dimanche 10 janvier 2016

Au pays imaginaire


-Je te dis qu’il existe, je l’ai vu et c’était… Si beau.

Je laisse tomber ces derniers mots dans un murmure. J’ai le coeur serré et des larmes d’impuissance brillent dans mes yeux. Je n’arrive pas à lui faire comprendre, je le vois bien à la manière qu’il a de se dérober à mon regard, à ma main tendue. Il est déjà ailleurs et moi, que puis-je donc lui dire, pour le convaincre ?

-C’est comme si le ciel est à tes pieds et la lumière se réfléchie dans tous les sens. C’est magique…

Il ricane et je ne lui en veut pas.

-Magique ? Réplique-t-il d’un ton dédaigneux. Aurais-tu sniffé de la coke avant de venir ici, dis-moi ?

-Ne fait pas ça, ne soit pas condescendant avec moi.

Je vois qu’il serre les dents pour ne pas me lancer à la figure une réplique cinglante. Je me sens impuissant à lui expliquer la vérité, celle qu’il refuse d’écouter, malgré qu’elle vienne de moi. Pourtant, il doit me faire confiance, sinon, comment pourrais-je le sauver ?

-Laisse-moi te montrer, s’il te plaît, Ayden.

Il recule vers la fenêtre, obstiné et fier. D’un geste las, il l’ouvre et un vent automnal pénètre dans la chambre, jouant dans sa chevelure bois d’érable. Un frisson me parcourt le corps. Il devient inaccessible, me repoussant loin de lui et de ses tourments. Il me rejette. Encore.

-Ayden, je l’ai vu, toute cette lumière, ce ciel d’aube, nimbé d’or, à mes pieds. Tous les matins, il installe un morceau au sol, pour les gens comme toi, pour vous aider. Laisse-moi t’y mener, pour que tu voies par toi-même.

Il se raidit, je le vois à ses épaules qui se redressent subitement, et, agrippe le rebord en métal de la fenêtre.

-J’en ai marre de tes délires, Ludo. Marres de t’entendre me bassiner les oreilles avec ton monde imaginaire. Reviens à la réalité, d’accord ? Tu ne m’aides pas en dissertant sur un vieux fou qui pose des miroirs comme carrelage.

Sa répartie se fiche droit dans mon coeur, comme une flèche pointue et mortelle. Je titube vers le lit, sonné par tant de méchanceté. Nous nous connaissons depuis si longtemps, est-ce là toute sa confiance ? À cet instant, je sens le doux poison de la haine se faufiler dans mes veines et parcourir le chemin vers mon coeur.

-Tu ne sais pas ce que tu dis, Ayden. Je vais t’y amener, que tu le veuilles ou non et tu pourras constater par toi-même de la véracité de ce lieu. Tu y seras en sécurité, tu…

-En sécurité ? Me coupe-t-il d’une voix glaciale. Parce que tu crois que franchir un “monde” pourra changer la donne ? Tu crois que le temps s’arrêtera ? Que le verdict, s’inversera ? Tu es plus fou que moi, Ludo, si tu crois ça.

Je tombe à genou devant le lit, le corps secoué de spasme. Il est toujours dos à moi, mais il crispe les poings. J’ai mal de lui, de nous, mais je ne peux pas renoncer, parce qu’il est mon éternité. Je me relève, reléguant au plus profond de moi ces paroles. Il ne sait pas ce qu’il dit, il n’en comprend pas la portée. Il sera reconnaissant quand il découvrira que j’avais raison. Il me pardonnera.

-Ayden, dis-je en lui prenant la main, regarde-moi et dis-moi que tu vois le mensonge dans mes yeux.

Sa main est froide. Déjà, pensais-je, paniqué.

-Ayden !

Je le tire pour qu’il me suive, mais il est fort, plus que moi, et d’un mouvement brusque, il se retourne et me gifle. La morsure de la bague à son annuaire s’imprime sur ma joue. Il relâche ma main et je tombe à la renverse sur le lit. Je me relève aussitôt, décidé à ne pas le laisser nous perdre.

-Dis-moi, qu’a-tu à perdre à me suivre ? Il ne te reste pas grand temps, alors fait m’en cadeau.

Cette fois, mes paroles ont fait mouche. Il se retourne et je vois des larmes de désespoir, glisser de ses magnifiques yeux violet.

-Il est où, ce monde magique ? Tu crois vraiment qu’il…

Il chancèle dangereusement.

-Ayden !

Je me précipite vers lui pour le retenir. Son visage devient blême, presque cendreux. Sous son poids, nous nous effondrons tous les deux à genoux. Une quinte de toux le secoue pendant d’interminables secondes. Des secondes où la vie semble s’effriter loin de lui. Je déglutis péniblement et essaye de le relever malgré lui. Pas maintenant, pensais-je, pas maintenant.

-Arrête, Ludo, s’il te plaît, c’est trop tard.

-Non.

Je le hais d’abandonner si vite et cette colère, décuple mes forces. Je réussis à nous relever. Il me regarde, sans réellement me voir. Il y a des nuages dans ses prunelles bleues. Mon coeur bat la chamade. La peur s’insinue par tous les ports de mon corps.

-Tu vas me traîner jusque-là ? C’est ça ton plan ?

J’ignore sa remarque sarcastique et avance lentement, péniblement, vers la porte.

-Ce n’est pas loin. Il m’attend, je lui ai parlé déjà de toi. Il a dit que tu pouvais venir. Il accepte qu’une dizaine de personnes par décennie, mais tu vois, je lui ai tellement venté ta beauté, ton courage, ta force et ton grand coeur, qu’il fait une exception pour toi. En général, il ne prend que des enfants. Alors, oui, je te traînerai jusque-là.

-Tu es fou, Ludo… Mais…

De nouveau, la toux l’empêche de terminer. De grosses gouttes de sueur perlent par tous les pores de sa peau qui elle aussi, se teinte d’un gris cireux.

-Ne dis plus un mot, garde tes forces pour avancer avec moi. On va le faire ensemble.

Je fais un autre pas, péniblement, sentant tout le poids de son corps sur le mien. Il est brûlant. Je ravale la terreur qui veut me pétrifier sur place. Je dois le sauver. Sinon…

-Ludo…

Sa voix n’est plus qu’un murmure rauque. Je tourne la tête pour l’apercevoir. Mon coeur devient aussi dur que la pierre. Ses yeux sont presque vitreux et ses lèvres sont craquelées et blanchâtres. Il pue la mort.

-Ayden, hurlais-je, Ayden, n’abandonne pas.

Il relève péniblement la tête. Toute la force qu’il avait plutôt, celle qu’il avait accumulé, pour essayer de me repousser, pour que je ne vois pas ça, s’était dissipé à présent. Il inspire péniblement, j’entends le sifflement de l’air dans ses poumons. Mon Dieu, s’est en train d’arriver. Une larme s’égare sur ma joue.

-Ayden…

-Il existe réellement ce monde ?

Il me regarde et je me mets à pleurer.

-Tu veux que je te raconte, dis-je dans un sanglot, quand le soleil se lève et qu’il se reflète sur les centaines de miroirs ?

Il se laisse glisser doucement le long du lit d’hôpital et je m’assois à ses côtés. Il dépose doucement sa tête sur mon épaule. L’odeur de ses cheveux m’enivre et me rappellent tant de souvenirs. Des souvenirs d’avant, avant sa maladie

-Ayden, je t’ai…

-Chut.

Je sens sa main poisseuse se poser délicatement sur mes lèvres.

-Alors, comment est-il, ce soleil ?

FIN.


vendredi 1 janvier 2016

Nuit de l'écriture


Les douze contes de minuit.

J’ai pris une dernière gorgée de ma coupe de champagne rosée. Sophistiquée jusqu’au bout. Parce qu’il le faut bien. Le temps a passé, trop vite, mais ce n’est pas irréversible. Ça pourrait l’être, si je n’enfilais pas immédiatement mon trench aussi noir que le sang dans mes veines et que je ne sortais pas à ces douze coups de minuit.

Dong.

Cendrillon à la robe gothique et au sourire moqueur. Un conte redessiné parce que sinon, ça ne serait pas amusant. Je n’aime pas les princesses, blondes, trop naïves, sans personnalités. Je me préfère moi, déesse aux mille vies. Il neige à l’extérieur. Une douce poudre féerique qui parsème mon chemin, tel l’or des cheveux de Boucle d’or.

Dong.

Mes talons pourpres claquent sur l’asphalte humide. Le vent s’est levé, caresse mon corps, me fait frissonner de plaisir. La bourrasque transporte dans son sillage le murmure de ma victime. Elle est tout près. Tellement que je l’entends respirer. Mes sens s’aiguisent et la lueur argentée de mes prunelles turquoise s’embrase.

Dong.
Je me dirige vers le parc, ondulant tel un félin plutôt que marchant paresseusement. Je suis excitée, presque impatiente. Elle est tout à côté, je perçois les battements de son cœur, je vois la lumière de son aura. Tellement belle. Si désirable. Vulnérable.

Dong.

Elle est dans mes bras, poupée de satin aux yeux célestes. Elle est parfaite dans son innocence. Parfaite, dans son immobilité. Je hume délicatement son parfum. Du Lilas. Une fleur au printemps. Aérienne. Je m’enivre.

Dong.

Je pose imperceptiblement mes lèvres sur les siennes. Elles sont acidulées. Un frisson parcourt mon corps. Lentement, j’aspire et c’est l’explosion. Son essence se transfère en moi, me pénètre et dans ma tête, il y a ces images, ces couleurs. Je vois un pré un soir de mai et des pissenlits, blancs. Il y a de l’herbe, des oiseaux, la mer, des papillons, des libellules et tellement de nuances de roses. Mes yeux frétillent, mon cœur menace d’éclater sous l’assaut des images. Je suis bien, je suis immortelle.

Dong.

Je la dépose amoureusement sur son linceul blanc et vaporeux. Sa longue tignasse noire méchée de blond forme une auréole autour de son visage en forme de cœur. Je la contemple affectueusement et heureuse. Bénie. Elle m’a fait don, si candidement, de ses rêves, de sa vie. Elle était un privilège, un cadeau, pour cette aube du 24 décembre.

Dong.


Je retourne, lentement, par le chemin emprunté, lui disant un dernier au revoir de la main. La neige la recouvre, lui offre un cercueil éthéré. Mélange d’Aurore et de Blanche-Neige figées dans leurs derniers sommeils.

Dong.


Un conte aux saveurs d’éternité.

Dong, dong, dong, dong.


Fin.