vendredi 4 mai 2018

Il était un flamant

-Non, non, non, mais qu’est-ce que tu as fait ?

Je me mordis la lèvre inférieure et baissé la tête contrite. Du bout de ma chaussure, je fis valser quelques chaussettes.

-Janelle !

Son ton aurait pu couper une feuille de papier. Je soupirai et relevai le menton pour rencontrer le regard assassin de ma soeur. Je forçai un sourire.

-Il est plutôt mignon tu ne trouves pas ?

À ce moment, je pense que si ses yeux avaient eu le pouvoir de tuer, je serais étendu sur le sol, sans vie. Je soupirai à nouveau, plus fort cette fois-ci. Ça commençait à m’agacer toute cette histoire.

-Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? C’est un flamant rose, et puis ?

-C’était mon petit copain, avant ! Hurla-t-elle.

Bon, d’accord, elle a raison. Par contre, je maintiens qu’il est beaucoup plus beau ainsi. Quelle idée avait-elle eu, aussi, de s’enticher d’un Japonais ? Des yeux bridés : beurk ! Une peau jaune : beurk, beurk ! Un petit… Enfin, vous comprenez le principe. Un silence inconfortable plane dans la chambre. Nous regardons toutes les deux l’oiseau qui se nettoie les plumes. Il est plutôt gracieux et grand. Surprenant, on n'aurait pas cru, quand on connaît le spécimen original.

-Est-ce que tu vas arranger ça ?

Non.

-Bien sûr, je réponds platement, seulement, je ne sais pas comment…

C’est vrai. J’ignore même, encore, comment j’ai réussi cet exploit. Changer un humain en oiseau. Ce n’était pas tout à fait ce que j’essayais de faire.

-Mon dieu, s’énerve Sarah, j’ai la soeur la plus incompétente du monde… Mais qu’est-ce que tu essayais de faire, au juste, pour en arriver à cet abruti d’oiseau rose ?

Le dit oiseau, se met alors à piauler et se diriger vers la porte en agitant ses ailes. Au passage, il fait tomber mon cocktail aux ananas. Sale bête !

-Je pensais plutôt à Brad Pitt, pour être honnête, mais j’ai été déconcentrée quand j’ai lancé le sort…

Albert le flamant, oui, son petit ami se prénomme Albert, s’acharne sur la porte avec son bec. Clairement, il a envie de découvrir le monde. Ce n’est pas que je suis contre la liberté des animaux, seulement, je n’ai pas envie de mêler ma voisine de chambre, Patsy, à cette histoire. C’est une chipie, mais surtout, une grande gueule et j’aimerais plutôt que l’épisode du flamant rose reste un secret. Pas que je ne suis pas fière, seulement, je n’ai pas envie d’expliquer le comment du pourquoi il est arrivé là. Il faudrait que je dise à Patsy-je-ne-peux-pas-m’empêcher-de-potiner, que je suis une sorcière. Elle est tellement sensible, tellement exubérante, tellement idiote (oups !), qu’elle serait capable de me demander de voler sur un balai. Franchement, on est en 2018, qui vole encore sur un balai ? C’est tellement 2017. Ça ne serait pas la faute de cette cruche, pardon, Patsy, mais autant éviter ameuter tout l’université pour un si petit problème. Tellement petit qu’il est presque insignifiant. Comme Albert. Justement, le flamant a réussi à percer la porte. Je peste et le rejoins en deux enjambées. Je lui attrape le cou pour essayer de le tirer vers moi, mais il se met à brailler comme un perdu.

-Oh. Mon. Dieu ! S’exclame paniquée ma soeur. Tu vas le tuer ! Laisse-le tranquille !

Il se met alors à secouer la tête dans tous les sens et à la cogner contre la porte. Il fait tellement de foin, que exaspérée, je sors ma baguette magique. Pauvre animal, il faut abréger ses souffrances !

-Janelle, non !

Ma soeur se précipite vers moi en gesticulant.

-Laisse-moi faire avant que tout l’université se ramène dans notre chambre. Tu veux qu’ils sachent que nous pratiquons la magie ?

Au même moment, quelqu’un frappe à la porte. Loin de calmer le malheureux animal, celui-ci se met à couiner de plus belle. Jamais entendu un oiseau faire autant de bruit. On se croirait dans une ménagerie.

-Janelle ? Qu’est-ce que se passe dans ta chambre ? Cri Patsy de l’autre côté de la porte. Est-ce que tout va bien ?

C’est vrai que là, tout suite, on a l’air d’égorger dix chatons en même temps. Je pointe ma baguette sur le flamant braillard et commence mon incantation. Retenir des formules, ce n’est pas mon point fort. J’ai toujours du mal à mettre les mots dans l’ordre. Sarah, désespérée, se met entre l’animal et moi.

-Arrête ça tout suite, tu ne toucheras pas à un de ses cheveux.

-Plumes, tu veux dire ?

-Janelle !

-Sarah !

-Janelle ?

Ça, c’est Patsy. Sa voix recèle une curiosité qui m’indique qu’il ne me reste que quelques secondes avant qu’elle ne réussisse à ouvrir la porte et découvre le pot aux roses. Le pot façon flamant rose. Encombrant comme pot. Trop bruyant aussi. Le niveau de décibel qu’il réussit à produire est stupéfiant et me rend complètement folle. Je n'aurais pas cru ça d’Albert. Je dois mettre un point final à cette mascarade. Si j’ai réussi à l'ensorceler, je peux le défaire, c’est sûr. Facile. Je n’ai qu’à prononcer la formule dans l’autre sens. Je souris. Sarah fait non de la tête. Elle s’accroche à Albert-le-flamant et moi, d’un mouvement parfait du poignet, je jette le sort qui percute l’oiseau de plein fouet. Pendant une fraction de seconde, le temps se suspend. Je vois dans les yeux de ma soeur qu’elle pense que j’ai réussi. Je le crois aussi. Une seconde. Puis, une explosion retentit. Un paquet de plumes roses pleut dans la chambre et mon mur s’asperge de rose y imprégnant un graffiti de flamant. Plutôt réussi, je dois dire. Sarah, tellement stupéfaite, n’arrive pas à articuler un mot. Elle cligne des yeux, la bouche ouverte. Ses magnifiques cheveux roux sont dressés sur sa tête par le souffle de l’explosion. Quelques plumes s’y sont logées. Au même moment, Patsy ouvre la porte.

-Mais qu’est-ce qui se passe ici à la fin ?

Je recraches quelques plumes roses.

-C’est quoi ce cendrier dans ta main ? Tu fumes maintenant ?

Ha ! Tien, c’est bizarre ça. Je n’ai plus ma baguette. Sûrement un contre-coup du sort.

-On refait la déco, je dis.

Elle approuve de la tête.

-Plutôt réussi, mais ton flamant, il a une tête de japonais, non ?

FIN.