vendredi 9 décembre 2016

Les contes à l'envers - La Belle aux bois dormants

Le château était silencieux, un courant d’air glacial le parcourait, faisant frissonner les flammes des bougies allumées. Je montais lentement les marches, hypnotisé par le chant doucereux. Un appel. Non, une mélopée. Ils les avaient tous brûlés, les rouets, et pourtant, je savais qu’un se cachait dans la tour la plus haute du château. 

Le sien. Celui qui m'appelait doucement. 

Je n’avais pas pu me résigner à le regarder partir en fumée. Je refusais les conventions et les quand dira-t-on, mais surtout, je rejetais la malédiction. Oui, cette malédiction qui pèse sur moi depuis mon enfance et dont tout le monde croit que je n’en sais rien. Je ne les contredis pas dans leur croyance. Ils veulent mon bien, mais là est leur erreur. Ils n’ont pas compris, qu’il n’était pas question de moi. 

La vue, de là-haut, est magnifique. La forêt enchantée s’étale sur une bonne partie du royaume et si on regarde bien, on peut distinguer le scintillement des fées. Quand j’étais plus jeune, elles venaient la nuit embrasser ma joue et veiller sur mon sommeil. Je ne faisais jamais de cauchemars, grâce à elle et je me sentais choyée, jusqu’à ce qu’une nuit, je surprenne leurs chuchotements. Elles parlaient d’une méchante fée qui terrorisait les habitants et qui était à la recherche d’une princesse aux cheveux blonds et aux yeux bleus. Une princesse qui lui avait volé quelque chose de précieux. C’était la première fois que j’entendais parler d’elle. On la nommait…

Maléfique. 

Cependant, ce n’était pas son réel prénom. On l’avait surnommé ainsi parce qu’elle possédait des ailes noires et un corbeau comme ami. Pourtant, s’ils avaient su… Elle, par contre, l’avait compris et c’est pourquoi elle riait la nuit venue. Les habitants étaient terrorisés par ce rire qu’il qualifiait de démoniaque. Moi, quand j’étais seule, j’ouvrais la fenêtre et dansais sur leurs notes magiques, m’imaginant tenir sa main. C’était ainsi depuis toujours et aujourd’hui, je veux lui offrir un cadeau. Demain, j’aurai seize ans. Je ne suis jamais sorti du château. On a voulu m’envoyer dans une maison isolée dans la forêt, avec trois fées pour seule amie, mais j’ai refusé. Je ne suis pas mourante, je suis maudite, c’est différent. Quoique la malédiction ne donne pas cher de ma vie, mais elle a une faille. 

Elle ne se réalise que par la peur. 

Parfois, je me dis que dormir éternellement, en attente d’un baiser d’un mec que je n’ai jamais vu de ma vie, pourrait être tentant. Je sais que je suis jolie, je suis une princesse et me marier à un prince est ma seule et unique vocation dans la vie. Ça et faire une flopée d’enfants. Je n’ai bien sûr aucune autre ambition et très vite, je vais devenir flasque et ridée alors dormir pour l’éternité et préserver ma beauté à parfois, des côtés plus que tentant. Enfin, ce n’est pas comme s’il avait le choix. C’est pour le meilleur ET pour le pire. 

Je détourne mon regard de la forêt, du ciel noir et des étoiles minuscules qui le font paraître infini. Je souris, mais je me sens triste. Je contemple le rouet. Il semble nimbé d’or, mais ce n’est que le reflet de la lune jaune. 

Qu’un reflet…

-Tu es venue !
-J’ai promis, n’est-ce pas ?
-Oui. As-tu aimé ta vie ?

J’incline la tête de côté, songeuse. Les rayons de lune filtrent dans ma chevelure ambrée. Je me remémore chaque moment et il me semble qu’il manque quelque chose. Un vide au creux de ma poitrine. Je soupire.

-Ce n’était pas ce à quoi j’avais aspirée. Ils m’ont mise en cage, alors que tout ce que je voulais, c’était voler. Leur amour, au lieu de me donner des ailes, m’a étouffé. 

Ils avaient bien essayé de contrer la magie noire en demandant à une fée de l’annuler. Cependant, ils n’avaient pas choisi la fée la plus futée et celle-ci, remplis de bonne volonté, certes, mais pas d’aucun talent, avait fait ricocher le sort dans tout le royaume, touchant chaque habitant présent et ainsi, les frappant à leur tour de la magie de Maléfique. Même les cochons y avaient goûté. Je crois même qu’un rat qui passait par là, a été foudroyé. À mes seize ans, ce n’était pas que moi qui allait m’endormir pour l’éternité, c’était le château au complet. J’étais, déjà, si lourdement handicapé dans ma vie, que mes parents, atterrés, se sont dit qu’être belle et savoir bien chanter, atténuerait l’épée de Damoclès au-dessus de ma tête. Je ne serais pas une vraie princesse, sinon. 

La malédiction les avait changés. À la place de profiter de nous, ils s’étaient terré dans la peur et le désespoir, me privant des jeux et des rires. Ils ne voulaient pas que je meurs par sa main, mais c’était eux, qui m’avait tuée, jour après jour en refusant de me laisser grandir, en brûlant les rouets, au lieu d’affronter la vérité.

-Il est temps.
-Tu crois qu’ils comprendront ?
-Je leur laisserai un indice. 

J’inspire profondément. 

-As-tu peur ?

Je souris franchement. 

-De toi ?

Un rire m’échappe. 

-Même ton rire est mélodieux, chuchote-t-elle. 

-La fée rouge…

Je m’avance lentement vers le rouet. À mes côtés, elle se matérialise. Elle est belle, dommage que personne n’ait jamais pris le temps de la regarder. 

-Il me voit avec les yeux, alors que toi, tu me contemples avec ton coeur répond-t-elle à mes pensées. 
-Je n’ai pas de coeur dis-je doucement.

Ses yeux brillent, j’y vois le manque, mais aussi l’amour. 

-Tu as été une bonne amie, Aurore. 
-Ils m’avaient peut-être enfermé, mais ils ont oublié de jeter la clef. Ils ont aussi oublié que les oiseaux savent chanter…
-Les corbeaux ne chantent pas Aurore.

J’esquisse un sourire indulgent.

-Peut-être ne sais-tu pas écouter ?
-Toucher. 

Elle me prend la main. On pourrait croire que ses doigts sont glacés, mais ce n’est pas le cas. Ils irradient de chaleur. De vie. La mienne. 

Ce que mes parents n’avaient pas saisi, c’est qu’en voulant me séparer de ma soeur, celle qu’ils avaient nommé Maléfique, parce qu’elle avait des ailes noires, ils m’avaient arraché une partie de moi. Mon coeur. Depuis ce temps, je n’étais plus complète. J’étais vide. 

-Nous allons recommencer et je suis certaine que cette fois, on écrira une toute autre histoire lui dis-je pour lui redonner espoir. 
-Ça sera comme un conte.
-Oui, mais à l’envers. 

Fin.