Je suis ta soeur, Alice.
-Tu es ma lumière, Luciole.

L’homme m’enveloppe dans ses bras, m’étouffe graduellement. Mon souffle devient le murmure dans les branches nues. Je m’abandonne à son étreinte mortelle.

-Adieu Luciole.
-Je t’aime Alice.

Dans le ciel, une éclaircie pointe doucement.

Fin.

mercredi 21 septembre 2016

Publicité

Thème :


***


Je lui ai sorti un Yop de la poche intérieure de mon manteau et je lui ai tendu, le regard brillant d’espoir.

-Tu sais que t’es pas mal comme mec, finalement.
-Coupez ! Ça ne va pas du tout. Il faut de la passion, de l’amour, je veux que dans tes yeux ont y lise : j’ai envie de te baiser. Capitchez, Sonia ?
-Mais comment veux-tu que j’aie envie de baiser ce mec, tu l’as regardé, oui ?

Je lui ai souri, mais en réalité, j’avais juste envie de lui cracher à la figure. Elle se moquait, mais elle ignorait à qui elle avait réellement à faire. Ce n’était pas ma faute non plus, si j’avais des boutons. J’avais fait hier, une réaction allergique à ma crème à raser. Puis, est-ce qu’elle s’était regardé, elle ?

-Allez les amants maudits, on recommence et cette fois-ci, je veux de la verve et de la ferveur.

J’ai levé les yeux au ciel. Notre metteur en scène se la pétait peut-être un peu trop et si ce n’avait été de mon agent, il y a longtemps que j’aurais mis les voiles d’ici. J’ai tout de même repris ma position et quand j’ai entendu : action, crié très fort, j’ai sorti mon Yop pour la quatorzième fois, de mon blouson en jean.

-Coupez !
-Comment ça, coupez ? On a même pas parlé, encore ! Me suis-je exclamé, offusqué.
-Justement, ton langage corporel est lamentable. Le Yop, là, c’est le Saint Graal, la septième merveille du monde, le Calice, pas un vulgaire machin du coin. Qu’est-ce que vous comprenez pas là dedans, dites-moi ?

Sonia, en diva à en devenir qu’elle était, a haussé les épaules avec indifférence. Cette chipie n’allait pas lever le petit doigt pour nous dépêtrer de ce tournage interminable. Je me suis avancé vers elle, les épaules droites et le regard déterminé, enfin, j’espérais que ça avait l’air de ça.

-Écoute, j’en ai autant marre que toi, sinon même plus, mais on est coincé ici jusqu’à ce qu’on joue cette pub à la perfection, alors, s’il vous plaît, fais-moi le plaisir d’y mettre de l’entrain et de la paaaaassion.
-Ce n’est pas moi le problème, je fournis tous les efforts possibles et imaginables, mais je n’y peux rien, ta tronche ne me reviens pas. Tu as une sale gueule.
-Putain de bordel de merde que tu es butée. T’aurais besoin d’une bonne correction pour te remettre les idées en place. Ici, c’est pas un palais, c’est un PLATEAU DE TOURNAGE.
-Ça va, pas besoin de hurler, je ne suis pas sourde. Puis, ce n’est pas tes boutons, le problème, c’est ton nez, il est trop gros.

J’ai levé la main pour la gifler et savourait déjà les biens-fait de cette remise à l’ordre mérité, quand un cameraman m’attrapa le poignet et le tordit dans mon dos.

-Vous allez arrêter oui ? On dirait deux enfants de douze ans. C’pas croyable ça. On vous demande une chose et vous n’êtes même pas assez professionnel pour le faire.

-Lâchez-moi, vous me faites mal.
-J’espère bien, gamin et vous, Sonia, cessez de jubilez. Vous ne valez pas mieux.

J’ai serré les dents d’agacement et Sonia, à croiser les bras sur sa poitrine la moue boudeuse. Le metteur en scène s’est avancé vers nous, le regard menaçant.

-C’est mon dernier avertissement. Je me fiche bien de savoir qui vous êtes. Ou vous tournez cette pub, ou je vous renvoies sur le champs et vous pouvez dire adieu à votre joli cachet. Allez, sa tourne dans dix.

Le cameraman m’a relaché et j’ai pris d’un geste rageur le Yop. Sonia s’est positionné près de moi, devant les arcades et elle m’a fait une mimique de dégoût. J’ai voulu lever les yeux au ciel, mais le action a retentit…


***
-Chérie, vient vite.
-Ça ne peut pas attendre ? Je dois surveiller de très près la cuisson du saumon. Je sais que tu l’aimes quand il est rose pâle...
-Le poisson peut attendre, c’est une surprise, allez vient.

J’ai distingué des marmonnements incompréhensible et j’ai souris en l’entendant arriver. Elle a passé le cadre de la porte du salon et mon coeur s’est emballé. Elle avait peut-être beaucoup de cheveux blancs et quelques rides qui marquaient une vie bien remplis, bien vécue, mais à mes yeux, elle restait encore et toujours la même.

-Pourquoi tu me fais courir comme ça ? Je n’ai plus vingt ans, tu sais ? Dit-elle légèrement essoufflée.

Je lui ai tendu ma main parcheminé de rides et elle l’a prise avec affection tout en rechignant un peu pour la forme. Je me suis sentie choyé de l’avoir encore à mes côté depuis tout ce temps.

-Regarde, il y a un spécial sur les années quatre-vingt dix à la télé. Il passe notre pub. Tu te souviens, Sonia ?

FIN.

À l'angle de nos coeurs


Thème : Angle mort. 
 
***

C’est arrivé hier, au coin de la quinzième et de Warteloo.

J’avançais d’un pas rapide, des fleurs pleines les mains. Un gros bouquet avec des roses, mais pas que. Il y avait aussi des oiseaux du paradis, des lys d’un jaune très doux et des frangipaniers blancs, ses préférés. J’étais fébrile et un peu désorienté. C’était un grand jour qui lentement, se dessinait à l’horizon. J’allais être papa. Pour moi, ex criminel, je prenais cela comme un signe que j’étais pardonné de tous les actes que j’avais commis plus jeune. Certes, il m’arrivait parfois encore de faire de petits boulots, mais rien d’extravagant. C’était surtout pour payer les factures qui s’accumulaient. Maïa, désirait tant accueillir ce petit être avec les honneurs qu’il se doit, qu’elle achetait en quantité considérable, vêtements, jouets et décoration pour la chambre qui, soit dit en passant, était magnifique. Entre vous et moi, je ne lui avais pas démontré trop mon enthousiasme pour ne pas perdre ma crédibilité, mais elle a du goût, ma Maïa chérie.

Je l’aime, si vous saviez.

Je sais, ça fait cliché de penser ça. De le dire aussi, surtout pour un homme comme moi. Cependant, c’est la vérité, elle m’a sauvé des affres de l’enfer ou doucement, j’étais en train de sombrer. De petit criminel, j’entends par là que j’étais un cambrioleur, j’allais franchir le pas vers la grande cour, celle d’où on ne revient pas : le meurtre. C’était ma mission et pas la moindre. J’avais su me tailler une place dans le milieu, ma réputation me précédait et j’étais de confiance. J’étais le meilleur cambrioleur de la ville, je pouvais subtiliser n’importe quoi au nez et à la barbe des gens. Rien ne m’effrayait, pas même les caméras cachées un peu partout. Je me sentais invincible, mais surtout invisible. Dans le cercle très fermé des criminels, quand vous êtes bons, vous pouvez grimper rapidement les échelons et vous faire énormément de pognon. C’est lucratif, oui, mais très dangereux. Je me souviens encore de ce matin de juin. Il ne faisait pas encore jour, le ciel, au loin, se paraissait de rose vif et d’orange. C’était flamboyant. On m’avait donné rendez-vous à l’angle de la quinzième et de Warteloo. Le même où dix ans plus tard, je me tiens en attendant pour traverser la rue. C’était mystérieux comme invitation. Il y avait eu beaucoup de chuchotement à ce sujet. J’aurais préféré ne pas m’y rendre, je ne le sentais pas trop, mais on m’avait clairement fait comprendre que refuser n’était pas une option si je ne voulais pas froisser irrémédiablement la personne qui désirait me rencontrer. Alors j’y suis allé, parce que j’étais curieux, mais aussi parce que j’avais vingt et un an. Quand j’ai vu la silhouette qui se dessinait lentement à l’horizon, marchant d’un pas légèrement boitillant, j’ai su à ce moment que ma vie ne serait plus jamais la même.

On m’a confié l’assassinat de la princesse Lana.

Je l’aurais fait. Je n’en suis pas fière et ça restera toujours ma part d’ombre, celle qui parfois, scintille dans mon regard, surtout quand je me retourne vers le passé. Il y a des soirs où je me réveille complètement désorienté et effrayé. J’ai l’impression d’être dans la chambre aux foulards de soies ambrés. Je la revois étendu près de moi, offerte et confiante.

Lana.

Elle ne le sait pas, Maïa, que j’ai aimé très fort avant elle. Tomber amoureux de sa proie. Encore un truc cliché à mon actif. Je les cumule… Et pourtant, c’est la vérité. Elle était belle, fougueuse et impertinente. J’ai crû que j’allais la tuer plus d’une fois simplement parce qu’elle avait ouvert la bouche. Une très jolie bouche, certes, mais qui crachait des inepties à n’en plus finir. Elle me rendait fou et moi, comme un con, comme un débutant, je me suis laissé prendre au piège. Je l’ai aimé en secret puis, à grand cri dans ses draps de satin. Ma Lana. Morte aujourd’hui, par ma faute, mais pas par mes soins.

Une balle dans le coeur, des grands yeux noirs ouverts sur les étoiles dessinées sur le haut de son baldaquin. Du sang, partout, des éclaboussures de rêves déchiquetés.

J’ai dû fuir parce que j’étais à présent, persona non grata. On me recherchait de partout. J’avais failli à ma mission, mais surtout, j’avais essayé de trahir ceux qui m’avaient engagé. J’avais dégringolé à grand bruit, toutes les marches que j’avais mises longtemps à grimper. Pourtant, très vite, je me suis rendu compte qu’il me serait impossible de me cacher indéfiniment et je n’en éprouvais pas réellement le désir. Je me sentais mourir à petit feu. Comme une fleur dont on ne prend pas soin, je perdais de ma vigueur et de mon intérêt en tout chose, même de me nourrir et de boire. Lana me hantait et une semaine plus tard, tout ce qui m’importait, c’était la rejoindre. Je voulais, par contre, que ça soit à la hauteur de la femme qu’elle avait été. Elle m’avait offert sa vie, j’allais lui donner la mienne en retour. J’étais un peu romantique, à cette époque ou pour être plus juste, évaporé. Je n’étais plus Guillaume, j’étais l’ombre de Lana et j’errais, sans but, dans les rues. J’ai échafaudé un plan pour que ma mort soit grandiose. J’allais emporter avec moi, la tête du clan qui m’avait engagé pour la tuer. Je me suis muni d’armes, de faux papiers et j’ai commencé à faire circuler des rumeurs. Je voulais que les gens parlent de moi, qu’on se pose des questions à mon sujet, qu’on se questionne.

J’ai fini par me rendre là où je voulais mais ce n’était pas le grand criminel qui m’attendait, c’était Maïa.

J’inspire profondément à me remémorant ce souvenir. Je la revois, grande, belle dans sa robe d’été couleur pêche et son sourire, le plus doux que je n’avais jamais vu. Elle m’a offert sa main et a chuchoté très bas : allons-nous en d’ici, partons très loin, quoique tu es fait, cela ne mérite pas ta mort. J’ouvre brusquement les yeux, le coeur battant. Quelqu’un m’a bousculé, mais je n’y fais pas attention. Pourquoi, à l’époque, je n’avais pas trouvé cette phrase étrange ? Pourquoi l’avais-je suivi aveuglément, sans poser de questions ? Parce que j’étais désespéré, mais surtout, parce que j’étais un…

-Un lâche, oui.

J’ai serré les poings très forts, essayant de contrôler le flot d’émotions violentes qui se fracassait en moi, tel d’immenses vagues sur la berge. J’ai serré les dents, parce qu'étrangement, j’avais envie de pleurer. J’ai regardé les deux panneaux de rues. La quinzième et Warteloo. Notre chemin croisé. Un angle mort. Des pourquoi et des comment, se sont heurtés à mon coeur et on voulut sortir de ma bouche, mais je me suis mordu la langue pour ne pas parler. C’était d’une telle évidence, que je ne comprenais pas pourquoi, je n’avais rien vu plutôt. Mon ego démesuré m’avait préservé de la vérité. J’ai finalement lâché un soupir de lassitude. Les gens continuaient leur chemin, sans s'apercevoir que tout à côté d’eux, se dénouait la fin de l’histoire.

-Je…
-Je n’ai pas besoin de tes excuses ou tes mensonges.
-Tu ne devrais pas être là.
-Tu crois ?

J’ai entendu qu’elle armait le chien de son pistolet. Ça a fait un petit clic. Ça m’a semblé un coup de tonnerre.

-Je t’ai aimé.

Lana.

-Pas moi.

J’ai su qu’elle mentait, j’ai senti les larmes amères dans sa voix qu’elle durcissait pour ne pas que je sache qu’elle tremblait de peur. J’ai compris, trop tard, qu’il y a dix ans, ce n’est pas moi qu’on avait engagé pour tuer Lana, c’était elle. J’avais pris trop d’importance au sein de la bande de criminelle et on avait essayé de m’éliminer. Ils ont attendu que je tombe amoureux d’elle pour la recruter et lui faire croire que je l’avais dupée depuis le début. Ils ont mis en scène sa mort pour que je me suicide. Ils me connaissaient bien. Trop bien. Mais Lana, n’avait pas voulu se contenter de ça, elle désirait une vengeance flamboyante, à la hauteur de ma trahison. Elle avait alors envoyé sa cousine Maïa pour “m’aider”. La suite, n’était que hasards et histoires secrètes de coeur. Maïa était tombée amoureuse, m’entraînant avec elle dans ces sentiments que je croyais à jamais éteint. Avait-elle cru, qu’ainsi, elle nous sauvait de la folie de sa cousine Lana ?

-Elle est enceinte, ne lui arrache pas ce que tu lui as obligé à prendre.
-Tu n’es rien pour moi, je veillerai sur Maïa et sur l’enfant.
-Mais moi, je suis tout, pour elle.

Un cri d’animal blessé s’est réverbéré dans mon dos. Elle s’est précipitée vers moi et m’a cogné très fort avec la crosse de son pistolet. Les gens autour se sont affolés. J’ai posé ma main sur ma nuque et sentit le sang poisseux sur mes doigts. Je me suis retourné, vif comme l’éclair. Sa vue, m’a complètement chamboulé. Pendant une seconde, dans ses yeux turquoise, j’ai contemplé la mort. Elle m’a mise en joue, mais instinctivement, je me suis baissé et j’ai chargé vers elle. Je l’ai attrapé par la taille et l’ai plaquée au sol. La touché fut comme une décharge électrique. Les battements de mon coeur se sont accélérés. Une rage indescriptible s’est répandue dans mon corps et je l’ai frappé. Une fois, deux fois, trois fois. Des cris de stupeurs s'élevaient autour de nous. Quelqu’un a essayé de me retenir, mais j’étais plus fort et je l’ai repoussé. J’ai levé à nouveau le poing pour tuer les vestiges de notre amour floué, mais mon regard a rencontré le sien. J’y ai vu miroiter l’amertume de l’escroquerie, sa jeunesse bafouillée et ses rêves fracassés. J’ai suspendu mon élan, magnétisé par l’étendue de sa souffrance. C’était Roméo et Juliette à l’envers. Des larmes ont coulés de ses prunelles nébuleuses, puis, elle a pointé le pistolet qu’elle n’avait jamais lâché sur mon coeur et a tiré. Le choc fut d’une telle intensité, que j’ai crû que tous mes os explosaient en millier de morceaux. J’ai ouvert la bouche pour dire quelque chose, mais il n’y a que du sang qui en soit sorti. La balle avait pulvérisé mon coeur, je sentais les dernières secondes de ma vie s’évaporer. Elle m’a enlacé avec une extrême douceur et à chuchoté à mon oreille :

-Je t’aime.

FIN.

mercredi 14 septembre 2016

L'arche de Noé


 Thème : Jurons originaux
 
 ***
 
 L'arche de Noé
 
 
J’ignore comment c’est arrivé. Je suis plutôt méticuleux, en général, mais cette fois-ci, ça complètement dérapé. Une punaise de lit de chance que j’avais eu la présence d’esprit de ne pas signer, comme je le fais toujours. Sûrement, le ciel qui m’a envoyé un printemps de signe. Je me souviens très bien que la journée avait commencé anormalement bien. Je ne suis pas du genre superstitieux, mais plutôt du genre prudent. Alors, quand le jour J arrive, je suis toujours à noter le moindre détail de tout ce qui se produit. Ce matin-là, il pleuvait à verse. J'ai bien crû que Dieu, dans son délire perso, nous rejouait le déluge. Même que pendant au moins une minute, je me suis mis à espérer que j'allais être le nouveau Noé et sauver l'humanité. Ça m'a fait sentir spécial et j'ai failli oublier ce que j'avais de prévu aujourd'hui.

C'était un peu loin de sauver des animaux.

J'étais un peu fébrile, voir même excité. Rien d'anormal à ça, par contre, quand je me sens ainsi, j'aime bien manger des croustilles au BBQ. Le petit goût piquant m'aide à rester focus. Je savais que je n'en avais plus, mais quel n'a pas été ma surprise, d'en trouver dans le garde-manger. Si ça ce n'était pas un polochon de signe, je ne sais pas ce que c'était.

Peut-être que finalement, j'allais sauver une vache et quelques canards.

La journée tirait à sa fin et je me préparais avec méticulosité. Rien ne devait être laissé au hasard. J'ai mis mon pantalon noir et je me suis maté le derrière. Bien ferme et rebondit. C'est important, dans mon métier, de bien paraître et surtout, d'être désirable. Je m'entraîne fort et je ne laisse rien à la légère. J'ai souri un peu niais et si j'avais voulu être vulgaire, j'aurais dit que j'avais un sortilège de beau cul. Mais bon, je suis un gentleman, je reste poli tout de même. Donc, j'ai revêtu une chemise d'un gris tempête et enfilé un chapeau pour me donner encore plus de charme. Franchement, j'étais à croquer. J'ai sorti un petit sac de voyage et déposé à l'intérieur tout mon matériel ainsi que sa photo. Elle était immortalisé avec son animal de compagnie.

Et un cochon d’inde, il semblerait.

La pluie avait cessé, mais le ciel était bas et gorgé de gros nuages noirs. Les gens dans la rue, marchaient de pas rapide, la tête rentrée dans le cou. Le vent était glacial, mais ça ne m’affectait pas. J’irradiais d’une chaleur, un peu comme un feu de foyer. Ça allait arriver. Tous ces mois de préparation arrivaient à terme. J’ai marché près de quinze minutes et je peux affirmer, sans me tromper, qu’on m’a au moins dévisagé le postérieur trente fois à la dérober, et dix fois, franchement. On m’a même remis un numéro de téléphone. C’est là, que j’ai commencé à me poser des questions.

Est-ce qu’il y avait des rats dans l’arche ?

Je sais qu’avec mon pantalon moulant, mon chapeau et mon trench, j’ai une allure folle, mais j’attirais beaucoup trop l’attention. J’avais un furet de boulot à faire et le mieux, c’était que je passe inaperçu. J’avais l’impression, pour l’instant, d’être dans un spectacle dans un club de nu. Ce n’est pas pour me déplaire, j’aime qu’on me regarde, mais ce n’était pas le bon moment. J’ai alors changé d’itinéraire pour me rendre sur place. Ça, oui, ça, je crois que c’est Dieu lui-même qui m’a guidé sur ce chemin. Aujourd’hui, quand je repense à cette journée, je me dis qu’Il a vraiment besoin d’un nouveau sauveur de cochon et c’est pour ça qu’Il a pris ma main et m’a entraîné sur le chemin de traverse. Enfin, je dis ça parce que ça sonne bien, mais en réalité, c’était un chemin de terre boueux et mes bottes en ont pris pour leurs frais.

Combien il y a d’animaux, dans cette foutue arche ?

Quand je suis arrivé au numéro 666, j’ai comme eu un sursaut d'incrédulité et mon coeur s’est mit à faire des bonds irréguliers. Ça sentait le roussi, mais je ne pouvais pas reculer. J’ai tendu la main vers la série de chiffres, et j’ai vu qu’en fait, ils étaient mal fixés. J’ai lâché un soupir qui a fait bondir le chat de cinq mètres dans les airs. Il s’est tourné vers moi, le dos rond et le poil hérissé. J’ai inspiré un bon coup et je lui ai craché dessus. Il a détalé sans demander son reste.

Finalement, il n’y aurait pas de chats, sur l’arche. Tant pis.

J’ai fait le tour de la maison, j’ai ouvert doucement la fenêtre et écouté les bruits ambiants. C’était plutôt calme, comme je m’y attendais. Elle devait être en haut, en train de faire sa sieste. Depuis des mois que j’observe le moindre de ses faits et gestes et que je note tout. Le jeudi à quinze heures, elle se fait une cure à l’eau de rose et à la lavande et dort une heure. Elle a un teint radieux et des yeux pétillants de jeunesse. C’est ça qui m’a séduit le plus, le bleu perçant et féroce de ses prunelles. Une soif intarissable de vivre. Le désir m’attire toujours, la beauté aussi. Cette fille, a vingt-trois ans, un corps magnifique et une chevelure assez courte, mais d’un roux profond, presque indécent.

Toi, si j’étais Noé, je te sauverais bien dans mon arche, même si tu n'est pas un animal.

Mais bon, soyons réaliste, je ne crois pas que Dieu m’ait choisi pour ce rôle. Enfin, moi, je ne dis pas non, mais je trouve ça difficile comme job, aller chercher deux paires de chaque animal. J’ai autre chose à faire, aussi. Puis, il faut manger, hein, personne n’a pensé à ça, que deux paires d’animaux, ce n’était pas suffisant ? Colibri d’incompétent, ces gens, quand même…

Donc, m’étant fait à l’idée que je n’allais pas être le prochain Noé, j’ai lentement pénétré dans la chambre. Sa respiration était régulière et sa poitrine se soulevait à ce rythme. C’était presque hypnotisant. Je la contemplais, béat d’admiration devant tant de vitalité et de fraîcheur. J’ai souri, je m’en souviens et doucement, je me suis assis sur le bord du lit. J’ai caressé sa joue sans aucune imperfection et le feu est revenu, mais cette fois-ci c’était plus un feu de forêt. J’ai ouvert mon sac et j’en ai sorti ma corde. J’ai pris ses poignets que j’ai attaché à la tête de son lit. Ensuite, j’ai fait de même avec ses chevilles que j’ai attachées ensemble. Je sais, que vous vous demandez, à ce moment, pourquoi elle ne s’est pas réveillée. C’est simple, je suis un professionnel, voyez-vous. J’avais tout prévu. Le verre d’eau sur sa table de nuit et une dose de somnifère qui aurait pu assommer un cheval, au lieu de son médicament naturel. Je sais, je suis le meilleur.

J’aurais pu être Noé, je sais comment soigner les bêtes en détresse.

J’ai ensuite sorti mon long couteau. À ce moment-là, je me sentais réellement comme Dieu. Puissant, prêt à écraser avec mépris la vie. Sans sourciller, sans pleurer. Je suis un folichon de Dieu ! De mon couteau, j’ai longuement caressé sa peau de pêche. Je l’ai vu frémir à plusieurs reprises. Je me suis humecté les lèvres, résistant à l’envi de toucher les siennes. C’était bien la première fois, que j’éprouvais une émotion pour ma victime. Celle-ci, était mon serpent. Ce n’était pas désagréable, comme sentiment, mais cela réduisait ma concentration. J’étais fasciné par elle, par ses lèvres charnues, par son petit nez, légèrement retroussé et par sa poitrine plus que rebondie. Elle était mon fruit défendu et je n’avais qu’une envie, la prendre violemment. Et c’est ce que j’ai fait, parce que je suis beau et parce que j’ai ce droit. J’ai soulevé mon arme, qui a capté un rayon de soleil, et je l’ai abattu droit dans son coeur. Un long frisson de plénitude a traversé ma main pour venir se loger dans mon corps. J’ai basculé la tête vers l’arrière et j’ai goûté ce long parfum qui ondulait en moi. Puis, j’ai recommencé encore et encore, jusqu’à ce que ses draps blancs soient gorgés de pourpre sombre. Comme du vin. Jusqu’à ce qu’elle n’ait plus de soubresauts, jusqu’à ce que sa jeunesse est fuie par ce liquide vermeil.

En général, je profane le corps, pour faire croire à un détraqué sexuel, mais je ne pouvais pas, cette fois-ci. C’est ce qui m’a sauvé. J’en étais à ranger mes trucs pour ne laisser aucune trace quand la porte d’entrée s’est ouverte à la volée et que j’ai entendu aux bas mots, trente personnes crier :

-Joyeux anniversaire Stella.

-Tablette de cadran à batterie me suis-je exclamé.

Si j’avais été en elle, jamais je n’aurais eu le temps de fuir. J’ai embarqué le dernier témoin et sauté par la fenêtre. J’ai repris le chemin boueux que Dieu, dans sa grande miséricorde, m’avait montré plutôt et je me suis imaginé l’effet que les invités auraient en voyant mon cadeau.

Finalement, ma princesse allait être la reine de la soirée et moi, je ferais un Noé remarquable, pour avoir sauvé le cochon d’inde d’une hystérie certaine.


FIN

jeudi 11 août 2016

Sont testament

Contrainte : utiliser tous les mots ci-dessous : 

un Sens : Vue
un Pays : Islande
une Emotion : Jalousie
une Couleur : Violet
un Insecte : Moustique
une Arme : Tantô
un Livre (titre) : Dis lui que je l'attends


***

J’étais là, droite et fière, pourtant, je n’y étais pas tout à fait. J’avais déjà un pied de l’autre côté, de l’autre côté de moi. Un seul geste et je savais que je pouvais les prendre et par le fait même, me perdre à jamais. La ligne est si mince entre le bonheur et le désespoir, quand le cœur s’en mêle. Je respirais au minimum, pour ne pas qu’on s’aperçoive de ma présence. Pourtant, une pensée contradictoire contrecarrait cet effort. J’avais envie de les voir se réveiller en sursaut, de se demander ce qui les avait tirés de leur sommeil et de finalement s’apercevoir de ma présence. Il me semble que ce que je pourrais lire dans leurs yeux à ce moment, serait le plus délectable des présents. Pourtant, tel le funambule sur son fil, je tangue d’un côté et de l’autre, sans jamais basculer.

J’ai envie de les tuer. 

Mais je reste là, faucheuse armée d’un Tantô, le sien, parce que c’est plus romantique, non ? Et je les regarde tous les deux, amants abandonnés aux pays imaginaires, tandis que moi, on m’a pris un billet sans retour pour le pays des cauchemars. C’est cette ironie, qui noircit le violet de mes yeux pour lentement se déverser dans mes veines. Poison qu’on nomme jalousie, mais moi, je dis plutôt : trahison.

J’ai tellement envie de les tuer. 

De sentir la lame tranchante pénétrer leur corps, de briser leurs liens à jamais. Avant, c’était lui et moi, depuis quand cela était-il devenu lui sans moi ? Nous avions un projet de voyage en Islande dans trois mois. Il a tout jeté, quand cette garce, bourdonnant comme un moustique qu’on n’arrive pas à chasser, est arrivée à l’école. Un transfert tardif de l’Europe. Une jolie fille aux yeux célestes et aux cheveux sablés. Une princesse, rien de moins. N’ai-je jamais eu une seule chance ?

Je vais les tuer.

Elle avant. Je ne suis pas sentimental, mais je veux qu’il souffre avant de crever comme un chien. C’est ce qu’il mérite. Parce que sa douleur doit égaler la mienne, sinon, ce n’est pas amusant, sinon, tout ça, cette comédie, n’a aucun sens. Je veux qu’il se souvienne qu’il a jeté cinq ans de vie commune pour une étudiante de vingt et un an. Je veux qu’il la voie agoniser. Je l'imagine, se tordant dans son sang, essayant de lui murmurer quelque chose et lui, impuissant, la regarderait mourir. J’aurais enfin le pouvoir de vie ou de mort de son cœur, comme lui en avait pris le droit, ce soir de décembre, quand il m’a annoncé la nouvelle.

Ma vue se brouille à ce souvenir et pendant une seconde de faiblesse, je laisse mon chagrin prendre, à nouveau, possession de chacune de mes cellules. Je sens la douleur éclater en moi, tel un feu d’artifice, mais en plus violent. Je chancèle sous le poids des regrets amers et des rêves fracassés en morceaux à mes pieds. Je serre les dents jusqu’à ce que ma mâchoire me fasse mal. Une douleur pour une autre. Le Tantô dans ma main tremble. Impulsivement, je le lève au-dessus de ma tête.

Je te tue. 

Tu ouvres les yeux. Je t’ai réveillée, sans le vouloir, parce que j’aurais préféré que tu restes là où tu étais. Ça aurait été plus facile. Tu humectes tes lèvres. Tu ne comprends pas ce qui arrive. Tu ne me reconnais pas et tu n’as pas encore aperçu l’arme dans mes mains. J’en ai tellement envie, que tout mon corps tremble. Tu commences à paniquer, tes yeux ne cessent de papilloter. Tu t’agites trop, tu vas le réveiller. C’est maintenant ou jamais. Je fais un mouvement du bras pour abattre mon arme, mais tu te méprends sur mes intentions et tu as le réflexe de te coller contre lui, pour le protéger. Tu lèves alors les yeux vers moi et… Rien.

Mon bras retombe lourdement le long de mon corps, tandis que je la fixe. Ses yeux, sont remplis d’une lumière étincelante. Ils sont si purs, si fragiles et si farouches à la fois, que je ne peux que m’incliner. Il n’y avait jamais eu de bataille, elle avait gagné depuis le début. Je me retourne lentement, mais avant de disparaître à jamais dans les méandres de ma nuit, je lui murmure en guise d’adieu :

-Dis-lui que je l'attends.

FIN.

mercredi 29 juin 2016

Une rose pour ta vie

Le thème : "Nous marchons anesthésiés entre les risques que nous créons. De temps en temps, un accident nous secoue de notre torpeur, et nous jetons un coup d'oeil dans le précipice."
 
***
Il déchiqueta la photo en dizaine de petits morceaux qui formèrent un tas de blanc et de noir désordonné à ses pieds. Puis, il s’en prit à la rose qu’elle avait gardée pendant toutes ces années. Il serra les dents à s’en faire mal à la mâchoire. Dans sa tête, un brouillard épais bouffait toutes ses pensées, toute sa raison. Son champ de vision s’était restreint à l’escalier et la porte tout au fond du couloir. Il piétina, sans même s’en rendre compte, les lambeaux d’un temps révolu et grimpa les marches d’un pas mécanique. À travers le bourdonnement incessant de ses oreilles, il crut distinguer des mots :

-Chienne.
-Plaisir avec ton meilleur ami.
-Dans TA chambre.


Il écuma de rage et s’élança vers la porte de la chambre à coucher. Il essaya de l’ouvrir, mais elle était verrouillée. Il tambourina de toutes ses forces.

-Adeline, je sais que tu es là, sors immédiatement de cette chambre.

Sa voix lui semblait désincarnée, atone. Il suait à grosses gouttes à s’acharner sur la poignée qui refusait de céder. Il émit un rire qui sonna lugubre à ses propres oreilles. Dans sa tête, les mots tournaient à lui donner le vertige : chienne, plaisir, amour, baiser, dans ta chambre. C’était une comptine qui le rendait fou.

-Adeline ! hurla-t-il.

-Papa ?

Une petite voix lui fit tourner la tête vers la droite. Celle qui l’avait prononcée, n’avait pas l’âge de l’intonation enfantine et il mit quelques secondes à comprendre qui elle était.

-Retourne dans ta chambre chérie, c’est une histoire entre ta mère et moi.
Elle le fixa, incertaine. Son corps longiligne, à peine formé, tel un bouton de rose qui attend le soleil pour s’épanouir, tremblait. Cela l’agaça suprêmement, sans qu’il puisse justifier cet accès d’exaspération.

-Immédiatement, gronda-t-il.

Des larmes se formèrent au coin de ses paupières et sa lèvre inférieure tremblota ce qui acheva de l’excéder. Il avança d’un pas menaçant.

-Tu ne vas pas chialer, si ? Tu as quatorze ans, tu n’es plus une enfant !

-Tu me fais peur, papa. Arrête.

Elle recula et voulut s’enfuir, mais il l’attrapa par le poignet et elle se mit à hurler. Les cris perçants se frayèrent un chemin vers sa tête et firent exploser une rage froide en lui. Son monde se réduisit en un champ de vision rouge.

-Tais-toi, connasse !

Il la plaqua au mur, la main sur sa gorge. Elle émit un son entre le hoquet et une plainte. De grosses larmes coulaient sur ses joues livides. Elle se débattait vainement, n’ayant pas la force contre ce père d’un mètre quatre-vingts et de ces, 72 kilos de muscles. Elle essaya de le griffer, mais de son autre main, il plaqua ses poignets sur contre? le mur.

-Il est peut-être temps de démontrer un peu de soumission, ma fille. Tu as trop longtemps fait ta petite princesse.

Il vit qu’elle commençait à suffoquer, et cela, étrangement, lui procura un plaisir morbide. Jamais, depuis qu’il avait appris que sa femme le trompait, il ne s’était senti aussi fort qu’en ce moment. Il n’était plus le con, qui continuait à dorloter une femme qui s’offrait à un autre. Il n’était plus le mari cocu. Sur les traits fins et délicats de sa fille, qui lentement, prenaient une teinte cireuse, se superposa le visage de son ex meilleur ami. Une vague hargneuse le submergea, inhalent toute pensée rationnelle en lui. Un seul désir subsistait, enlever le petit sourire en coin de cet homme qu’il avait traité comme son frère. Il sortit de sa poche un long couteau de cuisine au manche noir. Le sang bourdonnait à ses oreilles. Il n’était plus là, il était ailleurs, dans un monde où il pouvait régler ce différent entre hommes.

-J’vais te buter ta sale petite face de mec fier, tu vas voir !

Il leva son bras et un éclat du soleil couchant se réverbéra sur la lame, incendiant le couloir. Il fut quelques secondes aveuglé et entendit un bruit tout près de lui. Il tourna la tête et aperçut sa femme qui semblait l’invectiver, mais il n’entendait strictement rien de ce qui sortait de sa bouche. Elle s’accrocha à lui, lui tapant dessus comme une furie. Croyant qu’elle essayait de protéger son amant, il fulmina. Il donna un coup de couteau vers elle, pour la faire lâcher prise. Il sentit, un peu à retardement lui sembla-t-il, que le couteau glissait aisément. Un bruit sourd, comme un gargouillis, s’éleva dans ce début de soirée. L’adrénaline coula dans ses veines. Galvanisé par la réussite de son coup et par le fait qu’il était libre, il se retourna vers son ami et planta son arme meurtrière dans sa poitrine. Du sang jaillit de la plaie, lui éclaboussant le visage et les mains. Pris de frénésie, il retira le couteau et le replanta une nouvelle fois, encore et encore, jusqu’à ce qu’il sente, sous sa poigne, le corps devenir mou. Il relâcha alors sa victime qui glissa doucement le long du mur, le visage contre sa poitrine en charpie, les cheveux d’un roux profond devant ses yeux. De longs cheveux roux.

Il relâcha l’arme qui tomba dans un bruit métallique. Il voulut bouger, mais se heurta à un autre corps à ses pieds. Sa vision se réajusta pour contempler sa femme, étendue sans vie, une mare de sang sous elle. Un haut-le-cœur le secoua et il recula en secouant la tête, le corps tremblant comme une feuille. Ne regardant pas où il mettait les pieds, il perdit l’équilibre et chuta dans les escaliers. Son corps se disloqua sur les marches qu’il avait construit lui-même, pour celle qu’il aimait tant. Une lumière éclatante, presque vibrante, le percuta et se logea dans ses yeux. Il inspira, puis, un énorme choc le fit tousser. Un tonnerre de klaxon se fit entendre. Il secoua la tête, désorienté.

-Monsieur ?

Il se sentit faiblir, mais une poigne ferme le soutint sur ses deux jambes.

-Monsieur, est-ce que vous allez bien ?

La voix était douce, presque chantante, et inquiète.

Il se redressa et contempla le visage qui le regardait. Un joli visage en forme de cœur, aux lèvres pleines et roses et aux yeux d’un gris perle. Des yeux qui le fixaient avec sollicitude.

-Allez-vous vous pousser du chemin, oui ou non ? Cria quelqu’un.

À cet instant, il réalisa qu’il était au beau milieu de la rue.

-Venez, vous serez en sécurité de l’autre côté, sur le trottoir.

Elle le guida calmement vers un banc où il put s’asseoir. Elle lui sourit gentiment et lui remit une rose.

-Vous l’aviez à la main, la rose je veux dire. C’est un miracle qu’elle n’ait pas été piétinée dans la cohue. Votre femme a beaucoup de chance que vous lui offriez des fleurs.

Elle se releva et leur regard se croisa.

-Vous allez pouvoir rentrer chez vous ou avez-vous besoin que je téléphone à quelqu’un ?

Elle était si jeune, si innocente, son corps ferme et souple, lui faisait tourner la tête. Cependant, un goût de bile le fit déglutir. Il se ressaisit et réussit à esquisser un sourire franc.

-Ça va aller, je vous remercie pour votre aide.

Il se releva et épousseta son costume.

-Soyez prudent !

Elle lui offrit un sourire lumineux et son cœur se serra légèrement. Une vague de nostalgie déferla en lui et le prit par surprise. Elle lui fit un au revoir de la main et s’éloigna silencieusement, engloutie par la foule.

-Au revoir, Adeline.

FIN.

De sang et de plume

« Ce n’est pas possible, je suis un corbeau ?! »

Il voulut bouger le bras gauche, mais à la place, il battit de l’aile. Déséquilibré par ce mouvement brusque, il tangua dangereusement vers l’asphalte. Paniqué, il secoua désespérément son bras droit. Le battement eut pour seul effet de le blesser davantage. Il y mettait trop d’effort. Il essaya de se calmer, mais la seule pensée qui ne cessait de hurler dans sa tête, était qu’il allait se fracasser comme un missile sur le trottoir. Effectivement, c’est ce qui se produisit, dans un grand fracas de gerbe de sang et de plumes noires. Il essaya hurler, mais seul un gargouillement pitoyable s’échappa de son bec. Je vais mourir, songe-t-il, avant de sombrer.
***
 
Je me suis réveillée en sursaut, le cœur battant la chamade, ma chemise de nuit collant à ma peau moite de sueur. J’avais du mal à reprendre un rythme de respiration normale. Je n’arrivais qu’à haleter, tel un animal apeuré et c’est ce que j’étais, au fond. Ce cauchemar récurrent me laissait un goût de désespoir dans la bouche. Pourquoi étais-je un oiseau ? Celui-là, tout particulièrement et pourquoi, finissais-je toujours blessée et morte ? Je me signer et fit une prière rapide. Je n’arrivais pas à me calmer, même après m’être recueillis. Quelque chose clochait. Je le sentais.

Mes yeux parcoururent la pénombre à la recherche de la cause de mon malaise. Mais ce n’était pas ici que ça se passait. Tous mes meubles étaient à leurs places, ainsi que mes vêtements de la vieille. Je tendis l’oreille, inquiète. La maison était silencieuse, pourtant, j’entendais une rumeur, un peu comme un bourdonnement. Je me concentrai d’avantages et identifié le son plutôt comme une clameur. Plusieurs personnes étaient rassemblées à un même endroit et murmuraient. Ils étaient tout près, je le sentais. Mon cœur s’emballa. Je me levai lentement du lit et attrapé ma robe de chambre que j’enfilai. Maintenant tout à fait réveillée, je percevais mieux les sons. Ils devaient être une dizaine, massée dans la rue, juste à côté.

Je déglutis, l’angoisse, main glacée, étreignant ma poitrine. Lentement, d’une main tremblante, j’ouvris le rideau de soie. Au début, je ne compris pas ce qui je vis, puis, mon cerveau analysa la scène et me retransmit les images, si claires, que je crus être dans la rue avec eux. Je mis ma main devant ma bouche pour ne pas hurler. Devant moi, des centaines de corbeaux gisaient au sol, mort et ensanglantés, formant un mot que je n’arrivais pas à distinguer. Des larmes de terreur s’amassèrent au coin de mes paupières. Un malheur s’était produit. Je pris la croix entre mes doigts et répété, encore et encore :

-Dieu tout Puissant, protège-nous.

J’en étais à réitéré une énième fois cette supplique, quand tout à coup, je sentis qu’on m’observait. En bas, ils avaient tous levé les yeux vers moi. Un frisson glacial me parcourut l’échine et enveloppa mon corps de son étreinte marmoréenne. De la buée se forma à mes lèvres qui étaient devenues sèches et craquelées. J’ouvris la fenêtre d’un geste mécanique et tous, levèrent le doigt en me pointant. Ils avaient l’air catastrophé. Je clignai des yeux, pour ajuster ma vision et peu à peu, je distinguai ce que les oiseaux formaient comme mot.

-Non ! Hoquetais-je.

Je reculai précipitamment et me cognai contre mon lit. Complètement paniquée, je m’élançai dans la chambre d’à côté, le cœur au bord des lèvres. J’ouvris la porte, je m’en souviens pourtant, et je restai interdite devant le spectacle. La petite chambre jaune et violet avec son lit simple à baldaquin était vide, à l’exception d’un corbeau, mort, qui y gisait, profanateur. Prise d’un accès de rage folle, je m’emparai de l’oiseau défunt et couru vers ma fenêtre, où personne n’avait bougé, comme figé dans le temps, attendant la suite de l’histoire. Je hurlai de désespoir et balançai l’oiseau sur les autres, voulant effacer le mot funeste qu’ils avaient formé. Celui-ci, s’écrasa dans un poc sourd sur l’asphalte sans oblitérer une seconde les lettres. Je tombai à genou, le corps secoué de spasme, sans pour autant sentir couler les larmes qui brûlaient mes paupières closes où était imprégné à jamais son prénom écrit de sang et de plumes :

Lylie.

Fin.


jeudi 16 juin 2016

De l'autre côté de mon coeur






Il y a trois nuits, j’ai vu l’ombre de ton âme s’éteindre. Je voulais te dire, tu sais…, mais il est trop tard. J’ai couru pour oublier, pour mourir.

Comme toi.

Je pensais que ça ne changerait rien, que tu deviendrais un souvenir. Tu t’es plutôt transformé en cauchemar. Toutes les nuits, je me réveille en sueur, le cœur palpitant. Je te revois, silhouette désarticulée, pantin de bois au bout de la corde et je me dis : tu as bien choisi ta mort, salaud. À présent, je ne peux plus dormir. Tes yeux ne cessent de me fixer. Deux billes vides. Le néant.

Mais qu’est-ce qui m’arrive ?

Toi et moi. Toi. Moi. Seul. Et je pleure, parce que je sais. Cet abysse que nous avons creusé de nos quatre mains. Les rêves et les rires qui s’envolaient à chaque pelletée. Oui, je sais que j’ai rainuré le trou de cet arbre qui a jailli dans ta poitrine et auquel tu as accroché la corde de notre échec. Tu disais pour toujours et je te répliquais de ne pas formuler des promesses construites sur les ailes des papillons.

Si fragile, si facile à briser.

Trois jours que tu es déjà loin, mais il y a des mois, déjà, que tu avais commencé à sillonner cette route sombre et sinueuse. Pourtant, je ne l’avais pas remarqué. Ou, je n’ai pas fait attention. Je ne voulais pas comprendre, je voulais encore croire que les étoiles d’hier étaient l’espoir de demain. J’avais tort. Comment tout ce mépris et ce vide entre nous auraient pu se guérir ? Je t’ai aidé à acheter la corde et les piquets. Nous devions aller camper. J’ai cru ce mensonge parce que ça m’arrangeait. Je déglutis.

J’enserre les draps de mon lit à m’en blanchir les jointures.

Qu’est-ce qui m’arrive ? Qu’elle est ce poison qui bouillonne dans mon sang, me donne la nausée, mais en même temps, une exaltation sournoise ? Tu étais devenu un inconnu, je ne me sentais plus amoureuse et je te détestais de m’avoir fait croire des promesses dérisoires. Comme si nous allions toute la vie boire du thé, rire, danser et faire des balades sur la plage. Qu’elle ironie de ma part, d’avoir pu imaginer que tout ça, tous tes beaux mensonges étaient mon conte de fées ?

La vérité ?

C’est que je souhaitais ta mort et qu’en achetant la corde, j’ai fermé les yeux et j’ai rêvé que tu t’y balançais, tel un funambule sur son fil.

Voilà, ce qui m’arrive.

Fin.

mercredi 15 juin 2016

Le baiser de la magicienne

Thème : Ciel rouge le matin, avertit le marin
 
 ***
 
-Regarde le ciel, il se teint de vermeil. Il faut avertir les marins !

J’ai levé les yeux, malgré que je l’aie déjà aperçu, du coin de l’œil, un peu plus tôt, pendant que je surveillais la proue. Il fallait bien que je confirme ses dires, si je voulais prendre une décision. Cependant, en apercevant le rouge profond, presque bouillonnant, j’ai eu un hoquet de consternation. Certes, c’était magnifique ces lignes rubis striées d’or dû au lever de soleil imminent, mais ce que cachaient les causes de ce phénomène n’augurait rien de bon. Il fallait faire demi-tour immédiatement.

-Nous sommes damnés, n’est-ce pas ?

La voix de mon second me fit sursauter. Je l’ai fusillé du regard.

-Ne t’avise pas de répéter cela à quiconque. Tu vas foutre la trouille aux marins et ils ne pourront plus fonctionner. J’ai besoin qu’ils soient alertes pour nous sortir d’ici.

Il voulut répliquer, mais d’un geste de la main, je l’ai congédié. J’avais besoin de toute ma concentration pour nous naviguer hors de la zone maudite. Je ne comprenais pas pourquoi ce mauvais sort s’était abattu sur nous, si peu de temps après notre départ. Mes tripes se tordirent dans mon ventre. L’angoisse a fait son chemin le long de ma colonne vertébrale. J’ai serré la mâchoire à m’en faire mal et j’ai donné un coup de barre pour diriger le navire vers l’ouest, vers notre sécurité.

-Izabelle…

Mon cœur s’est serré douloureusement à la pensée de ma fiancée qui devait très certainement m’attendre sur les berges de notre île. Je lui avais promis mon retour, je ne pouvais pas me dispenser de cet engagement. J’ai étreint de toutes mes forces la barre à me blanchir les jointures et j’ai fait cap vers un ciel plus clément, un ciel bleu.

-Monstres à tribord !

La voix affolée d’un matelot me tira de ma concentration. Nous étions presque hors de danger, je ne devais pas céder à la panique. Mon second pouvait s’en occuper. Cependant que je continuais sans réagir, celui-ci a surgi à mes côtés le teint exsangue.

-On est encerclé.

J’allais lui répliquer quelque chose, quand j’ai aperçu des dizaines de sirènes flottant dans l’eau tumultueuse.

-Donnez-nous la femme et nous sombrerons à jamais dans l’oubli, recolorant le ciel de ses couleurs d’espoirs.

-Il n’y a aucune femme à bord, à hurlé mon second. Vous faites erreurs.

L’une des sirènes s’avança dangereusement. Elle était surement le chef. Elle possédait de grands yeux turquoise étoilés de vert jade. Ses lèvres vermillon s’étiraient dans un rictus sauvage. Sa longue chevelure dorée cascadait dans son dos. Sa poitrine nue laissait voir deux seins opalins et fermes. J’ai accusé le coup de sa beauté en titubant. Elle m’a suivi du regard et s’est esclaffée. Son rire m’a presque rendu fou. Je me suis avancé lentement vers elle, avec l’intention de discuter, mais dès que je fus près du bord, elle noua l’infini de ses yeux au mien et je me sentis basculer.

-Je sais, murmura-t-elle.

Je déglutis péniblement.

-Que vas-tu faire ? Susurra-t-elle.

Elle nagea pour être tout près du bateau. J’ai senti mon second s’approcher de moi. Sa tension était palpable. Le corps de la sirène ondulait avec provocation tandis que les autres, psalmodiaient un hymne aux intonations tragiques. Je vis du coin de l’œil, un matelot éclater en sanglots et éperdu, se jeter dans l’eau. Trois sirènes rousses se précipitèrent à sa rencontre et disparurent dans les profondeurs de l’océan noir avec le malheureux.

-Un par un, ils sauteront vers leur mort si vous ne nous rendez pas la femme nous prévint la diablesse.

-Mais puisque je vous dis que vous faites une grossière erreur, s’insurgea mon second qui étrangement, échappait à la chanson hypnotisant des sirènes.

-Vous croyiez ? Répondit doucement la chef.

Au même moment, un second matelot sauta par-dessus bord, cueilli par des bras glaciaux.

-Lex, fait quelque chose, parlemente avec elle, dit-lui, qu’il n’y a pas femme sur ce navire.

La sirène me fixa, le regard teinté d’amusement.

-Un sacrifice, pourrait me satisfaire me dit-elle.

Mon second toussota scandalisé. Je n’ai pas pipé mot. Que pouvais-je faire ? J’étais le capitaine, il me fallait prendre une décision en faveur de sauver mon équipage. Ils comptaient sur moi. J’étais le seul à pouvoir le faire.

-Je suis désolé Izabelle, murmurais-je faiblement, j’espère que tu sauras me pardonner.

Un cri désespéré accueilli mes mots. Un autre matelot venait de se jeter à l’eau. Je devais agir.

-Arrêter, ais-je crié, cessez ce chant mortel, il y aura un sacrifice.

-Lex ! S’est exclamé mon second.

La magicienne des eaux m’a regardé imperturbable. Le ciel était gorgé de sang et celui-ci, si je n’agissais pas vite, allait se déverser sur le bateau, l’amenant en enfer.

-Je m'excuse.

Je me suis tourné vers mon second le regard brouillé de larmes, mais aussi de détermination. Avant même qu’il puisse réagir, je l’ai poussé de toutes mes forces par-dessus bord. J’ai vu ses yeux s’agrandir d’horreur, quand il a percuté le ponton et basculé dans l’eau marmoréenne. La sirène aux yeux turquoise m’a sourit triomphante puis s’est jetés sur mon second. Elle a scellé ses lèvres aux siennes et a aspiré de toutes ses forces. Je l’ai vu se désintégrer sous l’effet du sort. Quand elle eu terminé, elle la jeté à ses sœurs qui se sont empressé de le prendre et de disparaître sous les eaux agités.

-Ton secret est le mien à présent. Tel que promis, vous êtes libre, mais sache que si tu reviens naviguer par ici, je ne te laisserai pas une seconde chance.

Je déglutis péniblement.

Elle inclina la tête de côté et me toisa.

-C’est du gâchis de…

-Aller vous en m’écriais-je, horrifié qu’elle ait su voir au-delà de mon masque. Vous avez promis…
Elle hausse les épaules, presque indifférentes.

-Soit, mais si tu changes d’avis, un jour, tu sauras trouver ton chemin jusqu’à moi. Tu n’auras qu’à murmurer mon nom, Elvyna.

-Partez ! Hurlais-je.

Elle étira ses lèvres grossières dans un rictus de fauve et sautant hors de l’eau. Je vis sa longue queue faite d’écailles incandescentes et mon souffle se bloqua dans ma gorge. Elle déposa ses lèvres à l’orée de ma clavicule droite. La brûlure fut terrible.

-Adieu.

Elle replongea dans la mer devenu calme.

J’abaissé mon regard sur ma peau pour y voir, épouvanté, mon prénom gravé en lettre d’ardoise brûlante.

LEXA.

FIN.