J’admire ton rayonnement, cette petite
lueur opaline qui irradie de toi, comme si le ciel venait de se poser à tes
pieds, encensant ton être de grâce. Tu viens d’arriver, je peux le sentir à ta
sueur qui suinte légèrement par tes pores. Rien d’extravagant, seulement un
novice, qui n’y connaît rien. Encore une fois. Je réprime une envie de rire
pour ne pas me révéler à toi, du moins, pas à cet instant précis. J’ai envie de
m’amuser et j’ai tellement de chance, tu es mon jouet favori.
Je me déplace légèrement vers la
gauche, là où il me sera plus facile d’observer tes premiers pas sur cette
terre. Tu sembles un peu incertain, regardant dans toutes les directions à la
fois, m’apercevant sans pourtant me voir. Tu ne sais même pas encore comment
détecter l’invisible, comment prévoir l’imprévisible. Ne t’ont-ils donc rien
appris, là-haut ? Bien sûr que si, mais tu as tout oublié, subjugué par toute
cette beauté qui t’entoure, incapable d’aligner trois pensées censées d’affiler.
Ta fébrilité m’excite, m’enivre, me donne envie de toi, sans même m’amuser
avant. En finir rapidement. Une jouissance brève mais explosive. Je dois me
calmer.
Tu bouges lentement, te diriges en
titubant, comme si tu venais d’ingurgiter plus de litres d’alcool que ton corps
peut en supporter, vers la ville. Là où ils sont tous, tes semblables, les
autres et moi. T’ont-ils parlé de moi ? Mis en garde que je pouvais me terrer
quelque part, attendant le bon moment pour te prendre ce que tu viens si
bravement de gagner ? N’est-ce pas d’une ironie tordante ?
Tu es plus sûr de toi, tu rejettes les
épaules en arrière et lèves fièrement la tête. Voilà, c’est comme ça que je
t’aime, comme ça que je veux te prendre, dans toute ta gloire pathétique. Tu
n’es pas spécial, tes ailes sont blanches, tu n’es qu’un gardien de bas étage.
Les Ailes vertes sont mes préférés, un sang délicat au début, qui finit par
éclater dans la bouche, comme un feu d’artifice, millions de couleurs et de
paillettes, un festin inoubliable. Mais ils sont rares, car, pourquoi
quitteraient-ils la chaleur et la sécurité d’un endroit éternel pour une terre
inconnue, où ils ressentiront bien autre chose que Son
amour. Par contre, vous, vous êtes presque légion à atterrir ici, parmi les
humains, et à vouloir apprendre leurs langages, leurs fonctionnements, leurs
émotions et surtout, leurs humanités. Vous mourrez, comme eux, mais renaîtrez
ensuite comme vous étiez avant de venir les rejoindre, plus grands et plus
forts. À moins que…
Que je vous vole votre âme.
Tes ailes s’évaporent lentement, tes
traits prennent peu à peu une apparence moins angélique, plus banale. Seuls tes
yeux gardent ce chatoiement Céleste, comme si les galaxies y vivaient. Tu es
près de moi à présent, forte et belle. Désirable. Je suis en alerte, énervée
par ce qui s’en vient, désireux de bien faire les choses, de te donner la mort
à la hauteur de ta prestance qui grandit de minute en minute, plus tu prends de
l’assurance, plus tu assimiles ton environnement, ne faisant qu’un avec lui. Je
t’ai sous-estimé légèrement, tu t’acclimates rapidement, ça me plaît et me
donne encore plus envie de toi. Je glisse doucement vers l’arbre derrière toi.
Tu es peut-être humaine, mais pas de naissance et par ce fait, tu gardes
certains dons et dans quelques secondes, tu détecteras ma présence. Dois-je te
laisser me découvrir ?
Le vent choisi pour moi. Lentement, il
se lève, caresse doucement ton corps divin, soulève ta longue chevelure ambrée,
apporte à toi, l’odeur de la mort. Tu te raidis, tous les sens en alerte. La
peur prend possession de chacune de tes cellules organiques, pompant
furieusement ton sang dans tes veines. J’entends le vacarme furieux de ton cœur
qui bat avec frénésie.
On y est.
Tu te retournes au moment où je fonce
sur toi et happe ta taille. Un craquement sonore s’envole dans la nuit. Ta
bouche s’ouvre en un étonnement parfait. Je te maintiens contre moi, écoutant
la douce mélodie de ton sang chanter à mes oreilles. Un bouillon effréné qui
circule en toi, déversant des litres d’adrénaline dans tes muscles pour te
donner l’énergie de m’échapper. Un bien faible espoir éphémère, tu ne pourras
pas t’échapper et tu le lis dans mes yeux.
-Je t’aime, murmurais-je en me penchant
vers ton cou palpitant.
Mes dents pointues percent facilement la fine membrane de ta chair et le liquide chaud se déverse dans ma bouche. Je t’enlace plus étroitement, comme si nous allions valser. Une danse mortelle. J’aspire vigoureusement, presque frénétique. Derrière mes paupières, explose la lumière éternelle. La tienne. Elle est faite de spirales dorées, pailletées de rose infini. Je goûte ta vie, la savoure comme si elle était mienne. J’ai envie de pleurer, tellement tu es merveilleuse, tellement tu es… Parfaite.
J’absorbe
ton essence, encore et encore, des litres d’images qui éclatent derrière mes
paupières closes. Ton paradis, tes amis, ta famille, les champs tapissés de
fleurs exotiques, ta joie, ta beauté, ton âme. Toi.
Je
ne peux plus te relâcher, je sens ton corps vibrer contre moi et ma main, se
pose sur ta poitrine. Ta vie est belle. Le flot rubescent, lentement, se tari,
j’ouvre les yeux, presque essoufflé et contemple ton visage cireux. Tes yeux
papillotent désespérément, comme un insecte qui serait pris dans une toile
d’araignée. Ton corps est mou dans mes bras vigoureux. Ton sang précieux
circule à présent dans mes veines, me rendant plus fort que jamais. Bientôt, je
pourrai être considéré comme Lui. Tu es étendu sur la
chaussée, ta robe lavande remontée sur tes cuisses. Je me tiens au-dessus de
toi, contemplant ton agonie et je vois dans tes yeux éteints, que tu me trouves
beau. Je souris victorieux. Je déploie mes ailes d’un noir charbonneux et te
tourne le dos. Dans moins de trente secondes, tu mourras et tu ne pourras
ressusciter, car je t’ai pris la seule chose qui comptait : ton étincelle.
Je donne un coup de pied sur le sol pour m’envoler, mais des doigts
m’agrippent la cheville. Je me retourne, agacé et que vois-je ? Toi, encore
vivante, s’attachant désespérément à moi. Tu murmures sans relâche une phrase
que je ne comprends pas.
Vingt, dix-neuf, dix-huit, dix-sept…
Je suis légèrement agacé et j’hésite à me pencher pour t’entendre ou à
m’élancer sur toi et faucher une bonne fois pour toute cette vie qui s’accroche
férocement en toi.
Seize, quinze, quatorze, treize, douze…
Soit, je me sens magnanime ce soir. Je m’incline devant toi et prend ton
visage strié de veines bleues entre mes mains et penche l’oreille vers tes
lèvres exsangue. J’ai l’ouïe très fine, bien sûr, mais tu jacasses en langue
étrangère alors il me faut être prêt de toi pour comprendre tous ces sons que
tu chuchotes de plus en plus fiévreusement.
Onze, dix, neuf, huit, sept, six…
Au
début, je n’arrive pas à saisir tes mots, ils sont trop faibles, puis,
doucement, la phrase se met en place et je ne peux retenir un petit cri de
surprise. Comme je t’ai sous-estimé, enfant de la lumière. Cependant, ma nature
première de prédateur, réfute ce que tu dis. Ce que j’aime, c’est le sang et la
mort, rien d’autre, mais… Je suis joueur, tu vois, et je crois que tu l’as
perçu quand nous étions intimement liés plutôt ou serait-ce l’éclat dans mes
yeux qui m’a trahi ? Je te vois paniquer, à mon hésitation. Ton corps est
secoué de soubresaut, la mort est tout près, elle renifle ton joli corps,
alors, avec l’énergie du désespoir, tu réussis à détourner ton regard de ses
iris aux reflets abyssaux et tu te lèves en tremblant.
Cinq, quatre, trois…
-Fais-moi tienne, réussis-tu à articuler d’une voix rauque.
Deux.
Un sourire espiègle étire mes lèvres.
Un.
Fin.
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