samedi 14 avril 2018

Sans titre - Nuit d'écriture

 Le thème est la photo suivante :
Je regarde la carte postale, le coeur serré. Elle représente la vue du ciel à notre premier voyage en avion. J’étais tellement impressionnée et émerveillée. Tous ces nuages qui flottaient autour de nous, sa main dans la mienne, son sourire détendu, presque coquin.

«-Suis-moi !

Son regard en dit long sur ses intentions et je me sens rougir. Mon coeur palpite d’un rythme effréné dans ma poitrine. Impossible de faire ça dans un espace aussi clos. Il y a beaucoup trop de gens. Puis, c’est tellement cliché de s’envoyer en l’air… Dans les airs. Je le frappe sur l’épaule et ricane pour cacher mon malaise. Il me prend le menton et plonge ses yeux gris, brillant et aimant dans les miens.

-Allez, Mélie, personne ne le saura, chuchote-t-il doucement.

Il caresse doucement ma main de son pouce. J’ai des papillons dans le ventre. Jamais je n’ai ressenti un truc pareil. En même temps, ma vie n’a pas encore été très longue. Seize printemps. Ce voyage, est un voyage scolaire, mais pour une raison inconnue, nous avons été surclassés, lui et moi, et nous nous retrouvons donc seul, en avant de l’avion, tandis que les autres sont tout à l’arrière.

-Vas-y, je te rejoins.

Il sourit et tout à coup, je n’ai plus peur. L’excitation prend le dessus et je me lève. Lentement, je passe devant lui et je le regarde intensément. Longtemps après, je sens toujours son regard brûlant dans mon dos. »


Ça avait été un premier baptême de l’air réussi, tout comme nos fiançailles, deux ans plus tard. Nous avons terminé l’école et nous nous sommes inscrits à la même université. Les gens parlaient, prédisaient que notre relation ne tiendrait pas la route. Un amour de jeunesse, seulement. Comme si le fait de n’avoir que dix-huit ans nous empêchait de construire une vie commune. Nos expériences et nos premières fois, nous les vivions ensemble et ce n’était pas toujours parfait. Ce n’était pas un conte de fées.

«-Mélie, c’est toi ?

Je peste en entendant sa voix sèche. Il n’est pas couché, comme je l’avais cru. Je me souviens alors qu’il a un énorme examen demain à l’université. Je soupire, agacée.

-Oui, je me change et je viens te rejoindre.

Je bataille à essayer d’enlever mes bottes et je l’entends se lever pour venir me rejoindre. Je grogne de plus belle.

-Tu sais qu’elle heure, il est ? M’attaque-t-il.

-Deux heures du matin. Je réponds sur le même ton.

Je sautille pour essayer d’enlever cette fichue botte, mais mon équilibre est précaire et je me retrouve dans ses bras. Sans pouvoir me retenir, je m’esclaffe.

-Tu n’es pas sérieuse Mélie. Si tu continue comme ça, tu vas ruiner ta session.

Je réussis enfin à enlever ma chaussure et je lève la tête pour le regarder. Ses yeux gris sont plus foncés qu’à l’habitude. L’orage gronde.

-Laisse-moi respirer un peu. Tu n’es pas mon père, que je sache. Je fais ce que je veux.

Je croise mes bras sous mes seins et je sens qu’il fulmine.

-Tu en aurais bien besoin d’un pour qu’il te donne une fessé. Tu ne fais que boire et rentrer tard ces derniers temps. Tu es en train de mettre ton avenir en jeu et la mienne par la même occasion.

-Si ça te déplaît tant, tu n’as qu’à prendre tes choses et disparaître de ma chambre.

J’en ai plus qu’assez de discuter avec lui. J’ai juste envie qu’il disparaisse de ma vue pour que je puisse aller me coucher et espérer que la pièce cesse de tourner comme un manège de foire.

-C’est ça que tu veux ? Cri-t'il.

-Oui ! Je réplique sur le même ton. Tu me fais chier à être constamment sur mon dos. J’ai pas besoin que tu me surveilles, je suis une adulte maintenant.

-Bah ! On ne dirait pas, aux décisions que tu prends, ma grande !

Son ton est complaisant et dédaigneux. Nous nous fixons quelques instants du regard et finalement, j’ouvre grande la porte de l’entrée et lui fait signe de dégager. Il serre la mâchoire et son regard devient aussi noir que les soirs de tempêtes. Il retourne dans la cuisine prendre ses effets scolaires et revient comme une furie devant moi :

-T’es qu’une connasse, Mélie !

-Vos gueules ! Hurle quelqu’un dans le couloir. On essaye de dormir.

Je lui fais un doigt d’honneur et claque la porte dans un bruit fracassant.

Ce soir-là, j’ai vomi bien plus que de l’alcool dans les toilettes. »


On a fini par se réconcilier. C’était souvent comme ça, on avait des chicanes violentes. De celles qui font peur, qui brisent des souvenirs, qui déchirent un peu plus de notre amour. Mais nous avions quelque chose en plus. Cet amour, justement, était infini et fort. Il a et a toujours été plus grand et plus solide que nous. Il est notre plus grande faiblesse et notre plus grande force à la fois. Il y a peu de temps que nous arrivons à le canaliser. C’est vrai, nous sommes encore très jeunes. Je vais avoir vingt-sept ans. Bientôt. Il a terminé l’université, mais moi. C’est ce que je voulais. Je me sens plus libre ainsi, plus épanouie. J’arrive à mieux gérer mon tempérament. Chaque jour, nous bâtissons notre route et chaque jour, nous sommes un peu plus heureux. Nous apprécions les petites choses et nous rêvons des grandes. Nous nous battons à devenir des gens meilleurs. Tous les jours. Ça aurait dû être suffisant pour nous préserver et pourtant...

Je serre la carte postale contre moi. Il y a des murmures derrière moi. Je les avais presque oubliés. C’est tout ce à quoi j’ai pu penser. Cette photo de notre premier voyage. Je la dépose délicatement sur le satin froid. Je serre la boîte à m’en blanchir les jointures, à m’en briser les ongles. C’est arrivé si vite. Je n’ai pas eu le temps de comprendre, pas eu le temps de reprendre mon souffle. Il n’y a pas eu d’au revoir. Ça été foudroyant. À notre image. Je déglutis et lisse ma robe noire de mes paumes moites. Je le regarde comme je l’ai jamais regardé. C’est notre dernier instant. J’inspire profondément. Je ferme les yeux et je nous revois dans cet avion. Complice. Je me souviendrai de ça.

Les gens disaient que la jeunesse aurait raison de notre relation. Ils avaient tort. Ce n’est pas la jeunesse qui nous a désunis.

C’est la mort.

FIN.