vendredi 19 juin 2015

Pour l'éternité

Tout se cristallise autour de moi. Langue de froid qui fige, à jamais, la vie dans sa forme immédiate. Le vent, bourrasque humide, caresse mon corps encore fort. Là-haut, sur la colline, au pied du vide qu’est maintenant la vie, je contemple les dernières secondes de l’humanité. La terre inspire et je flotte dans cet instant béni, ou rien, encore, ne s’est produit. Un moment éternel, avant la Grande fin. Je me tiens droite, le visage serein, mais le cœur en miette. Je serre les poings de rage et peut-être de désespoir. Le bandage à mon poignet droit, se défait, tant je serre fort. Mes ongles, enfoncés dans la chair de ma paume, me rappellent à quel point je suis vivante et heureuse de l’être. Pourtant, il ne me reste qu’une seconde. Peut-être même une fraction de seconde et mes pensées, lâchées libres dans ce moment de panique et de sursis, vagabondes en tout sens, captant la beauté et l’horreur qui devant moi, se dessinent.

 -Je veux vivre, mais je mourrai. 

Ce répit, temporaire, n’est dû qu’à ma témérité et à ma soif incessante de gagner. J’ai grimpé ici, me suis écorché la peau et l’âme, mais je suis arrivé, là, au bout du monde pour le voir s’éteindre, au première loge et peut-être espérer, bien futilement, ne pas sombrer avec lui. Comme si j’étais mieux que ces milliards de morts, comme si j’étais plus, qu’une jeune fille de dix-sept ans.

 -Je te hais.

Parce que je n’ai pas pu aimer. Je n’ai même pas appris à rire, à découvrir et à m’émouvoir. Je n’ai même jamais voyagé, ni toucher un homme. Jamais, je ne saurai ce que ça fait, de sentir quelqu’un, en soi, aussi intimement. Tu prends tout, aujourd’hui, sans te soucier de nous, comme si cela t’était dû, comme si tu avais tous les droits sur nous. Je te déteste tellement. 

-Et moi, vous me répugnez, alors oui, je reprends ce qui me reviens ; la vie. Je n’en ai rien à faire, de tes jérémiades et tes pleurs. Tu n’es rien pour moi, qu’une insignifiante créature qui ne sait que proclamer et s’approprier tout ce qui ne lui appartient pas. Toi, plus que les autres.

Le ciel se fragmenta bruyamment, révélant un trou noir béant suintant de larve argentée et meurtrière. Des éclairs érubescents striaient le firmament et parfois, touchaient terre, enflammant les arbres encore vivants, tout près de moi. Une énorme sphère couleur de la mort, se dessina lentement à l’horizon. Je déglutis, le cœur comprimé par l’horreur et la peur. 

-Je te demande pardon

-Dommage que ça soit trop peu, trop tard, enfant. Je ne ressens plus rien à la vue de ta misérable repentance. Certes, tu m’éblouis par ta beauté, ta jeunesse et ta vigueur, mais ce n’est que du frimas. Un mirage qui ne cache que la cupidité et la peur de mourir. Tu es plus pathétique, que je ne pouvais me l’imaginer. Tu mourras, comme tous les autres. 

Un frisson me parcourut le corps en entier. Ma respiration s’accéléra et mon cœur, affolé, se comprima dans ma poitrine. Je le sentais se ratatiner, près à exploser. L’air se raréfiait. La glace léchait mes pieds nus. Le ciel d’un mauve écarlate au sous ton d’orange brûlée, déversait des cendres translucides au contour coupant. Ma peau s’ouvrit sous l’attaque, déversant mon précieux sang. Je voulus hurler, mais je n’avais plus de voix pour exprimer l’horreur qui se déversait autour de moi. Des larmes brûlantes coulèrent doucement sur mes joues. Le froid s’insinuait partout en moi, brisant un à un mes rêves et mes espoirs. Je me débattis.

-Je te tuerai, même si cela prend plus de temps avec toi, parce que ta détermination est certes louable, mais pas, éternelle. Je serai plus forte que toi. Je te piétinerai comme toi et tous ceux avant toi, l’avez fait. Petite fleur sauvage, si fragile

-NON. 

Un rire méprisable presque moqueur s’éleva dans le capharnaüm de cette fin du monde. J’étais peut-être petite et mes efforts vains, mais je gagnerais, parce qu’il en était toujours ainsi. Ma volonté, avant celle des autres.J’avançai, levant un pied après l’autre, laissant des lambeaux de peau à cette terre meurtrière. Les dents et les poings serrés, motivé par l’issue et la victoire, je levai une dernière fois les yeux vers la voûte céleste qui se gorgeait des dernières lumières du monde et les renvoyaient en milliers de confettis scintillants. Ma tête vibra et mon cœur manqua un battement. Je sentis une force, telle qu’elle me fit courber l’échine. Cependant, faisant fi de la douleur, je me relevai, me mordant la lèvre inférieure au sang. Ma seconde était terminée.

-Adieu. 

Je l’entendis chuchoter ce mot fébrilement, dans la brise glaciale qui brisait mon corps, mais elle n’avait pas compris. Alors, je tendis les bras en croix, ange victorieux et sauté dans le vide. Un sourire éblouissant se dessina sur mes lèvres craquelées et avant que mon corps ne se désintègre, mes yeux aux reflets perlés rencontrèrent ceux, courroucés, de mon bourreau. 

Moi, la vie, elle, la mort mise en échec.

FIN.

vendredi 5 juin 2015

Le prix de la liberté



 Une petite nouvelle écrite hier. Il n'y a aucun thème. 




Le ciel était gorgé d’un jaune moutarde brumeuse, strié par de minces lignes gris anthracite. Au loin, les détonations résonnaient comme le passage d’un millier de chevaux. Parfois, dans ce vacarme assourdissant, des cris intolérables à entendre, comme si la mort se moquait, bouleversaient les centaines d’hommes qui essayaient, malgré la terreur prise en étau autour de leur gorge, de se reposer un peu. Un sommeil bien volatile pour la plupart et pour les autres, qui semblaient paisibles, il fallait sonder leurs songes pour contempler toute l’horreur qui les peuplaient. Des corps démembrés, du sang en flot indomptable et des amis, perdus à jamais.


On lui avait dit d’aller se reposer. Qu’il le fallait, car à même pas sept lieues, les envahisseurs avançaient. Lentement, mais déterminés, semant sur leurs chemins, une mort aussi certaine que l’aube qui se lève chaque jour. Leurs sillages, disait-on, étaient imprégnés par la désolation et la putréfaction. Un cauchemar dont on ne se réveillait pas.


Mais le soldat, refusait d’écouter les ordres et fébrilement, il répondait à la lettre qu’il venait de recevoir. Il était assis sur une chaise de fortune sous une tente dont les battants, claquaient au vent. Une odeur de chair brûlée flottait près de lui. Il essayait de l’occulter pour ne pas que son cœur, déjà si inquiet, bondisse dans un rythme effréné contre sa poitrine. Il avait besoin de concentration, ultime effort qu’il lui devait, pour ne pas que sa main tremble et trahisse la terrible vérité.


« À toi mon amour,

Ta lettre m’a procuré une telle joie. J’aurais voulu être à tes côtés, pour voir notre fille naître, mais par la photo, je constate qu’elle est aussi jolie que toi. Je te remercie tant, de me l’avoir envoyée. Elle est le rayon de soleil de mes journées, qui sans te mentir, sont enténébrées ces derniers temps. Beaucoup sont morts, amour, mais ne te soucie pas de ma santé. Je vais bien et si je prends la peine de coucher sur papier ces mots, c’est que j’ai de merveilleuses nouvelles. Je rentre demain. Nous serons enfin réunis après dix longs mois de séparation… »



Le vent tomba soudainement, laissant une moiteur puante s’installer. Le soldat releva la tête, étonné par ce soudain calme. Même les oiseaux, d’ordinaire si pimpants à cette heure, s’étaient tus. Une sourde angoisse comprima la gorge du soldat. L’urgence de terminer sa lettre, le préoccupa à un tel point, qu’il n’entendit pas l’agitation qui commençait à gronder autour de lui.



« … J’arriverai, avant ma lettre, mais je tenais tout de même à t’exprimer tout ce que mon cœur ressent pour toi et notre fille. Ainsi, restera à jamais, quelque part la trace de l’amour que je te porte… »



Un par un, les soldats qui étaient couchés, se réveillaient en sursaut, certains, incapables de se souvenir de l’endroit où ils étaient. Bienheureux furent ceux-là, car jamais, ils ne comprirent ce qu’ils leur arrivèrent. L’ennemi, supposé être encore à une journée de marche, était apparu, tel un spectre funeste, sur les plaines endormies de ce matin de juin. Le jour se levait, aurore cotonneuse aux tons d’hydromel rosé, mais qui pourrait encore en témoigner, le soir venu ? Les soldats se précipitaient, piétinaient dans leurs hâtes, ceux qui n’étaient pas aussi rapides, pour attraper leurs armes. Une cacophonie monstre, s’installa, mélangeant peur, cris de guerre et cris de douleur. Pourtant, James ne lâchait plus son crayon, frénésie presque hystérique, de donner ce qui restait de lui, à celle qu’il aimait plus que la vie.


« …J’ai toujours crû que notre guerre était juste. Pourtant, j’entrevois la vérité et celle-ci, n’est pas glorieuse. Avais-je besoin des honneurs, est-ce pour cela que nous nous battons ? Pour mourir dignement ? Tout me semble futile, à cet instant précis où je regarde les yeux lilas de notre fille et son doux sourire. Je comprends enfin, ce que je cherchais ici. La vie, n’existe que par l’amour des autres et non dans leurs morts. C’était si facile et pourtant… »



Une violente explosion, tout près celle-là, secoua la plaine, rasant cent hommes, en blessant cent autres. Des chevaux hennirent paniqués ou blessés eux aussi. Des ordres furent donnés. De la fumée s’élevait dans le ciel à présent cobalt.



« …Je dois terminer cette lettre, car elle ne partira jamais, si je m’éternise. Sache que je trépigne de te serrer dans mes bras et de pouvoir sentir à nouveau, ton corps contre le mien. Ne perds jamais ton sourire, mon amour, quoiqu’il arrive, tu as été l’ange qui veillait sur moi. Un nouveau monde se lèvera demain, je te le promets, si tu peux encore croire en l’amour. Ne perds pas la foi, jamais je n’ai cessé de penser à toi. Il me tarde de cajoler notre petite fille. Prends soin d’elle d’ici mon retour.


Je t’aime tant.

James »



James se leva, enfila son casque et prit son fusil. Il rangea la lettre dans la poche de sa veste militaire. Il sortit de la tente et contempla, consterné, ce que l’homme avait fait du cadeau sacré de la vie. Une larme coula sur sa joue qui déjà, se salissait de suie. La plaine était recouverte de sang, un rouge profanateur qui serpentait entre les dépouilles. Ses amis, frères et pères, gisaient tous à ses pieds, morts ou agonisants une mélopée funèbre. Il ne restait plus que quelques survivants, s’enfuyant lâchement pour préserver la minuscule étincelle de vie qui battait encore en eux. L’horreur ondula dans les veines de James, quand il discerna non loin de lui, son meilleur ami. Il regarda à gauche, puis à droite, mais ne distingua personne. L’envie de fuir, lui aussi, le tenaillait, mais il ne put se résigner à le laisser pour mort. Il courut, le ventre à terre, la peur lui tenant la main rejoindre celui qui l’avait déjà sauvé deux fois. Il ne vit pas, trop préoccupé par son objectif, sortant de derrière une tente, un ennemi aux yeux vides, armés de rancœur et de haine, le mettre en joue et tirer. La balle, petit objet pourtant si insignifiant sans l’arme, le percuta de plein fouet. Il tituba de stupeur, plus que de douleur. L’ennemi, ébloui par son tir prompt, lâcha un cri victorieux. Un cri, dénudé d’humanité qui se réverbéra le long de chaque cadavre au sol. James tomba à genou, une main sur la poche percée où dormait la précieuse lettre, pleurant des larmes de sang. Sa bouche s’ouvrit, laissant souffler un murmure rauque entre ses lèvres qui devenaient exsangues, une phrase qui emporta les derniers filaments argentins de sa courte vie :


-Ne perds pas ton sourire, amour.



Fin

lundi 1 juin 2015

Écriture automatique #1

L'écriture automatique, c'est une manière d'écrire, sans penser. Il faut écouter la musique, s'en inspirer et écrire ce qui nous vient sans retoucher le texte par la suite. On laisse la musique guider nos doigts.

C'était ma première fois pour ce genre d'exercice. J'ai aimé ça, mais je suis un peu gênée du résultat. Je ne suis pas habitué à écrire sans retoucher le texte, ni sans savoir où je m'en vais. 

Je vous livre donc aujourd'hui ma première écriture automatique sur la chanson suivante :


Comme un téléphone qui sonne, je cours vite, encore plus vite, comme si ma vie en dépendait. Cela coule le long de mon corps, un torrent, sans que je ne sache comment l’arrêter et je le sens, en moi, ce monstre qui m’étouffe, qui me rappelle ce que nous n’avons plus, une douce mélodie amère qui lacère mon cœur, qui comprime ma poitrine et moi, je ne veux que courir. Encore et encore. Loin, loin de toi et des souvenirs qui sont prisonniers de mes yeux. J’oublie seulement quand je cligne des paupières. Une fraction de seconde. L’éphémère d’un doux moment béni où tu n’existes plus, où je suis seul, moi, que moi. J’entends presque le chant des anges. Libéré. Je le serai bientôt, parce que je ne peux oublier. Toi, moi. L’éternité. Cela aurait dû être ainsi. Comme un Nirvana sans fin. Somptueux mélange de nos corps, de nos âmes, de nos vies. Union parfaite. Soleil brillant de mille feux. L’apothéose de l’accomplissement. L’amour aux ailes immaculées. Et je sens en moi, ce bonheur qui me déchire en morceaux. Tout ce que nous avons perdu, tout ce qui s’est envolé, un à un. Le rire, ta main dans la mienne, ma chemise sur ta peau nue et douce, tes bas au milieu de la pièce. Ta gaieté. Ta vie.

J’aire au gré de ma tristesse. Pavé mouillé d’une ville inconnue. Je ne sais plus qui je suis, ce que je veux. Est-ce que j’ai un nom ? L’air n’a pas d’effet sur ma peau, les goûts ne sont qu’amertumes. Je ris, mais je n’entends pas. Je ne sais pas ce que je suis, je ne sais plus pourquoi je bois, ni pourquoi je dors. Je voudrais aller là, avec toi, dans ce désert qui nous faisait tant envie. Je te regarde, invisible et magnifique. Papillon qui tournoie dans le ciel. Immensité inaccessible.

Puis il y a ces prostituées sur le trottoir d’en face. Elles me regardent. Elles ricanent. Des hyènes. Je m’arrête à un feu de circulation. Un clown me fait un salut de la main. Je lui réponds. Il rigole. Je rigole avec lui. J’ai envie de danser, de lever les bras et tournoyer. Je ris, mais je n’entends pas.

Je me sens aspiré par ma propre folie. Dérisoire moment d’ancrer mon être à la réalité. Je glisse, terrain dangereux et froid. Il fait noir. Où es-tu mon amour ? Je hurle. Si fort. Je ne te vois pas, je te cherche. Aide-moi. Je ne pourrai pas remonter, la terre est glaiseuse, glaciale et rocailleuse. Je m’y écorche les mains et les jambes. Un arbre. Du sang.

Il pleut, il fait noir, je dois me relever, tenter de me sauver. Mais de quoi dis-moi ? Je ne sais pas quoi faire, je ne sais pas où aller. Je cherche, mais je ne vois aucune issue. Tout est si sombre. Ta lumière, mon amour, où est-elle ? J’entends de l’eau qui coule, regain d’énergie, d’espoir. Futile ?

Marcher, encore et encore, pour ne pas s’enliser dans ce marécage de pensées noires. Retrouver le clown, parce que lui, il sourit toujours. Il a de la couleur. Je veux les couleurs, je veux la lumière, je veux tes yeux. Je te veux, toi. Tu me manques tellement. Marcher, pour ne pas oublier, pour te faire exister, un pas à la fois. Encore une fois. Tu n’es plus à mes côtés, tu n’es plus la chair sur ma chair, tu n’es que vent et souvenir. Qu’une histoire, un chapitre d’une vie si longue. Je t’aime et je marche parce qu’il n’y a rien d’autre qui ne pourra nous unir. Je t’ai éparpillé dans le vent et tu es le monde. Je marche pour te sentir, pour te goûter pour te toucher. Tant que je bougerai, tu existeras, tant que je te verrai, tu existeras. Je marcherai. Pour toujours. Parce que je t’aime pour toujours.