mercredi 21 septembre 2016

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Thème :


***


Je lui ai sorti un Yop de la poche intérieure de mon manteau et je lui ai tendu, le regard brillant d’espoir.

-Tu sais que t’es pas mal comme mec, finalement.
-Coupez ! Ça ne va pas du tout. Il faut de la passion, de l’amour, je veux que dans tes yeux ont y lise : j’ai envie de te baiser. Capitchez, Sonia ?
-Mais comment veux-tu que j’aie envie de baiser ce mec, tu l’as regardé, oui ?

Je lui ai souri, mais en réalité, j’avais juste envie de lui cracher à la figure. Elle se moquait, mais elle ignorait à qui elle avait réellement à faire. Ce n’était pas ma faute non plus, si j’avais des boutons. J’avais fait hier, une réaction allergique à ma crème à raser. Puis, est-ce qu’elle s’était regardé, elle ?

-Allez les amants maudits, on recommence et cette fois-ci, je veux de la verve et de la ferveur.

J’ai levé les yeux au ciel. Notre metteur en scène se la pétait peut-être un peu trop et si ce n’avait été de mon agent, il y a longtemps que j’aurais mis les voiles d’ici. J’ai tout de même repris ma position et quand j’ai entendu : action, crié très fort, j’ai sorti mon Yop pour la quatorzième fois, de mon blouson en jean.

-Coupez !
-Comment ça, coupez ? On a même pas parlé, encore ! Me suis-je exclamé, offusqué.
-Justement, ton langage corporel est lamentable. Le Yop, là, c’est le Saint Graal, la septième merveille du monde, le Calice, pas un vulgaire machin du coin. Qu’est-ce que vous comprenez pas là dedans, dites-moi ?

Sonia, en diva à en devenir qu’elle était, a haussé les épaules avec indifférence. Cette chipie n’allait pas lever le petit doigt pour nous dépêtrer de ce tournage interminable. Je me suis avancé vers elle, les épaules droites et le regard déterminé, enfin, j’espérais que ça avait l’air de ça.

-Écoute, j’en ai autant marre que toi, sinon même plus, mais on est coincé ici jusqu’à ce qu’on joue cette pub à la perfection, alors, s’il vous plaît, fais-moi le plaisir d’y mettre de l’entrain et de la paaaaassion.
-Ce n’est pas moi le problème, je fournis tous les efforts possibles et imaginables, mais je n’y peux rien, ta tronche ne me reviens pas. Tu as une sale gueule.
-Putain de bordel de merde que tu es butée. T’aurais besoin d’une bonne correction pour te remettre les idées en place. Ici, c’est pas un palais, c’est un PLATEAU DE TOURNAGE.
-Ça va, pas besoin de hurler, je ne suis pas sourde. Puis, ce n’est pas tes boutons, le problème, c’est ton nez, il est trop gros.

J’ai levé la main pour la gifler et savourait déjà les biens-fait de cette remise à l’ordre mérité, quand un cameraman m’attrapa le poignet et le tordit dans mon dos.

-Vous allez arrêter oui ? On dirait deux enfants de douze ans. C’pas croyable ça. On vous demande une chose et vous n’êtes même pas assez professionnel pour le faire.

-Lâchez-moi, vous me faites mal.
-J’espère bien, gamin et vous, Sonia, cessez de jubilez. Vous ne valez pas mieux.

J’ai serré les dents d’agacement et Sonia, à croiser les bras sur sa poitrine la moue boudeuse. Le metteur en scène s’est avancé vers nous, le regard menaçant.

-C’est mon dernier avertissement. Je me fiche bien de savoir qui vous êtes. Ou vous tournez cette pub, ou je vous renvoies sur le champs et vous pouvez dire adieu à votre joli cachet. Allez, sa tourne dans dix.

Le cameraman m’a relaché et j’ai pris d’un geste rageur le Yop. Sonia s’est positionné près de moi, devant les arcades et elle m’a fait une mimique de dégoût. J’ai voulu lever les yeux au ciel, mais le action a retentit…


***
-Chérie, vient vite.
-Ça ne peut pas attendre ? Je dois surveiller de très près la cuisson du saumon. Je sais que tu l’aimes quand il est rose pâle...
-Le poisson peut attendre, c’est une surprise, allez vient.

J’ai distingué des marmonnements incompréhensible et j’ai souris en l’entendant arriver. Elle a passé le cadre de la porte du salon et mon coeur s’est emballé. Elle avait peut-être beaucoup de cheveux blancs et quelques rides qui marquaient une vie bien remplis, bien vécue, mais à mes yeux, elle restait encore et toujours la même.

-Pourquoi tu me fais courir comme ça ? Je n’ai plus vingt ans, tu sais ? Dit-elle légèrement essoufflée.

Je lui ai tendu ma main parcheminé de rides et elle l’a prise avec affection tout en rechignant un peu pour la forme. Je me suis sentie choyé de l’avoir encore à mes côté depuis tout ce temps.

-Regarde, il y a un spécial sur les années quatre-vingt dix à la télé. Il passe notre pub. Tu te souviens, Sonia ?

FIN.

À l'angle de nos coeurs


Thème : Angle mort. 
 
***

C’est arrivé hier, au coin de la quinzième et de Warteloo.

J’avançais d’un pas rapide, des fleurs pleines les mains. Un gros bouquet avec des roses, mais pas que. Il y avait aussi des oiseaux du paradis, des lys d’un jaune très doux et des frangipaniers blancs, ses préférés. J’étais fébrile et un peu désorienté. C’était un grand jour qui lentement, se dessinait à l’horizon. J’allais être papa. Pour moi, ex criminel, je prenais cela comme un signe que j’étais pardonné de tous les actes que j’avais commis plus jeune. Certes, il m’arrivait parfois encore de faire de petits boulots, mais rien d’extravagant. C’était surtout pour payer les factures qui s’accumulaient. Maïa, désirait tant accueillir ce petit être avec les honneurs qu’il se doit, qu’elle achetait en quantité considérable, vêtements, jouets et décoration pour la chambre qui, soit dit en passant, était magnifique. Entre vous et moi, je ne lui avais pas démontré trop mon enthousiasme pour ne pas perdre ma crédibilité, mais elle a du goût, ma Maïa chérie.

Je l’aime, si vous saviez.

Je sais, ça fait cliché de penser ça. De le dire aussi, surtout pour un homme comme moi. Cependant, c’est la vérité, elle m’a sauvé des affres de l’enfer ou doucement, j’étais en train de sombrer. De petit criminel, j’entends par là que j’étais un cambrioleur, j’allais franchir le pas vers la grande cour, celle d’où on ne revient pas : le meurtre. C’était ma mission et pas la moindre. J’avais su me tailler une place dans le milieu, ma réputation me précédait et j’étais de confiance. J’étais le meilleur cambrioleur de la ville, je pouvais subtiliser n’importe quoi au nez et à la barbe des gens. Rien ne m’effrayait, pas même les caméras cachées un peu partout. Je me sentais invincible, mais surtout invisible. Dans le cercle très fermé des criminels, quand vous êtes bons, vous pouvez grimper rapidement les échelons et vous faire énormément de pognon. C’est lucratif, oui, mais très dangereux. Je me souviens encore de ce matin de juin. Il ne faisait pas encore jour, le ciel, au loin, se paraissait de rose vif et d’orange. C’était flamboyant. On m’avait donné rendez-vous à l’angle de la quinzième et de Warteloo. Le même où dix ans plus tard, je me tiens en attendant pour traverser la rue. C’était mystérieux comme invitation. Il y avait eu beaucoup de chuchotement à ce sujet. J’aurais préféré ne pas m’y rendre, je ne le sentais pas trop, mais on m’avait clairement fait comprendre que refuser n’était pas une option si je ne voulais pas froisser irrémédiablement la personne qui désirait me rencontrer. Alors j’y suis allé, parce que j’étais curieux, mais aussi parce que j’avais vingt et un an. Quand j’ai vu la silhouette qui se dessinait lentement à l’horizon, marchant d’un pas légèrement boitillant, j’ai su à ce moment que ma vie ne serait plus jamais la même.

On m’a confié l’assassinat de la princesse Lana.

Je l’aurais fait. Je n’en suis pas fière et ça restera toujours ma part d’ombre, celle qui parfois, scintille dans mon regard, surtout quand je me retourne vers le passé. Il y a des soirs où je me réveille complètement désorienté et effrayé. J’ai l’impression d’être dans la chambre aux foulards de soies ambrés. Je la revois étendu près de moi, offerte et confiante.

Lana.

Elle ne le sait pas, Maïa, que j’ai aimé très fort avant elle. Tomber amoureux de sa proie. Encore un truc cliché à mon actif. Je les cumule… Et pourtant, c’est la vérité. Elle était belle, fougueuse et impertinente. J’ai crû que j’allais la tuer plus d’une fois simplement parce qu’elle avait ouvert la bouche. Une très jolie bouche, certes, mais qui crachait des inepties à n’en plus finir. Elle me rendait fou et moi, comme un con, comme un débutant, je me suis laissé prendre au piège. Je l’ai aimé en secret puis, à grand cri dans ses draps de satin. Ma Lana. Morte aujourd’hui, par ma faute, mais pas par mes soins.

Une balle dans le coeur, des grands yeux noirs ouverts sur les étoiles dessinées sur le haut de son baldaquin. Du sang, partout, des éclaboussures de rêves déchiquetés.

J’ai dû fuir parce que j’étais à présent, persona non grata. On me recherchait de partout. J’avais failli à ma mission, mais surtout, j’avais essayé de trahir ceux qui m’avaient engagé. J’avais dégringolé à grand bruit, toutes les marches que j’avais mises longtemps à grimper. Pourtant, très vite, je me suis rendu compte qu’il me serait impossible de me cacher indéfiniment et je n’en éprouvais pas réellement le désir. Je me sentais mourir à petit feu. Comme une fleur dont on ne prend pas soin, je perdais de ma vigueur et de mon intérêt en tout chose, même de me nourrir et de boire. Lana me hantait et une semaine plus tard, tout ce qui m’importait, c’était la rejoindre. Je voulais, par contre, que ça soit à la hauteur de la femme qu’elle avait été. Elle m’avait offert sa vie, j’allais lui donner la mienne en retour. J’étais un peu romantique, à cette époque ou pour être plus juste, évaporé. Je n’étais plus Guillaume, j’étais l’ombre de Lana et j’errais, sans but, dans les rues. J’ai échafaudé un plan pour que ma mort soit grandiose. J’allais emporter avec moi, la tête du clan qui m’avait engagé pour la tuer. Je me suis muni d’armes, de faux papiers et j’ai commencé à faire circuler des rumeurs. Je voulais que les gens parlent de moi, qu’on se pose des questions à mon sujet, qu’on se questionne.

J’ai fini par me rendre là où je voulais mais ce n’était pas le grand criminel qui m’attendait, c’était Maïa.

J’inspire profondément à me remémorant ce souvenir. Je la revois, grande, belle dans sa robe d’été couleur pêche et son sourire, le plus doux que je n’avais jamais vu. Elle m’a offert sa main et a chuchoté très bas : allons-nous en d’ici, partons très loin, quoique tu es fait, cela ne mérite pas ta mort. J’ouvre brusquement les yeux, le coeur battant. Quelqu’un m’a bousculé, mais je n’y fais pas attention. Pourquoi, à l’époque, je n’avais pas trouvé cette phrase étrange ? Pourquoi l’avais-je suivi aveuglément, sans poser de questions ? Parce que j’étais désespéré, mais surtout, parce que j’étais un…

-Un lâche, oui.

J’ai serré les poings très forts, essayant de contrôler le flot d’émotions violentes qui se fracassait en moi, tel d’immenses vagues sur la berge. J’ai serré les dents, parce qu'étrangement, j’avais envie de pleurer. J’ai regardé les deux panneaux de rues. La quinzième et Warteloo. Notre chemin croisé. Un angle mort. Des pourquoi et des comment, se sont heurtés à mon coeur et on voulut sortir de ma bouche, mais je me suis mordu la langue pour ne pas parler. C’était d’une telle évidence, que je ne comprenais pas pourquoi, je n’avais rien vu plutôt. Mon ego démesuré m’avait préservé de la vérité. J’ai finalement lâché un soupir de lassitude. Les gens continuaient leur chemin, sans s'apercevoir que tout à côté d’eux, se dénouait la fin de l’histoire.

-Je…
-Je n’ai pas besoin de tes excuses ou tes mensonges.
-Tu ne devrais pas être là.
-Tu crois ?

J’ai entendu qu’elle armait le chien de son pistolet. Ça a fait un petit clic. Ça m’a semblé un coup de tonnerre.

-Je t’ai aimé.

Lana.

-Pas moi.

J’ai su qu’elle mentait, j’ai senti les larmes amères dans sa voix qu’elle durcissait pour ne pas que je sache qu’elle tremblait de peur. J’ai compris, trop tard, qu’il y a dix ans, ce n’est pas moi qu’on avait engagé pour tuer Lana, c’était elle. J’avais pris trop d’importance au sein de la bande de criminelle et on avait essayé de m’éliminer. Ils ont attendu que je tombe amoureux d’elle pour la recruter et lui faire croire que je l’avais dupée depuis le début. Ils ont mis en scène sa mort pour que je me suicide. Ils me connaissaient bien. Trop bien. Mais Lana, n’avait pas voulu se contenter de ça, elle désirait une vengeance flamboyante, à la hauteur de ma trahison. Elle avait alors envoyé sa cousine Maïa pour “m’aider”. La suite, n’était que hasards et histoires secrètes de coeur. Maïa était tombée amoureuse, m’entraînant avec elle dans ces sentiments que je croyais à jamais éteint. Avait-elle cru, qu’ainsi, elle nous sauvait de la folie de sa cousine Lana ?

-Elle est enceinte, ne lui arrache pas ce que tu lui as obligé à prendre.
-Tu n’es rien pour moi, je veillerai sur Maïa et sur l’enfant.
-Mais moi, je suis tout, pour elle.

Un cri d’animal blessé s’est réverbéré dans mon dos. Elle s’est précipitée vers moi et m’a cogné très fort avec la crosse de son pistolet. Les gens autour se sont affolés. J’ai posé ma main sur ma nuque et sentit le sang poisseux sur mes doigts. Je me suis retourné, vif comme l’éclair. Sa vue, m’a complètement chamboulé. Pendant une seconde, dans ses yeux turquoise, j’ai contemplé la mort. Elle m’a mise en joue, mais instinctivement, je me suis baissé et j’ai chargé vers elle. Je l’ai attrapé par la taille et l’ai plaquée au sol. La touché fut comme une décharge électrique. Les battements de mon coeur se sont accélérés. Une rage indescriptible s’est répandue dans mon corps et je l’ai frappé. Une fois, deux fois, trois fois. Des cris de stupeurs s'élevaient autour de nous. Quelqu’un a essayé de me retenir, mais j’étais plus fort et je l’ai repoussé. J’ai levé à nouveau le poing pour tuer les vestiges de notre amour floué, mais mon regard a rencontré le sien. J’y ai vu miroiter l’amertume de l’escroquerie, sa jeunesse bafouillée et ses rêves fracassés. J’ai suspendu mon élan, magnétisé par l’étendue de sa souffrance. C’était Roméo et Juliette à l’envers. Des larmes ont coulés de ses prunelles nébuleuses, puis, elle a pointé le pistolet qu’elle n’avait jamais lâché sur mon coeur et a tiré. Le choc fut d’une telle intensité, que j’ai crû que tous mes os explosaient en millier de morceaux. J’ai ouvert la bouche pour dire quelque chose, mais il n’y a que du sang qui en soit sorti. La balle avait pulvérisé mon coeur, je sentais les dernières secondes de ma vie s’évaporer. Elle m’a enlacé avec une extrême douceur et à chuchoté à mon oreille :

-Je t’aime.

FIN.

mercredi 14 septembre 2016

L'arche de Noé


 Thème : Jurons originaux
 
 ***
 
 L'arche de Noé
 
 
J’ignore comment c’est arrivé. Je suis plutôt méticuleux, en général, mais cette fois-ci, ça complètement dérapé. Une punaise de lit de chance que j’avais eu la présence d’esprit de ne pas signer, comme je le fais toujours. Sûrement, le ciel qui m’a envoyé un printemps de signe. Je me souviens très bien que la journée avait commencé anormalement bien. Je ne suis pas du genre superstitieux, mais plutôt du genre prudent. Alors, quand le jour J arrive, je suis toujours à noter le moindre détail de tout ce qui se produit. Ce matin-là, il pleuvait à verse. J'ai bien crû que Dieu, dans son délire perso, nous rejouait le déluge. Même que pendant au moins une minute, je me suis mis à espérer que j'allais être le nouveau Noé et sauver l'humanité. Ça m'a fait sentir spécial et j'ai failli oublier ce que j'avais de prévu aujourd'hui.

C'était un peu loin de sauver des animaux.

J'étais un peu fébrile, voir même excité. Rien d'anormal à ça, par contre, quand je me sens ainsi, j'aime bien manger des croustilles au BBQ. Le petit goût piquant m'aide à rester focus. Je savais que je n'en avais plus, mais quel n'a pas été ma surprise, d'en trouver dans le garde-manger. Si ça ce n'était pas un polochon de signe, je ne sais pas ce que c'était.

Peut-être que finalement, j'allais sauver une vache et quelques canards.

La journée tirait à sa fin et je me préparais avec méticulosité. Rien ne devait être laissé au hasard. J'ai mis mon pantalon noir et je me suis maté le derrière. Bien ferme et rebondit. C'est important, dans mon métier, de bien paraître et surtout, d'être désirable. Je m'entraîne fort et je ne laisse rien à la légère. J'ai souri un peu niais et si j'avais voulu être vulgaire, j'aurais dit que j'avais un sortilège de beau cul. Mais bon, je suis un gentleman, je reste poli tout de même. Donc, j'ai revêtu une chemise d'un gris tempête et enfilé un chapeau pour me donner encore plus de charme. Franchement, j'étais à croquer. J'ai sorti un petit sac de voyage et déposé à l'intérieur tout mon matériel ainsi que sa photo. Elle était immortalisé avec son animal de compagnie.

Et un cochon d’inde, il semblerait.

La pluie avait cessé, mais le ciel était bas et gorgé de gros nuages noirs. Les gens dans la rue, marchaient de pas rapide, la tête rentrée dans le cou. Le vent était glacial, mais ça ne m’affectait pas. J’irradiais d’une chaleur, un peu comme un feu de foyer. Ça allait arriver. Tous ces mois de préparation arrivaient à terme. J’ai marché près de quinze minutes et je peux affirmer, sans me tromper, qu’on m’a au moins dévisagé le postérieur trente fois à la dérober, et dix fois, franchement. On m’a même remis un numéro de téléphone. C’est là, que j’ai commencé à me poser des questions.

Est-ce qu’il y avait des rats dans l’arche ?

Je sais qu’avec mon pantalon moulant, mon chapeau et mon trench, j’ai une allure folle, mais j’attirais beaucoup trop l’attention. J’avais un furet de boulot à faire et le mieux, c’était que je passe inaperçu. J’avais l’impression, pour l’instant, d’être dans un spectacle dans un club de nu. Ce n’est pas pour me déplaire, j’aime qu’on me regarde, mais ce n’était pas le bon moment. J’ai alors changé d’itinéraire pour me rendre sur place. Ça, oui, ça, je crois que c’est Dieu lui-même qui m’a guidé sur ce chemin. Aujourd’hui, quand je repense à cette journée, je me dis qu’Il a vraiment besoin d’un nouveau sauveur de cochon et c’est pour ça qu’Il a pris ma main et m’a entraîné sur le chemin de traverse. Enfin, je dis ça parce que ça sonne bien, mais en réalité, c’était un chemin de terre boueux et mes bottes en ont pris pour leurs frais.

Combien il y a d’animaux, dans cette foutue arche ?

Quand je suis arrivé au numéro 666, j’ai comme eu un sursaut d'incrédulité et mon coeur s’est mit à faire des bonds irréguliers. Ça sentait le roussi, mais je ne pouvais pas reculer. J’ai tendu la main vers la série de chiffres, et j’ai vu qu’en fait, ils étaient mal fixés. J’ai lâché un soupir qui a fait bondir le chat de cinq mètres dans les airs. Il s’est tourné vers moi, le dos rond et le poil hérissé. J’ai inspiré un bon coup et je lui ai craché dessus. Il a détalé sans demander son reste.

Finalement, il n’y aurait pas de chats, sur l’arche. Tant pis.

J’ai fait le tour de la maison, j’ai ouvert doucement la fenêtre et écouté les bruits ambiants. C’était plutôt calme, comme je m’y attendais. Elle devait être en haut, en train de faire sa sieste. Depuis des mois que j’observe le moindre de ses faits et gestes et que je note tout. Le jeudi à quinze heures, elle se fait une cure à l’eau de rose et à la lavande et dort une heure. Elle a un teint radieux et des yeux pétillants de jeunesse. C’est ça qui m’a séduit le plus, le bleu perçant et féroce de ses prunelles. Une soif intarissable de vivre. Le désir m’attire toujours, la beauté aussi. Cette fille, a vingt-trois ans, un corps magnifique et une chevelure assez courte, mais d’un roux profond, presque indécent.

Toi, si j’étais Noé, je te sauverais bien dans mon arche, même si tu n'est pas un animal.

Mais bon, soyons réaliste, je ne crois pas que Dieu m’ait choisi pour ce rôle. Enfin, moi, je ne dis pas non, mais je trouve ça difficile comme job, aller chercher deux paires de chaque animal. J’ai autre chose à faire, aussi. Puis, il faut manger, hein, personne n’a pensé à ça, que deux paires d’animaux, ce n’était pas suffisant ? Colibri d’incompétent, ces gens, quand même…

Donc, m’étant fait à l’idée que je n’allais pas être le prochain Noé, j’ai lentement pénétré dans la chambre. Sa respiration était régulière et sa poitrine se soulevait à ce rythme. C’était presque hypnotisant. Je la contemplais, béat d’admiration devant tant de vitalité et de fraîcheur. J’ai souri, je m’en souviens et doucement, je me suis assis sur le bord du lit. J’ai caressé sa joue sans aucune imperfection et le feu est revenu, mais cette fois-ci c’était plus un feu de forêt. J’ai ouvert mon sac et j’en ai sorti ma corde. J’ai pris ses poignets que j’ai attaché à la tête de son lit. Ensuite, j’ai fait de même avec ses chevilles que j’ai attachées ensemble. Je sais, que vous vous demandez, à ce moment, pourquoi elle ne s’est pas réveillée. C’est simple, je suis un professionnel, voyez-vous. J’avais tout prévu. Le verre d’eau sur sa table de nuit et une dose de somnifère qui aurait pu assommer un cheval, au lieu de son médicament naturel. Je sais, je suis le meilleur.

J’aurais pu être Noé, je sais comment soigner les bêtes en détresse.

J’ai ensuite sorti mon long couteau. À ce moment-là, je me sentais réellement comme Dieu. Puissant, prêt à écraser avec mépris la vie. Sans sourciller, sans pleurer. Je suis un folichon de Dieu ! De mon couteau, j’ai longuement caressé sa peau de pêche. Je l’ai vu frémir à plusieurs reprises. Je me suis humecté les lèvres, résistant à l’envi de toucher les siennes. C’était bien la première fois, que j’éprouvais une émotion pour ma victime. Celle-ci, était mon serpent. Ce n’était pas désagréable, comme sentiment, mais cela réduisait ma concentration. J’étais fasciné par elle, par ses lèvres charnues, par son petit nez, légèrement retroussé et par sa poitrine plus que rebondie. Elle était mon fruit défendu et je n’avais qu’une envie, la prendre violemment. Et c’est ce que j’ai fait, parce que je suis beau et parce que j’ai ce droit. J’ai soulevé mon arme, qui a capté un rayon de soleil, et je l’ai abattu droit dans son coeur. Un long frisson de plénitude a traversé ma main pour venir se loger dans mon corps. J’ai basculé la tête vers l’arrière et j’ai goûté ce long parfum qui ondulait en moi. Puis, j’ai recommencé encore et encore, jusqu’à ce que ses draps blancs soient gorgés de pourpre sombre. Comme du vin. Jusqu’à ce qu’elle n’ait plus de soubresauts, jusqu’à ce que sa jeunesse est fuie par ce liquide vermeil.

En général, je profane le corps, pour faire croire à un détraqué sexuel, mais je ne pouvais pas, cette fois-ci. C’est ce qui m’a sauvé. J’en étais à ranger mes trucs pour ne laisser aucune trace quand la porte d’entrée s’est ouverte à la volée et que j’ai entendu aux bas mots, trente personnes crier :

-Joyeux anniversaire Stella.

-Tablette de cadran à batterie me suis-je exclamé.

Si j’avais été en elle, jamais je n’aurais eu le temps de fuir. J’ai embarqué le dernier témoin et sauté par la fenêtre. J’ai repris le chemin boueux que Dieu, dans sa grande miséricorde, m’avait montré plutôt et je me suis imaginé l’effet que les invités auraient en voyant mon cadeau.

Finalement, ma princesse allait être la reine de la soirée et moi, je ferais un Noé remarquable, pour avoir sauvé le cochon d’inde d’une hystérie certaine.


FIN