lundi 1 avril 2019

Nuit de l'écriture #24

Thème de la nuit :

Ce que je vous propose, c’est dans un premier temps de prendre 5 à 10 minutes pour écrire ce qui vous passe par la tête (Morceau de phrases, mots etc.) en lisant la citation suivante :

« Près de notre portail se dressait l'un de ces arbres immenses connus sous le nom d'arbres joueurs, car leur écorce se détache d'eux comme les vêtements d'un joueur. »

Lian Hearn

A partir de là, vous pouvez « oublier » la citation et vous baser uniquement sur ce qu’elle vous a amené à écrire pour poursuivre ce que ça a fait naître comme impressions/émotions/histoires... Vous pouvez en plus y ajouter des éléments à puiser dans la liste de mots établie par tous les participants, que ce soit un mot de chaque liste, plusieurs mots, voire seulement un ou deux dans l’ensemble. (Le rôle principal de la liste est de vous faire rebondir, d’amener des idées... Pas que tout soit utilisé
La liste

Un prénom

  • Gabrielle
  • Virginie
  • Félicie
  • Rose
  • Orson 
Un animal

  • Licorne
  • Panthère
  • Baleine Bleue
  • Lion
  • Ornithorynque 
Un mot inusité ou peu commun

  • Mansarde
  • Thébaïde 
  • Impéritie 
  • Bilboquet
  • Rodomontade
Un proverbe

  • La vie appartient à ceux qui se lèvent tôt
  • Rira bien qui rira le dernier
  • Qui vole un œuf vole un bœuf
  • Pierre qui roule n’amasse pas mousse
  • Mieux vaut tard que jamais 
Une suite de mots

  • Libellule loquace
  • Rendez-vous incertain
  • La chaleur du rire
  • Trois fois rien
  • Une douce aspérité 
Un titre de livre

  • Meurtres pour rédemption
  • Le rouge et le noir
  • La Nuit des Temps
  • Le songe des neuf nuages
  • Le problème à trois corps
Une période

  • Les années 50
  • Contemporaine
  • La dimanche soir
  • Paléolithique 
  • Soirée automnale
Un aliment

  • Frites
  • Glace à la framboise
  • Une religieuse au café
  • Beurre
  • Riz blanc

Après cinq minutes : 

Journée d’automne, vent, nostalgie, amoureux, rire, enfants qui jouent, légèreté
La chaleur du rire
Gabrielle
Rose
Le songe des neuf nuages
Rendez-vous incertain

Le texte : 

-Mademoiselle, je vous en prie, venez, elle vous demande. 

Je serre mes mains sur la clôture blanche et me raidis imperceptiblement. Au loin, je l’entends hurler mon nom. Je lève la tête, laisse la douce brise de cette fin de septembre jouer avec ma longue chevelure noire. La chaleur persiste encore, mais déjà, derrière les relents de l’été, pointe la lance glaciale de l’automne naissant. Je frissonne légèrement. 

-Mademoiselle….

Si je ne l’accompagne pas, il sera puni autant que moi. Je regarde une dernière fois la vallée qui a vu naître les hiers heureux. J’aperçois au loin, le fantôme de la fillette de jadis. L’écho de son rire se répercute, encore et encore, d’une fleur à une autre. D’arbres en arbres. La chaleur du rire. Un souvenir d’une autre vie. 

-Made…

-J’arrive, Orson, j’arrive. 

Je me retourne, sourire aux lèvres. 

-Allons-y. 

Ma voix est affirmée, sûre. Il se met au garde-à-vous et j’incline la tête pour lui signifier qu’on peut avancer. Il part devant, de sa démarche militaire un peu coincée. Je lui emboîte le pas, laissant derrière moi le parfum doux-amer d’une époque pas si lointaine. Devant la porte, Orson m’attend. 

-Si mademoiselle veut bien se permettre.

Je pénètre dans l’immense manoir froid et immédiatement, sa présence emplit toute la pièce, la nourrit et la tapisse. 

-Gabrielle !

-Mère, bonjour. 

-Où étais-tu, nom de Dieu ? Je te cherche depuis des heures. Ne sais-tu donc pas que tu dois te préparer, le temps file !

Oui, le temps file. Malheureusement, j’aimerais savoir comme le défiler, pour l’arrêter, pour le suspendre, et même, si je savais, le détourner et lui donner un autre sens. Loin de cette direction qu’on a déjà tracée pour moi. Un chemin de pierres, sans lumière et sans rire. 

-Je…

Je ne vois pas le coup. Je le sens. Un soufflet qui brûle et qui pique ma joue. Une écorchure sur l’écorce éternelle du bois. Je lève les yeux et croise les siens. Rien. Il n’y a jamais rien…

-Arrête avec tes sottises. Tu n’as aucune excuse. Tu te mets toute seule dans cette situation et je suis obligée de te punir. Ne comprends-tu pas ? Je t’attendais. Le styliste attendait aussi. Tu te crois tout permis ? Dis-moi, Gabrielle, c’est ça ? 

-Non, mère.

-Regarde-toi à présent. Tu es affreuse. Que vais-je dire à ton fiancé ? Comment on va bien pouvoir expliquer que tu t’es blessée à la joue, le jour de tes fiançailles… Petite ingrate. Monte vite, je t’envoie le maquilleur, tu en auras bien le besoin. Tu auras de la chance si ton promis ne vomit pas dans l’allée à ta vue…

Elle tape dans ses mains et je m’incline respectueusement devant elle. Dans les contes de fées, ce n’est jamais la mère biologique qui est horrible, toujours la belle-mère. Puis, la princesse a toujours une chance immense, le prince est beau, riche et amoureux. Dans la vraie vie, il n’y a rien de tout ça. Pas de belle-mère, pas de prince transit d’amour. Seulement une mère opportuniste qui souhaite conclure une transaction d’affaire. Parce que l’argent donne du pouvoir et que ça, on en a jamais assez. J’ai déjà essayé de parler, mais les murs sont sourds et aveugles. Le pouvoir déforme les mots, les mélanges et embrouilles la vérité. Altération de la pensée, éblouissements de la beauté, distorsion du temps. J’ai une chambre immense, de beaux vêtements, tout ce que je désire. Je suis choyée quand vous regardez le papier glacée. 

-Enfin, mademoiselle, mais où étiez-vous passé ? Il nous reste si peu de temps et vous êtes… Ma foi, aucunement présentable. Enlevez cette robe immédiatement.

Puis se tournant vers la salle de bain : 

-George, George ! Elle est ici, dépêchez-vous.

Il me sourit. Un sourire crispé, presque anxieux. La patronne n’acceptera aucun échec et il le sait. Je bataille un peu à défaire la fermeture éclaire ce qui rend Marco encore plus nerveux. Il se retourne vers l’immense salle de bain et hurle : 

-GEORGE !

Il fait volte face. 

-Et vous, arrêtez de vous tortiller dans tous les sens. C’est disgracieux. 

Il s’avance vers moi et tire d’un coup sec sur la fermeture qui casse sous la violence du coup et ma robe, n’ayant plus de soutien, glisse à mes pieds. Le regard de Marco glisse sur mes formes et j’entends presque son coeur palpiter. Les hommes sont faibles. Au même moment, George nous rejoint et la comédie prend place. Les deux hommes me manipulent, me brossent les cheveux, me maquillent, m’enfilent ma robe de mariée. Une main baladeuse s’égare parfois sur mon sein, sur ma hanche, sur mes fesses. 

«Ne soyez pas si prude, on vous fait belle, vous devriez nous remercier». 

-Merci, George, merci Marco, c’est magnifique, je suis si.... Heureuse. 

Ma voix à légèrement accusée une hésitation. Je m’observe dans le miroir, mais ce sont eux que je regarde discrètement. L’ont-ils senti, cette incertitude ? Cette petite pause ténue où l'entièreté de ce qui se cache derrière le papier glacée, à hurlée. Ont-ils entendu ? Je souris et la pièce s’illumine, crache des paillettes scintillantes, auréole ma silhouette, dissimule le faux. Ou le vrai. Mais eux ne doivent pas savoir. Il n’est pas encore temps. 

-George, va chercher madame et dite-lui que sa fille est prête. Qu’elle vienne applaudir mon oeuvre. 

George, en bon chien de poche, détale pour accéder à la demande de Marco. Je me dirige vers la fenêtre, indifférente à la présence du styliste. Il est fier de sa création. De son panneau publicitaire. Tant de billets verts brillent sur les coutures de cette robe. Le monde va la prendre en photo, la regarder à s’user les yeux, baver dessus, se l’arracher. On parlera de lui. Le grand Marco. La robe passera aux nouvelles de dix-sept heures. Marco aura tout pleins d’autres contrats. Sa vie sera propulsée au sommet. Celui des grands. 

-Il ne reviendra pas avant cinq bonnes minutes.

Je regarde l’arbre dans la cour. Immuable. Solide. Éternel. J’inspire profondément. Je le sens, il est juste derrière moi. Son souffle rauque emplit toute la pièce. Il remonte lentement ma traîne. Ce n’est pas une grosse robe bouffante. Je ne suis pas une princesse. Tout est dans la subtilité, dans les détails et les courbes de la robe. Il glisse sa main le long de ma jambe, remonte jusqu’à l’élastique de mon string. Je me suis raidi cette fois-ci, le souffle bloqué.

-Tu aimes ça ? 

J’ai été si longtemps une chose. J’ai laissé ma mère dicter mes pensées et mes gestes. Je me suis conformée parce que je pensais que tel était le prix de la liberté. Je pensais, petite fille tellement naïve, que si je disais oui quand elle disait oui, je pourrais partir un jour. Il fallait seulement que j’attende mes dix-huit ans. Être enfin adulte, avoir tous les droits. J’ai laissé les gens disposer de moi, parce que je n’avais plus d’alliés. Parce qu'ici, dans ce manoir qui vend du rêve à ceux qui passe devant, ils ne savent pas que derrière la porte, tout est noir et laid. Avili. Ils ne savent pas, que l’argent et une position dans la société, donne des droits que d’autres n’auront jamais. 

« Pourquoi te plains-tu, tu as tout ce que tu veux dans la vie !» 

Muselée à jamais par l’artifice.

-Tu frissonnes, je te fais de l’effet, hein, ma jolie ! 

Sa main poursuit son audace. Il me caresse avec vigueur et se frotte derrière moi. Je l’entends ronronner. Son souffle de plus en plus court. Il faut faire vite, George arrive bientôt. Pas le temps de s’embêter avec des préliminaires. Pas le temps de faire attention. Je pourrais hurler. Je pourrais griffer, mais il m’empoignerait et me ferait mal. Encore quelques secondes et ça sera fini. Je pense même que s’il continue… Oui, traite de corps, je pense même que je pourrais… Un râle rauque s’échappe de ses lèvres et sa main devient molle, inutile, sans vie. Finalement, non, pas eu le temps de ressentir, quoique ce soit. Ce n’était pas le but, évidemment. Il se retire et file à la salle de bain. Au même moment, la porte s’ouvre en grand. J’ai juste le temps de rajuster ma traîne. 

-Splendide ! S’écrie ma mère ravie. 

Elle s’avance vers moi pour me contempler. Je n’ai même pas un cheveu qui dépasse. 

-Mais où es Marco ? 

-Ici, Madame. 

Ma mère s’avance vers lui et lui donne un baiser sur chaque joue. Elle ne remarque pas la lueur dans ses yeux. La fébrilité de ses mouvements. 

-Vous avez fait des miracles. 

Derrière la fenêtre, le soleil commence à se coucher, nimbant la vallée d’or. Les battements de mon coeur s’accélèrent. Le miroir se fissure. L’heure est enfin arrivée. 

-Maman, dis-je d’une voix mesurée, pourrais-je avoir la permission d’aller me recueillir ? C’est la dernière fois, avant que je quitte la maison. 

-Mais enfin, ma fille, tu vas te salir. Il en est hors de questions. 

Je sens mes mains trembler. Je les cache derrière mon dos. J’ai besoin qu’elle me laisse sortir. 

-Je vous en supplie, mère. Je ferai très attention. Si vous m’accordez cette permission, je vous promets que je sourirai. Personne ne pourra jamais deviner…

Je laisse ma phrase en suspend. Elle sait. Elle comprend. Elle y tient tellement à ses photos de bonheur. Une négociation lente s’entame. Muette. Elle ne veut pas m’accorder ce plaisir, mais elle désire tellement vende son rêve. 

-Bon, c’est d’accord, crache-t-elle du bout des lèvres. Tu as cinq minutes, pas une seule de plus. Nous t’attendons à la chapelle. 

Cinq minutes, ça sera suffisant. 

-Merci mère, merci beaucoup. 

Je m’éloigne aussi vite que ma tenue me le permet. Je descends les marches et ouvre en grand la porte. Une brise fraîche m’accueille. Je m’avance vers l’arbre majestueux et embrasse l’écorce. Dessus, une petite inscription pratiquement invisible. Rose. Ici gît ma soeur. La seule alliée que j’avais. Elle était mon roc, mon paravent, ma force de me battre. Elle a tout emporté avec elle. Quelle plus cruelle déception pour une mère que de voir sa seule fille chérie mourir et devoir se contenter de la réplique. La pénombre enroule ses longs bras autour de la vallée et jette son ombre sur l’arbre. Je sors les accessoires du sac que j’ai emporté. Il ne reste que deux minutes. 

-Gabrielle ?

La voix est douce, gentille. Inquiète. Je ne me retourne pas. Je n’ai plus de temps. Je n’en aurai plus jamais après ça. C’est maintenant où jamais. 

-Que faites-vous ?

Il s’approche de moi, pose sa main sur mon épaule. Une décharge électrique. Je le repousse violemment. J’ignorais que j’avais autant de forces. 

-Va-t-en, Orson. 

-Non !

Je l’ignore. Je bascule la corde sur la branche. La noue solidement. Si peu de temps. Mes mains tremblent légèrement. Vite. Vite. Elle n’est pas très haute. Suffisamment, par contre. 

-Mademoiselle, je ne peux pas vous regarder faire ça. Je vais alerter les autres. 

Cette fois-ci, je me réveille pour de bons. Je l’agrippe par la gorge et je plonge mes yeux dans les siens. 

-Je suis déjà morte, Orson. 

Il sonde mon regard perlé. D’un mouvement brusque, je frotte le maquillage sur ma joue, révélant un hématome qui grossit de plus en plus. Je déboutonne ma robe et lui montre seulement le haut de mon corps. Bleu, jaune, violet. Je me reboutonne sans un mot, la gorge serrée. Je reprends ma corde, lui fait un noeud coulant. 

-Et tantôt, dis-je dans un filament de voix, Marco s’est amusé un peu, si tu vois ce que je veux dire…

-Fuyez, alors. Je vous aiderai. 

J’ai envie de rire. Nous ne sommes plus dans les années dix-huit cent. Nous sommes au vingt-et-unième siècle, avec toute la technologie. Il est si facile de retrouver quelqu’un. Je ne serai jamais libre. Je serai toujours la chose. Ils m’ont façonné de cette manière. Je les ai laissé faire. Je ne veux pas être à la merci d’un homme qui fera de moi ce que bon lui semble. Je ne vois plus d’avenir. Elle a tout planifié, en me mariant avant mes dix-huit ans. Je suis coincée dans cette souricière. Il n’y a aucune autre solution. C’est la seule qui pourra contrecarrer ses plans et y penser, me remplie d’une immense joie. 

-Si tu veux m’aider, ne me laisse pas retourner là-bas. 

Les cloches sonnent au loin. Il est l’heure. Je m’avance vers l’immense tronc d’arbre, mais une main se pose sur mon épaule. 

-Je crois que je vous aime…

Il inspire profondément. Je ne suis pas une princesse, mais dans mon monde, comme dans les contes de fées, on n'épouse pas les roturiers ou les domestiques. 

-Venez par ici. 

Je me retourne et je vois ses yeux briller de larmes. Il entrelace ses doigts, paume vers le haut. Je le regarde émue. 

-Merci, Orson. 

Je place mes pieds sur ses mains aux doigts noués et il me soulève. Je passe la corde autour de mon cou. Le crépuscule nimbe la vallée des couleurs chaudes. Un immense feu qui engloutit toute la lumière sur son passage pour la restituer dans un acte ultime. Pas la fin, non, pas la fin, mais le début.

-À bientôt, Rose, je murmure. 

J’entends Orson sangloter. Délicatement, il empoigne mes chevilles. Ses mains sont douces. Il me soutient. Je me sens forte, belle, libre. 

-Au revoir, Gabrielle. 

Mon corps, délesté de son poids de soutien, tire violemment vers le bas, mais la corde le retient. J’ai mis en échec la gravité et déchiré le papier glacé. Le monde est beau et infini d’ici. 

Je suis heureuse.

FIN.

lundi 28 janvier 2019

Nuit de l'écriture

Thème : La photo + trois mots : Crépuscule, Étoilé, Marbre

Nuit de l'écriture #23 :

-Attendez, reprenez depuis ce moment précis où vous avez remarqué qu’elle n’était plus dans la cours. Il était quelle heure, déjà ?
-Neuf heures. Vous savez, le moment où le soleil disparaît doucement à l’horizon. Il y a cet instant, presque figé, où les couleurs éclatantes du soleil se mélangent à celles plus noirs du soir pour en faire un...
-Le crépuscule.
-Oui, c’est ça…

Ma voix traîna. C’était presque un chuchotement, un son très bas, comme pour ne pas réveiller un bébé qui dort. Je voyais bien que l’homme en face de moi se retenait de ne pas soupirer.

-Qu’elle âge elle a ?

Je levai les yeux pour réfléchir. Elle était née un matin où le soleil caressait les blés dans le champs. Une lumière dorée et chaude, mais qui dans son sillage invisible, transporte une fraîcheur sucrée. Septembre.

-Elle avait… Non ! Dis-je en élevant la voix. Non, elle a sept ans.


Pas l’imparfait. Le présent. Elle a. Elle est. Pas elle était. Impossible.

-D’accord, c’est noté. Vous savez, ne le prenez pas mal, mais avez vous vérifié chez le voisin ?

Je serre les poings. Il me prend pour une idiote. Il ne me prend pas au sérieux. Comme si je n’ai pas regardé partout avant de l’appeler. Elle n’est pas ici, elle n’est pas là non plus et elle n’est pas dehors. Elle est disparut. La dernière fois que je l’ai vu, elle était sur cette balançoire. Elle adore y aller, le soir, quand le ciel étoilée s’ouvre devant elle. Elle s’assied et regarde sans jamais rien dire. C’est un moment précieux qui nous appartient. Le silence nous enveloppe et l’éternité se reflète dans ses yeux. J’ai l’impression d’exister dans ses moments-là et d’être grande, si grande. Je déglutis péniblement. Mon bébé…

-Elle n’est pas chez les voisins. J’ai cogné chez chacun d’entre eux. On a regardé ensemble. Elle n’est pas là. S’il vous plaît, aidez-moi à la trouver.
-Vous savez, souvent ils rentrent d’eux-mêmes…

Je tape du pieds sur le marbre de la cuisine, comme une gamine et ça le fait taire. Il ne me croit pas. Pourquoi il me prend de haut ? Pourquoi ses yeux minuscules de mulot, me scrute comme si j’étais attardée. Comme si je leur faisais perdre leur temps. Leur précieux temps.

-D’accord, d’accord, ne vous énervez pas. Je suis désolé de ne pas donner l’impression que c’est important, cependant…

Il enlève son chapeau et se gratte la tête. Je sais ce qu’il va dire. C’est comme dans les émissions à la télévision, il faut attendre 24 heures avant de déployer la cavalerie pour une disparition. Mais d’ici là, il sera trop tard. Elle sera peut-être déjà loin, égarée, perdue, affolée et seule, croyant que je l’ai abandonnée. Est-ce qu’elle tremble de peur en ce moment ? Est-ce qu’elle pleure ?

-Cependant, vous comprenez…
-Vous n’allez pas la chercher, n’est-ce pas ?

Il rougit. Il a le culot de se sentir mal à l’aise, mais ça ne change rien, non ? À quoi serve-t-il s’ils ne font pas ce pourquoi ils sont payés ?

-Écoutez…
-Non !

Cette fois, j’ai crié. Tant pis. Je me lève et je cours dehors, vers la balançoire qui se berce seule, sans nous, sans elle. Le soleil est presque mort à l’horizon. Il agonise lentement, saignant tout sa lumière rouge qui dessine des traits irréguliers. Des taches flamboyantes, lentement évanescentes. Une flamme de chandelle dans une nuit d’orage. Perdue.
-Ok, écoute-moi, Nessie. Je m’excuse.

Je le sens derrière moi. Grand et fort. Dépassé. Il pose sa main sur mon épaule. Il ne sait pas comment réagir.

-Je suis désolé si j’ai laissé entendre que ce n’était pas important.
-Elle est tout pour moi. Je réplique doucement.
-Je sais.

Bien sûr qu’il sait. Mais il voulait fanfaronner un peu devant son collègue qui n’a pas ouvert la bouche depuis le début. Il a voulu se prendre pour un grand, alors que moi, ce que je voulais quand je l’ai appelé, c’était mon frère, mon grand frère.

-Il faut que tu comprennes une chose, Nessie. Tu ne peux pas appeler le numéro de la police pour une disparition de chats…

-Ah ! Non ? Mais à quoi vous servez alors ? Vous êtes sensé nous protéger, nous aider et j’ai besoin d’aide…

Je serre les dents très fort, car je sens les larmes monter à mes yeux et déborder sur mes joues. C’est sûr que là, il va me prendre pour la gamine qui fait un caprice. Mais pendant ce temps, Nelly est seule, perdue…

-Nessie…

Il se retourne vers son collègue muet et soupire. Un peu irrité, un peu triste lui aussi. Il l’aime bien Nelly, même s’il ne le dit jamais. C’est difficile pour lui, il ne sait pas comment dire ces choses. Je vois qu’il lui parle doucement et Muet hoche de la tête. Il semble compréhensif. Je le vois se diriger vers les champs, en face, sa lampe torche à la main.

-Bruno va allez jeter un oeil.
-Merci !

Je l’entoure de mes bras pour lui faire un câlin. Je le vois sourire. Un sourire fatigué, qui a du mal à se rendre à ses yeux, mais il me sert tout de même très fort. Il a beaucoup de responsabilité, peu de temps pour être le jeune adulte qu’il est. Pas de fête, pas d’amoureuse. Tout ça parce que maman ne rentre pas souvent. Elle est ailleurs, en train de rêver à des demains plus doux, dans les bras argentés des cristaux de verre.

Il m’aide à grimper sur la balançoire et s’assied à côté de moi. On ne dit rien. Il me tient la main. Je souris à mon tour. Maintenant, je sais que tout ira bien. Je dépose ma tête sur son épaule.

-Merci d’être venu.
Il presse ma main plus fort.
-Regarde, il l’a retrouvé.

Et cette fois-ci, son sourire illumine ses beaux yeux bleus.

FIN.