vendredi 10 mars 2017

L'histoire qui finissait bien


Défi : Écrire une histoire où tout le monde est heureux et où rien, je dis bien RIEN de négatif ou triste n'arrive. Interdit au glauque, aux meurtres, aux trahisons. 




***
C’était un matin de début décembre. Une fine neige poudreuse et scintillante tombait doucement sur le jardin et sur les arbres dénudés. Les lumières de Noël, accrochées aux montants des fenêtres, projetaient des lueurs multicolores sur les perrons de nos voisins. Je contemplais le spectacle, hypnotisée par le ballet des couleurs et de la neige, quand je sentis une présence à mes côtés.

-Moi, je n’aime pas Noël !

À ces mots, un rayon d’un noir très sombre frôla ma hanche, traversa la vitre et fit éclater les ampoules multicolores accrochées sur la rampe de notre véranda. Je sursautai violemment et me retournai comme un beau diable.

-Margaud !

-Maman !

La fillette me toisa, un sourire en coin, puis, avisant un jeune homme habillé en lutin, elle leva à nouveau sa baguette et lança :

-Moi, je n’aime pas les lutins !

Le flash m'éblouit pendant une fraction de seconde, mais reprenant rapidement mes esprits, je fis un geste de la main qui fit glisser notre lutin, plutôt séduisant dans son collant vert, sur une plaque de glace imaginaire. Celui-ci, s’étala sur le dos, se cognant un peu durement la tête.

-Un point pour toi, maman, s’écria ma fille avec enthousiasme.

-Merde, merde, merde, Margaud, combien de fois t’ais-je dit de ne pas lancer de sort mortel ?

-Mais maman, c’est toi qui me l’a montré, celui-là, tu dis que les lutins sont des descendants des goblins et que leur cul est plein de...

-Ça suffit, Margaud. Tu sais qu’on a plus le droit d’utiliser la magie contre les humains pour leur faire du tort, c’est la nouvelle loi ! Je te l’ai répété au moins cent fois.

-Mais…

-Margaud ! Grondais-je.

Ma fille serra ses bras autour de sa poitrine et fit la moue. Je levé les yeux au ciel et me précipiter dans l’entrée, enfilant manteau et bottes sans me soucier que dans mon affolement, je me vêtis de la veste de mon mari, d’un jaune canari à l’effigie des canetons du golf et non la mienne. Je mis la tuque de Margaud, un truc infâme en forme de licorne et ouvrit la porte à la volée. Celle-ci claqua et alla rebondir contre le mur, lui imprimant un magnifique trou.

-Je vais arranger ça, maman, ne t’inquiète pas, s’anima Margaud en courant vers moi, sa baguette toute prête.


-Reste où tu es, tu es punie, tu m’entends ? Je vais aller voir ce jeune homme et crois-moi, tu as intérêt à ce qu’il soit encore vivant.

-Je te déteste s’écria ma fille, rouge de colère.

-Là tout suite, moi aussi ma grande ! Répliquais-je sur le même ton.

Par sa faute, si le lutin, plutôt séduisant, mais un peu jeune quand même, ne se réveillait pas du sort de ma fille, nous allions être expulsés de la ville sans cérémonie pour bris de contrat. Celui-ci stipulait sans équivoque, que nous n’avions pas le droit de tuer une personne vivante, de causer de malheurs, de tragédies ou de catastrophes mortelles. Rien qui se rapprochait de près ou de loin à la mort. Je soupirai, anxieuse et exaspérée à la fois. Cet enfant ne voulait rien entendre et n’en faisait qu’à sa tête. Hier encore, elle avait foudroyé d’un rayon rouge, une fourmi qui grimpait sur sa jambe. Pour sa défense, elle avait clamé que celle-ci l’avait mordue. Par chance, étant encore très jeune, son sort avait ricoché sur Ernest, notre chat bleu, qui pour le coup, en avait perdu les poils sur sa tête et la fourmi, elle, avait été chatouillé par la magie sans en trépasser. Malheureusement, je n’étais pas certaine qu’on aurait autant de chance avec le sexy lutin. J’arrivai près de lui et catastrophée, je remarqué une immense coupure sur sa tempe où du sang suintait en grosse quantité.

-Jeune homme, tentais-je doucement. Sexy lutin, m’entendez-vous ?

Il ne bougea pas, ne sembla même pas respirer. Je vais égorger cette peste de Margaud, pensais-je en déboutonnant frénétiquement le déguisement de lutin du bel inconnu. La vue de son joli torse bien musclé, m'émoustilla, mais je repris mes esprits rapidement. Mort, il ne séduirait plus personne. Je commençais un massage cardiaque, quand des pas se rapprochant me firent légèrement tourner la tête.

-Je vais t’aider, maman, à sauver le lutrin. Regarde.

-Non, Margaud… commençais-je, mais elle ne m’écouta pas et rapide comme l’éclair, fit tournoyer sa baguette où des paillettes colorés sortirent en foison.

Nous regardâmes toutes les deux le sort envelopper le lutin inconscient ou mort, je ne savais vraiment pas et celui-ci, sous nos yeux ébahis, se métamorphosa en licorne. Margaud tapa des mains, joyeuse.

-Regarde maman, c’est une licorne !

Au même moment, il cligna des yeux et s'ébroua. Il ne sembla pas réaliser que quelque chose n’allait pas. Il voulut rire, j’imagine, mais hennis plutôt. Margaud s’élança vers lui et se cramponna à son cou en criant : une licorne, une licorne.

Ses hurlements hystériques attirèrent les voisins en pyjama sur leur balcon.

-Seigneur, soupirais-je complètement dépassé par les évènements, puis, plus fort :

-Désolée, mon cousin vient d’arriver de Transylvannie, vous savez, c’est un pays un peu étrange et il voulait faire une surprise à Margaud en se déguisant en licorne. Un costume très réussi, je vous l’accorde. Nous retournons chez-nous, nous sommes désolés pour le vacarme.

-Ce n’est pas cousin Arnaud, c’est une licorne maman, c’est moi qui l’a…

Je fondis sur elle et la bâillonnée avec ma main tout en souriant à la ronde.

-Désolée, répétais-je, puis en chuchotant :

-Toi, ma petite, tu vas avoir de sérieux ennuies, je te le promets.

-Mais maman, ce n’est pas juste, tu l’as eu ta fin heureuse, personne n’est mort !

FIN.

mercredi 8 mars 2017

En apesanteur


Je suis recroquevillée, les bras autour de mes jambes remontées sous mon menton. Je serre fort, mais cela ne suffit pas à calmer mes tremblements. J’ai la tête appuyée sur les genoux et je serre les dents. Je suis en jupe et pourtant, ne me soucie pas qu’on pourrait voir ma culotte. Personne ne regarde. Ils sont tous comme moi, bras serrés, regard angoissé, coeur cognant fort contre leur poitrine. On pourrait entendre une mouche volée, tant le calme règne. Une quiétude apparente, une façade de verre mince. Des ailes de papillons.

Notre vie en équilibre.

-Tu crois qu’ils sont parti, Laëlle ?

Son chuchotement, tout près de mon oreille, me fait l’effet d’un hurlement. Je me fige et écoute les bruits ambiants. Rien. Pourraient-ils réellement nous entendre murmurer ? Peuvent-ils dans ce cas, entendre les battements de mon coeur désordonnés, tel un tambour qu’on martèle ? BOUM, BOUM, BOUM. Si nous mettons toutes nos pulsations à l'unisson, nous sommes alors une fanfare, une parade de gamins mortifiés et figés dans une pose grotesque. Ils savent que nous sommes là, mais que veulent-ils ? Pourquoi ce silence ?

-Je ne sais pas, Mily…

Je la regarde me sentant impuissante. Je ne peux pas la rassurer. Ma peur se reflète dans ses prunelles grises. Peut-être est-ce un exercice ? Bientôt, ils vont nous dire de reprendre notre place, que tout est terminé et que oui, on aura tout de même ce fichu contrôle de maths. Je vois le gris de ses yeux se mouiller. Les poils de mes bras sont hérissés. J’ai froid. Mon pull est sur ma chaise, mais je n’ose pas bouger. Je n’ai même pas le courage de regarder autour de moi pour voir comment les autres s’en sorte. Je ne vois rien que la porte, tout près de moi. Cette idée aussi, de vouloir être assise en avant. Pour avoir des meilleures notes, je me disais. Ça me semble tellement idiot, là toute suite. J’aimerais tant être tout au fond, caché. Invisible. Contempler la porte augmente mon angoisse. J’ai l’impression de la voir s’ouvrir souvent, alors que ce n’est pas le cas. Je dois cligner des paupières à plusieurs reprises pour ajuster mon regard qui se brouille. Je ferme les yeux. J’essaye de me projeter dans cinq jours, quand ça sera notre bal des finissants. Je me remémore ma longue robe d’un vert très doux cousue avec des fils couleur, or. Mes chaussures sublimes, mais au talon beaucoup trop haut. À ce jour, je n’arrive pas à faire plus de trois pas sans que ma cheville flanche et que je me retrouve les quatre fers en l’air. L’élégance à un nom à présent : Laëlle. Une vibration contre mon flanc droit me tire de mes réflexions. Je vois que Mily à son téléphone à la main. Doucement, je bouge pour récupérer mon téléphone à mon tour. C’est une notification Facebook : votre ami Mily est en direct.

-Nous sommes en classe, il est dix heures trente, il y a eu un code noir, nous ne savons pas ce qui se passe. On entend rien, on ne voit rien, personne ne nous dit rien… s’il-te-plaît, si vous savez quelque chose, si vous pouvez informer nos parents, les autorités, faites-le. Aidez-nous...

Elle parle très bas puis tourne son téléphone pour filmer le devant de la classe où notre professeur d’un signe de tête approuve son initiative. Mon appareil vibre à nouveau. Je regarde l’écran. Maxime, Joanie et Mika ont aimé la vidéo de Mily. D’autres, j’aime continu à s’ajouter. Plusieurs noms de ma classe et celles des autres se joignent aux nôtres. Tout à coup, je me sens moins seule, moins apeurée. Ce n’est que des pouces bleus, mais ils sont notre espoir. Ils disent que nous sommes là, que nous allons bien. Mily esquisse un sourire optimiste. Je songe que tout est sûrement bientôt terminé. Les autorités vont arrêter qui que ce soit qui est dans l’établissement et ensuite, on plaisantera en se moquant de ceux qui ont eu peur. On les traitera de poule mouillée tout en leur donnant une tape sur l’épaule et on se dira, sans le laisser paraître, bien sûr, combien on est heureux d’être là pour se chamailler. On parlera de ma petite culotte blanche à pois rose. Cinq jours de moquerie pour une éternité de vie.

Rien du tout.

Puis, s’est arrivé. Le bruit d’un pistolet claqua tout près. Trois, quatre, cinq, six, sept.

Sept coups de feu.

Sept vies.

Sept souffle qui s’était éteint à jamais.

Quelqu’un hurla et je me rendis compte que c’était moi. Mily se précipita sous mon bureau et posa sa main avec vigueur sur ma bouche. Ses yeux imploraient les miens. Ne crie pas, disaient-ils, ne leur dit pas que nous sommes ici, peut-être ne nous apercevront-ils pas. Comment pouvait-elle s’accrocher à cet espoir futile ? Je hochai finalement la tête pour lui signifier que je m’étais suffisamment calmée pour qu’elle puisse enlever sa main, ce qu’elle fit.

-Ça va aller, Laëlle, je te le promets.

Je serrai très fort ses doigts. D’autre coup de feu se fit entendre, cette fois-ci, des cris, s’élevèrent dans le couloir. Chaque coup résonnait dans ma poitrine, meurtrissant à jamais la fragilité et l’innocence qui jusqu’ici, m’avait enveloppée. Mily n’avait pas cessé de filmer. Sous la vidéo, on pouvait lire, à présent : je suis OK. OK, deux lettres pour signifier qu’ils respiraient toujours.

Pour l’instant.

Pour combien de temps ?

Le chaos et la panique commencèrent à nous gagner. Les murmures se faisaient plus insistant et certain essayaient de se déplacer et se rapprocher de la porte pour voir ce qui arrivait. Notre professeur tenta de nous calmer, de nous rappeler à l’ordre, mais la situation lui échappait, nous échappait à tous. Plusieurs, à présent, filmaient ce qu’ils pouvaient, essayait de communiquer avec un proche, mais le réseau commençait à être surchargé et ils avaient de la difficulté. Nous n’entendions plus de coups de feu, mais il me semblait percevoir des râles tout près. J’avais l’impression de retenir mon souffle quand des pas s’approchèrent de notre porte. Une vague d’affolement gagna tout le monde.

-Laëlle…

La voix de Mily était suppliante.

-J’ai rendez-vous ce soir avec Alexis, tu sais, le mec sur lequel je flash depuis des mois ? Il m’a enfin parlé, je pense qu’il va m’inviter au bal. Je rêve depuis si longtemps de ce moment…

-Mily…
-Laëlle, je ne veux pas mourir.

Une larme glissa sur sa joue. Elle n’aurait jamais dû avoir cette pensée à cet âge. Qui était ces gens qui se prenaient pour dieu et qui jouaient avec nous ? Je déglutis, la porte s’ouvrit à la volée. Elle alla rebondir sur le mur et la fenêtre éclata en millier de morceaux. Mily hurla. Mes oreilles bourdonnèrent. Je levai les yeux, croisai ceux inexpressifs de celui qui se tenait debout devant nous. La mort en pantalon d’armée, cagoule noire et croix rouge tatouées sur les bras. Ma vue se brouilla, mes membres s’engourdir et mon poil se hérissa sur mes bras. Ma tête, devint comme vide. Une image très nette de Mily, main dans la main avec Alexis traversa mon esprit. Je lui souris, le coeur léger, le corps en apesanteur. Je la pris dans mes bras, son corps chaud, tremblant, et effectué une rotation au moment où les coups claquaient à nouveau. Bang, bang, bang, bang. Nous nous écroulâmes, enlacées, sur le plancher froid de la classe qui lentement, se teintait de rouge.

Le sang de nos vies.

Le sang profanateur de notre jeunesse.

-Laëlle ?
-...
-Laëlle ?

FIN.