dimanche 18 octobre 2015

L'avenir en héritage

Thème : Écrire un texte avec cette image.



-Pas réussi, trop de pensées qui tournoient dans ma tête…

-Tu ne vas pas te désister, non ? Ici, on n’accepte pas les lâches.

Je soupire longuement, me sentant à la fois abattu et légèrement hors du temps. Je ne me souviens pas pourquoi j’ai cru que c’était une bonne idée. Je ne me souviens même plus comment tout ça a commencé. Peut-être était-ce hier ? Ou il y a dix ans.

Je suis si fatigué.

-Remue ton gros cul, mec. J’n’ai pas qu’ça à faire, attendre après tes réflexions. Il faut y aller.

Je relève légèrement la tête. Je me sens si lourd, si déconnecté. J’aimerais seulement pouvoir me situer dans l’espace-temps, me dire que nous sommes le vingt-trois juillet, mais en fait, il fait trop froid pour qu’il soit cette date. Pourtant, je ne peux pas affirmer sans l’ombre d’un doute quel mois nous sommes.

Je suis si fatigué.

- Magne-toi mec, je ne me répéterai pas. Tes états d’âme, tu les étaleras sur du papier plus tard si tu veux, mais là, c’est le temps d’y aller. Tu l’entends ? Il arrive. Y’a pas de retour possible. Faut prendre le train, mec.

Je me lève, plus mal que bien. Mon regard se focalise sur tout et sur rien. Je papillonne des yeux, avec frénésie, il me semble. Ma bouche est pâteuse, mon cœur palpite beaucoup trop rapidement. Je vais faire une attaque, c’est certain. Je vais m’étendre raide mort ici, sur le plancher de cette gare, vide, et tout ça n’aura eu aucun sens. Qu’un long cauchemar où je ne me serai jamais réveillé. Je dois valoir mieux que ça non ? C’est pour ça que je suis ici. Pour cet avenir…

Je suis si fatigué.

-Voilà, tu es capable de te bouger, je commençais à douter. Allez, viens, n’aie pas peur, je te promets que ça sera splendide. Un feu d’artifice comme tu n’en auras jamais vus. Badaboum !

Il me sourit, il doit croire que cela me rassure, me donne du courage. Quel idiot fait-il, de ne pas comprendre, de ne pas voir. Je n’en ai rien à faire de son pétard aux couleurs de l’arc-en-ciel. Ce que je veux, c’est être reconnu et me débarrasser de cette lassitude qui circule dans mes veines aussi sûrement que mon sang. Je n’ai de goût pour rien. La vie est fade, tellement grise que je crois qu’il pleuviote en permanence. Je respire votre dégoût tous les jours et je recrache des cendres. C’est ça, qui est arrivé. Je me souviens à présent. Cet attrait, ce feu à l’intérieur…

-Rapproche-toi de moi et n’oublie pas ton sac. Je le sens mec, pas toi ? Tu vois, à l’est, le soleil qui se lève ? C’est l’augure du jour glorieux. C’t’un bon signe. Il fera beau quand il pleuvra tout ce sang. J’en frisonne d’extase, déjà. Allez, tiens, prends une autre pilule, tu sembles en avoir besoin. Ça va être merveilleux, mec. Tellement merveilleux.

J’avale la pilule qu’il me tend. Sa main tremble légèrement de toute cette excitation. Les demoiselles nous observent depuis un moment déjà. Je m’approche lentement d’une et d’un geste vif, l’écrase contre le mur. Ses ailes diaphanes battent éperdument, dernier sursaut de sa fragile vie, avant de finalement se désagréger dans l’air pur matinal. L’autre rigole franchement. Du sang gluant coule le long du ciment sale. Je l’observe fasciné. J’ai senti un truc à l’intérieur de moi remuer.

Un monstre.

-T’es prêt ? Le train s’amène en gare. Allez, bouge-toi par ici. C’est l’heure. Ding, dong.

Il a les yeux fous de ceux qui n’ont plus d’espoirs, plus de rêves, seulement une envie bestiale de satisfaire leurs ennuis mortels. C’est ça la vie finalement. Satisfaire ses besoins les plus sombres et devenir enfin ce que l’on est ; un animal. Le train rentre en gare en sifflant. Le vent ébouriffe sa chevelure et le fait tanguer. De si grandes ambitions dans un si petit corps. Je le surplombe de toute ma taille, je suis beaucoup plus fort. Mais est-ce que ça se mesure à ça ?

-Tu fous quoi, mec ? Range ta conscience dans ta poche et embarque avec moi. J’te défends d’hésiter. C’ta notre tour de parler. On a quelque chose à dire, autant que ça soit à la hauteur de qui nous sommes, non ?

Les portes sont ouvertes, n’attendent que moi, mais j’hésite. Je tergiverse, me balançant de gauche à droite. Oui, non. Oui, non. À quoi bon ? Pourquoi pas ? Puis c’est ça, c’est la raison de mon existence, de mon insomnie et de ma détresse. Non, pas ma détresse, plutôt de… L’exaltation ? C’est ça non ? Je ressens étrangement chaque fibre de mon corps, le sang dans mes veines, mes cheveux qui poussent, mes yeux qui perçoivent les nuances de jaune du soleil levant. Un nouveau jour. Notre jour. Je happe mon sac et passe les portes qui se referment. Il me sourit.

-Nous arriverons pile à l’heure, mon ami. Trinque avec moi. Allez. On va écrire notre histoire.

Il lève son fusil, je fais de même. Il n’y a personne dans notre wagon. Nous sommes les seuls, tels des rois, des vainqueurs, des tueurs.

Doucement, le train file vers la ville. Vers le centre de toute vie. La palpitante.

« L’avenir en héritage »

Quel nom d’école lamentable.
Fin.

lundi 5 octobre 2015

Plus que la vie



 J’admire ton rayonnement, cette petite lueur opaline qui irradie de toi, comme si le ciel venait de se poser à tes pieds, encensant ton être de grâce. Tu viens d’arriver, je peux le sentir à ta sueur qui suinte légèrement par tes pores. Rien d’extravagant, seulement un novice, qui n’y connaît rien. Encore une fois. Je réprime une envie de rire pour ne pas me révéler à toi, du moins, pas à cet instant précis. J’ai envie de m’amuser et j’ai tellement de chance, tu es mon jouet favori.

Je me déplace légèrement vers la gauche, là où il me sera plus facile d’observer tes premiers pas sur cette terre. Tu sembles un peu incertain, regardant dans toutes les directions à la fois, m’apercevant sans pourtant me voir. Tu ne sais même pas encore comment détecter l’invisible, comment prévoir l’imprévisible. Ne t’ont-ils donc rien appris, là-haut ? Bien sûr que si, mais tu as tout oublié, subjugué par toute cette beauté qui t’entoure, incapable d’aligner trois pensées censées d’affiler. Ta fébrilité m’excite, m’enivre, me donne envie de toi, sans même m’amuser avant. En finir rapidement. Une jouissance brève mais explosive. Je dois me calmer.

Tu bouges lentement, te diriges en titubant, comme si tu venais d’ingurgiter plus de litres d’alcool que ton corps peut en supporter, vers la ville. Là où ils sont tous, tes semblables, les autres et moi. T’ont-ils parlé de moi ? Mis en garde que je pouvais me terrer quelque part, attendant le bon moment pour te prendre ce que tu viens si bravement de gagner ? N’est-ce pas d’une ironie tordante ?

Tu es plus sûr de toi, tu rejettes les épaules en arrière et lèves fièrement la tête. Voilà, c’est comme ça que je t’aime, comme ça que je veux te prendre, dans toute ta gloire pathétique. Tu n’es pas spécial, tes ailes sont blanches, tu n’es qu’un gardien de bas étage. Les Ailes vertes sont mes préférés, un sang délicat au début, qui finit par éclater dans la bouche, comme un feu d’artifice, millions de couleurs et de paillettes, un festin inoubliable. Mais ils sont rares, car, pourquoi quitteraient-ils la chaleur et la sécurité d’un endroit éternel pour une terre inconnue, où ils ressentiront bien autre chose que Son amour. Par contre, vous, vous êtes presque légion à atterrir ici, parmi les humains, et à vouloir apprendre leurs langages, leurs fonctionnements, leurs émotions et surtout, leurs humanités. Vous mourrez, comme eux, mais renaîtrez ensuite comme vous étiez avant de venir les rejoindre, plus grands et plus forts. À moins que…

Que je vous vole votre âme.

Tes ailes s’évaporent lentement, tes traits prennent peu à peu une apparence moins angélique, plus banale. Seuls tes yeux gardent ce chatoiement Céleste, comme si les galaxies y vivaient. Tu es près de moi à présent, forte et belle. Désirable. Je suis en alerte, énervée par ce qui s’en vient, désireux de bien faire les choses, de te donner la mort à la hauteur de ta prestance qui grandit de minute en minute, plus tu prends de l’assurance, plus tu assimiles ton environnement, ne faisant qu’un avec lui. Je t’ai sous-estimé légèrement, tu t’acclimates rapidement, ça me plaît et me donne encore plus envie de toi. Je glisse doucement vers l’arbre derrière toi. Tu es peut-être humaine, mais pas de naissance et par ce fait, tu gardes certains dons et dans quelques secondes, tu détecteras ma présence. Dois-je te laisser me découvrir ?

Le vent choisi pour moi. Lentement, il se lève, caresse doucement ton corps divin, soulève ta longue chevelure ambrée, apporte à toi, l’odeur de la mort. Tu te raidis, tous les sens en alerte. La peur prend possession de chacune de tes cellules organiques, pompant furieusement ton sang dans tes veines. J’entends le vacarme furieux de ton cœur qui bat avec frénésie.

On y est.

Tu te retournes au moment où je fonce sur toi et happe ta taille. Un craquement sonore s’envole dans la nuit. Ta bouche s’ouvre en un étonnement parfait. Je te maintiens contre moi, écoutant la douce mélodie de ton sang chanter à mes oreilles. Un bouillon effréné qui circule en toi, déversant des litres d’adrénaline dans tes muscles pour te donner l’énergie de m’échapper. Un bien faible espoir éphémère, tu ne pourras pas t’échapper et tu le lis dans mes yeux.

-Je t’aime, murmurais-je en me penchant vers ton cou palpitant.

Mes dents pointues percent facilement la fine membrane de ta chair et le liquide chaud se déverse dans ma bouche. Je t’enlace plus étroitement, comme si nous allions valser. Une danse mortelle. J’aspire vigoureusement, presque frénétique. Derrière mes paupières, explose la lumière éternelle. La tienne. Elle est faite de spirales dorées, pailletées de rose infini. Je goûte ta vie, la savoure comme si elle était mienne. J’ai envie de pleurer, tellement tu es merveilleuse, tellement tu es… Parfaite.
J’absorbe ton essence, encore et encore, des litres d’images qui éclatent derrière mes paupières closes. Ton paradis, tes amis, ta famille, les champs tapissés de fleurs exotiques, ta joie, ta beauté, ton âme. Toi.

Je ne peux plus te relâcher, je sens ton corps vibrer contre moi et ma main, se pose sur ta poitrine. Ta vie est belle. Le flot rubescent, lentement, se tari, j’ouvre les yeux, presque essoufflé et contemple ton visage cireux. Tes yeux papillotent désespérément, comme un insecte qui serait pris dans une toile d’araignée. Ton corps est mou dans mes bras vigoureux. Ton sang précieux circule à présent dans mes veines, me rendant plus fort que jamais. Bientôt, je pourrai être considéré comme Lui. Tu es étendu sur la chaussée, ta robe lavande remontée sur tes cuisses. Je me tiens au-dessus de toi, contemplant ton agonie et je vois dans tes yeux éteints, que tu me trouves beau. Je souris victorieux. Je déploie mes ailes d’un noir charbonneux et te tourne le dos. Dans moins de trente secondes, tu mourras et tu ne pourras ressusciter, car je t’ai pris la seule chose qui comptait : ton étincelle.

Je donne un coup de pied sur le sol pour m’envoler, mais des doigts m’agrippent la cheville. Je me retourne, agacé et que vois-je ? Toi, encore vivante, s’attachant désespérément à moi. Tu murmures sans relâche une phrase que je ne comprends pas. 

Vingt, dix-neuf, dix-huit, dix-sept…

Je suis légèrement agacé et j’hésite à me pencher pour t’entendre ou à m’élancer sur toi et faucher une bonne fois pour toute cette vie qui s’accroche férocement en toi. 

Seize, quinze, quatorze, treize, douze…

Soit, je me sens magnanime ce soir. Je m’incline devant toi et prend ton visage strié de veines bleues entre mes mains et penche l’oreille vers tes lèvres exsangue. J’ai l’ouïe très fine, bien sûr, mais tu jacasses en langue étrangère alors il me faut être prêt de toi pour comprendre tous ces sons que tu chuchotes de plus en plus fiévreusement. 

Onze, dix, neuf, huit, sept, six…

Au début, je n’arrive pas à saisir tes mots, ils sont trop faibles, puis, doucement, la phrase se met en place et je ne peux retenir un petit cri de surprise. Comme je t’ai sous-estimé, enfant de la lumière. Cependant, ma nature première de prédateur, réfute ce que tu dis. Ce que j’aime, c’est le sang et la mort, rien d’autre, mais… Je suis joueur, tu vois, et je crois que tu l’as perçu quand nous étions intimement liés plutôt ou serait-ce l’éclat dans mes yeux qui m’a trahi ? Je te vois paniquer, à mon hésitation. Ton corps est secoué de soubresaut, la mort est tout près, elle renifle ton joli corps, alors, avec l’énergie du désespoir, tu réussis à détourner ton regard de ses iris aux reflets abyssaux et tu te lèves en tremblant.

Cinq, quatre, trois…

-Fais-moi tienne, réussis-tu à articuler d’une voix rauque. 

Deux.

Un sourire espiègle étire mes lèvres.

Un.

Fin.