lundi 5 octobre 2015

Plus que la vie



 J’admire ton rayonnement, cette petite lueur opaline qui irradie de toi, comme si le ciel venait de se poser à tes pieds, encensant ton être de grâce. Tu viens d’arriver, je peux le sentir à ta sueur qui suinte légèrement par tes pores. Rien d’extravagant, seulement un novice, qui n’y connaît rien. Encore une fois. Je réprime une envie de rire pour ne pas me révéler à toi, du moins, pas à cet instant précis. J’ai envie de m’amuser et j’ai tellement de chance, tu es mon jouet favori.

Je me déplace légèrement vers la gauche, là où il me sera plus facile d’observer tes premiers pas sur cette terre. Tu sembles un peu incertain, regardant dans toutes les directions à la fois, m’apercevant sans pourtant me voir. Tu ne sais même pas encore comment détecter l’invisible, comment prévoir l’imprévisible. Ne t’ont-ils donc rien appris, là-haut ? Bien sûr que si, mais tu as tout oublié, subjugué par toute cette beauté qui t’entoure, incapable d’aligner trois pensées censées d’affiler. Ta fébrilité m’excite, m’enivre, me donne envie de toi, sans même m’amuser avant. En finir rapidement. Une jouissance brève mais explosive. Je dois me calmer.

Tu bouges lentement, te diriges en titubant, comme si tu venais d’ingurgiter plus de litres d’alcool que ton corps peut en supporter, vers la ville. Là où ils sont tous, tes semblables, les autres et moi. T’ont-ils parlé de moi ? Mis en garde que je pouvais me terrer quelque part, attendant le bon moment pour te prendre ce que tu viens si bravement de gagner ? N’est-ce pas d’une ironie tordante ?

Tu es plus sûr de toi, tu rejettes les épaules en arrière et lèves fièrement la tête. Voilà, c’est comme ça que je t’aime, comme ça que je veux te prendre, dans toute ta gloire pathétique. Tu n’es pas spécial, tes ailes sont blanches, tu n’es qu’un gardien de bas étage. Les Ailes vertes sont mes préférés, un sang délicat au début, qui finit par éclater dans la bouche, comme un feu d’artifice, millions de couleurs et de paillettes, un festin inoubliable. Mais ils sont rares, car, pourquoi quitteraient-ils la chaleur et la sécurité d’un endroit éternel pour une terre inconnue, où ils ressentiront bien autre chose que Son amour. Par contre, vous, vous êtes presque légion à atterrir ici, parmi les humains, et à vouloir apprendre leurs langages, leurs fonctionnements, leurs émotions et surtout, leurs humanités. Vous mourrez, comme eux, mais renaîtrez ensuite comme vous étiez avant de venir les rejoindre, plus grands et plus forts. À moins que…

Que je vous vole votre âme.

Tes ailes s’évaporent lentement, tes traits prennent peu à peu une apparence moins angélique, plus banale. Seuls tes yeux gardent ce chatoiement Céleste, comme si les galaxies y vivaient. Tu es près de moi à présent, forte et belle. Désirable. Je suis en alerte, énervée par ce qui s’en vient, désireux de bien faire les choses, de te donner la mort à la hauteur de ta prestance qui grandit de minute en minute, plus tu prends de l’assurance, plus tu assimiles ton environnement, ne faisant qu’un avec lui. Je t’ai sous-estimé légèrement, tu t’acclimates rapidement, ça me plaît et me donne encore plus envie de toi. Je glisse doucement vers l’arbre derrière toi. Tu es peut-être humaine, mais pas de naissance et par ce fait, tu gardes certains dons et dans quelques secondes, tu détecteras ma présence. Dois-je te laisser me découvrir ?

Le vent choisi pour moi. Lentement, il se lève, caresse doucement ton corps divin, soulève ta longue chevelure ambrée, apporte à toi, l’odeur de la mort. Tu te raidis, tous les sens en alerte. La peur prend possession de chacune de tes cellules organiques, pompant furieusement ton sang dans tes veines. J’entends le vacarme furieux de ton cœur qui bat avec frénésie.

On y est.

Tu te retournes au moment où je fonce sur toi et happe ta taille. Un craquement sonore s’envole dans la nuit. Ta bouche s’ouvre en un étonnement parfait. Je te maintiens contre moi, écoutant la douce mélodie de ton sang chanter à mes oreilles. Un bouillon effréné qui circule en toi, déversant des litres d’adrénaline dans tes muscles pour te donner l’énergie de m’échapper. Un bien faible espoir éphémère, tu ne pourras pas t’échapper et tu le lis dans mes yeux.

-Je t’aime, murmurais-je en me penchant vers ton cou palpitant.

Mes dents pointues percent facilement la fine membrane de ta chair et le liquide chaud se déverse dans ma bouche. Je t’enlace plus étroitement, comme si nous allions valser. Une danse mortelle. J’aspire vigoureusement, presque frénétique. Derrière mes paupières, explose la lumière éternelle. La tienne. Elle est faite de spirales dorées, pailletées de rose infini. Je goûte ta vie, la savoure comme si elle était mienne. J’ai envie de pleurer, tellement tu es merveilleuse, tellement tu es… Parfaite.
J’absorbe ton essence, encore et encore, des litres d’images qui éclatent derrière mes paupières closes. Ton paradis, tes amis, ta famille, les champs tapissés de fleurs exotiques, ta joie, ta beauté, ton âme. Toi.

Je ne peux plus te relâcher, je sens ton corps vibrer contre moi et ma main, se pose sur ta poitrine. Ta vie est belle. Le flot rubescent, lentement, se tari, j’ouvre les yeux, presque essoufflé et contemple ton visage cireux. Tes yeux papillotent désespérément, comme un insecte qui serait pris dans une toile d’araignée. Ton corps est mou dans mes bras vigoureux. Ton sang précieux circule à présent dans mes veines, me rendant plus fort que jamais. Bientôt, je pourrai être considéré comme Lui. Tu es étendu sur la chaussée, ta robe lavande remontée sur tes cuisses. Je me tiens au-dessus de toi, contemplant ton agonie et je vois dans tes yeux éteints, que tu me trouves beau. Je souris victorieux. Je déploie mes ailes d’un noir charbonneux et te tourne le dos. Dans moins de trente secondes, tu mourras et tu ne pourras ressusciter, car je t’ai pris la seule chose qui comptait : ton étincelle.

Je donne un coup de pied sur le sol pour m’envoler, mais des doigts m’agrippent la cheville. Je me retourne, agacé et que vois-je ? Toi, encore vivante, s’attachant désespérément à moi. Tu murmures sans relâche une phrase que je ne comprends pas. 

Vingt, dix-neuf, dix-huit, dix-sept…

Je suis légèrement agacé et j’hésite à me pencher pour t’entendre ou à m’élancer sur toi et faucher une bonne fois pour toute cette vie qui s’accroche férocement en toi. 

Seize, quinze, quatorze, treize, douze…

Soit, je me sens magnanime ce soir. Je m’incline devant toi et prend ton visage strié de veines bleues entre mes mains et penche l’oreille vers tes lèvres exsangue. J’ai l’ouïe très fine, bien sûr, mais tu jacasses en langue étrangère alors il me faut être prêt de toi pour comprendre tous ces sons que tu chuchotes de plus en plus fiévreusement. 

Onze, dix, neuf, huit, sept, six…

Au début, je n’arrive pas à saisir tes mots, ils sont trop faibles, puis, doucement, la phrase se met en place et je ne peux retenir un petit cri de surprise. Comme je t’ai sous-estimé, enfant de la lumière. Cependant, ma nature première de prédateur, réfute ce que tu dis. Ce que j’aime, c’est le sang et la mort, rien d’autre, mais… Je suis joueur, tu vois, et je crois que tu l’as perçu quand nous étions intimement liés plutôt ou serait-ce l’éclat dans mes yeux qui m’a trahi ? Je te vois paniquer, à mon hésitation. Ton corps est secoué de soubresaut, la mort est tout près, elle renifle ton joli corps, alors, avec l’énergie du désespoir, tu réussis à détourner ton regard de ses iris aux reflets abyssaux et tu te lèves en tremblant.

Cinq, quatre, trois…

-Fais-moi tienne, réussis-tu à articuler d’une voix rauque. 

Deux.

Un sourire espiègle étire mes lèvres.

Un.

Fin.

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