jeudi 14 mai 2015

Sous l'eau



Thème : Sous l'eau 


-Allez, dis-moi, m’a-t-il écrit ? 

Je jetai un coup d’œil furtif sur l’écran noir du cellulaire qui gisait sur ses genoux et secoua la tête négativement, l’air supérieur. 

-Laisse tomber ce mec, dis-je avec véhémence, il n’en vaut pas la peine. Tu dois te consacrer à tes études, réussir avec mention et obtenir ton diplôme, qu’on puisse se casser d’ici avec les honneurs et les fleurs. 

Lysandre soupira et se carra sur le siège conducteur, l’esprit ailleurs. Pourtant, ils avaient passé le plus beau mois de sa vie. Ils étaient allés au cinéma, au restaurant et elle était allée le voir jouer au théâtre. Ils s’étaient même embrassés, sur la bouche et avec la langue. Ça voulait certainement dire quelque chose non ? À ces souvenirs, elle ne put réprimer un second soupir triste. Je la dévisageai sévèrement, aucune trace de compassion dans ses yeux mordorés. J’aurais voulu que cet imbécile de Gabriel, l’invite au bal de fin d’année, comme celle-ci le souhaitait ardemment, mais je préférais mourir que de l’admettre. Ce n’était pas mon rôle de pleurnicher avec elle. Je devais être le pilier où elle peut s’accrocher. Je devais être indispensable si je ne voulais pas me retrouver seule, une fois à l’université, à l’automne prochain. 

Il ne fallait pas se leurrer, je n’étais ni une beauté, ni très sympathique. Rien à voir avec Lys, qui elle, était auréolée par la magie de la vie. Ses yeux, d’un vert doux, presque turquoise, pétillaient toujours comme le reflet du soleil sur la mer miroitante. Son sourire, presque toujours dessiné sur son visage en cœur, chavirait le cœur de n’importe qui, qui avait le bonheur de la croiser. Elle avait aussi des lèvres pleines et d’un rouge framboise coulant. Grande, mince, bien proportionné, elle avait tout de la putain de fille cliché dans les livres. J’aurais voulu la détester, même la tuer, parfois, mais elle n’avait pas ce sale caractère de ceux qui naissent avec les étoiles à leurs pieds. Elle était simplement une jeune fille magnifique, au cœur brisé du rejet de son compagnon et moi, je n’étais que sa meilleure amie, par intérêt. 

Parfois, je la contemplais à son insu et je détaillais chaque partie de son corps, chaque tic, comme celui, quand elle est nerveuse, de se mordiller la lèvre inférieure. Ce qu’elle faisait justement tout en conduisant prudemment. N’était-ce pas suffisant sa beauté, elle était intelligente. Dès que je l’avais aperçue, ce matin de septembre il y a deux ans, je n’avais pu résister à son attraction. Telle la lune en orbite de la terre, j’étais éblouie par ce qu’elle dégageait, attirée par le mystère qui renfermait ses yeux. Sa force et sa volonté étaient à toute épreuve. Aussi improbable que cela pût être, elle m’avait regardée, s’était dirigée vers moi pour me parler et ainsi, notre amitié était née. Le vilain petit canard et le cygne blanc. Une lancinante mélancolie m’a serré le cœur, m’étouffant de regrets et de jalousie. Je l’aimais, mais je ne serais jamais plus que le minuscule satellite qui gravitait autour de son orbite. Elle, elle était le soleil. Qui pouvait concurrencer le soleil ? 

-Zoëlla, est-ce que ça va ? 

Sa voix cristalline et pure, telle la brise de fin de l’été, caressa ma peau. Un frisson me parcourut, hérissant chacun de mes poils. Au même moment, l’écran désespérément noir de son cellulaire, s’alluma, affichant un message rentrant. Elle poussa un cri de joie. Mon cœur fit un bond dans ma poitrine. 

-Qu’est-ce qu’il dit ? Qu’est-ce qu’il dit ? Dis-mooooi, supplia-telle en quittant quelques secondes la route des yeux pour les poser sur moi. 

L’immensité de son bonheur et de son excitation scintillaient dans ses prunelles célestes. Tout ça, pour un mec qui allait surement lui briser le cœur. Une boule se forma dans ma gorge et je dus faire un effort pour articuler posément : 

-Regarde la route Lys ! 

Sagement, elle se détourna de moi, ne remarquant pas les larmes assombrir mon regard qui se reflétait dans la vitre d'auto. Je pris le téléphone qui reposait toujours sur mes genoux pour lire le message qui venait d’arriver. 

-Alors ? Demanda-t-elle d’une petite voix timide. 

Je contemplai quelques secondes l’écran sans pouvoir articuler un seul mot. J’avais la gorge sèche, le cœur fragmenté de désespoir. Je me trouvais ridicule. Elle était si belle, ils étaient faits l’un pour l’autre. C’était ça, la normalité, c’était ça, qui devait être. J’inspirai profondément, chassant la tristesse qui m’étouffait, comme si on enserrait ma gorge avec des mains invisibles. Son bonheur était plus important que le mien, le serait toujours. On ne pouvait pas demander au soleil de ne plus luire dans un ciel bleu. C’était sa destinée et la mienne, de l’accompagner le plus longtemps possible. J’irais acheter avec elle sa robe, je l’aiderais à se coiffer et se maquiller et ainsi, j’aurais l’impression de faire partie un peu de sa vie et de son euphorie. Je n’existais pas, sans elle. Je n’étais qu’une misérable adolescente de dix-sept ans aux longs cheveux noirs ternes et à la peau trop blanche. Je n’étais que moi, méprisable amie, amoureuse du soleil, prête à s’y brûler pour n’avoir que serait-ce un regard velouté de sa part. 

-Zoëlla ? 

Je relevai lentement la tête et nos regards se croiseraient. Le sien aérien, le mien horrifié. Je voulus lui hurler de regarder devant elle, mais il était trop tard, elle dévia subitement de l’autre côté de la route et percuta une autre voiture qui nous fit faire des tonneaux jusqu’à ce qu’on plonge brutalement dans l’eau. Le choc fut si violent, que sa tête aux jolies boucles blondes heurta violemment le volant. Du sang coula doucement de sa tempe. 

À mes pieds, le cellulaire à l’écran ciselé affichait : 

« Jolie Lys, accepterais-tu de me faire l’honneur de ta compagnie au bal des finissants ? » 

Fin.

vendredi 8 mai 2015

La page blanche

Texte écrit sous le thème : La page blanche

Il était assis sur sa nouvelle chaise en cuir véritable, le dos droit, prêt à débuter l'histoire qui lui ferait gagner des millions de dollars. Si un simple sorcier qui allait à l'école et faisait quelques tours de magie, pas très réussis, selon lui, avait réussi à vendre des milliers d'exemplaires, il ne voyait pas pourquoi, lui, n'y arriverait pas, surtout avec l'idée qu'il venait d'avoir. Il devait redorer son blason, le faire reluire, tel qu'il était il y a trois ans, au sommet de sa gloire. Mais depuis, il n'avait rien écrit. C’était le néant intersidéral. Son éditeur, ami d'enfance, beau mâle dans la fin-trentaine, deux filles au bras chaque soir, commençait à faire semblant de ne pas le reconnaître dans la rue. Bon, il  il ne savait pas si ce refus d'entendre les Oyé criés depuis l'autre côté du trottoir était volontaire, ou bien si le vrombissement des voitures atténuait sa voix de ténor, empêchant son ami de l'entendre. Il y avait aussi le fait que la librairie qui affichait ses livres en devanture pour lui donner plus de visibilité, avait fait une vente dernièrement. Il ne l'aurait pas su, s'il n'avait pas vu l'immense affiche où il était inscrit :

"VENTE DE LIVRES USAGÉS 1$ POUR TOUT CE QU’IL Y A DANS LA BOÎTE."


Il s’était penché au-dessus de la boîte et il y avait qu’aperçu ses bouquins. Surpris, il avait levé les yeux et croisé ceux du libraire qui, sursautant, s'était littéralement jeté sur la seule cliente de la boutique. Malgré les apparences, ceci n'avait pas découragé Sheldon d'écrire. Au contraire, ça avait été le coup de pied là où il fallait. Il s'était donc dirigé d'un pas décidé vers un magasin de fourniture informatique et s'était acheté un nouvel ordinateur et une nouvelle chaise.

Règle numéro un
, Il fallait bien être confortable si on voulait bien écrire. Ça et les pantoufles. Être à son aise était primordial. Aussi, un peu de vin ne faisait pas de tort. Ça aidait à relaxer et avoir pleins d'idées géniales. Texter des photos de femmes à moitiés nues prises sur le net pour rendre jalouse son ex-femme n'en faisait pas partie.

Règle numéro deux, toujours éteindre son téléphone. Il ne faut pas être dérangé, sous aucun prétexte. La sonnerie du téléphone est le pire ennemi de l'inspiration. Puis, il finissait toujours par jouer à Angry Bird. Méchants cochons verts! Mais ne nous égarons pas, svp. Sheldon était fin prêt à écrire l'histoire fabuleuse qu'il avait rêvée il y a deux nuits.

Il avait même appelé son éditeur pour lui faire part de la bonne nouvelle et n'avait pas fait attention au manque d'enthousiasme de celui-ci, lui-même en ayant autant qu'une colonie de vacances d'enfants qui vont manger une glace.

Il fit donc craquer ses doigts devant le clavier de son ordinateur, inspira profondément et à l’expiration, sa cervelle alla s’écraser tel un ballon de foot sur l’écran. En y regardant de plus près, cela ressemblait à un gros melon d’eau éclaté.

Règle numéro trois, ne jamais laisser sa porte d’entrée déverrouillée.