jeudi 5 juin 2014

Sans dessus dessous

(Thème : Il était une fois)
 


Il était une fois. 


J’ai monté mon petit doigt vers le haut pour effacer la ligne que je venais d’écrire. Il était une fois. Qu'y avait-il de plus ringard qu’un début qui commençait par ses mots. Ma carrière, au seuil encore embryonnaire, n’allait jamais éclore si j’utilisais déjà des phrases surfaites et exploitées  à outrances par mes prédécesseurs. C’était mauvais. J’ai effacé, presque avec frénésie, c’est quelques mots écrits avec pourtant tant d’espoir et puis j’ai éclaté en sanglot. Je n’écrirais jamais un best-seller. On allait se moquer de moi. En reniflant, j’ai retapé, rageusement, comme si c’était la faute de ces maudites touches si je n’écrivais rien de bon, les mots fatidiques : Il était une fois.

J’ai éclaté de nouveau en sanglot. Je me suis apitoyée sur mon sort en maudissant ma mère, ma chère et aimante mère, Dieu ait son âme, de m’avoir autant encouragée à poursuivre mes rêves. De nos jours, tous les jeunes de mon âge avaient une carence énorme en affection et aucune confiance en eux. Des mal aimés et des anonymes sans destins. Mais pas moi. Mes parents avaient refusé de se conformer. Il fallait toujours qu’ils se distinguent des autres en ne suivant pas les règles. Je leur avais bien dit que je ne réussirais pas. J’avais la défaillance. C’était ainsi. On ne pouvait rien y changer. J’étais née pour échouer et malgré leurs efforts, fort louables et honorables, malgré leur persévérance et les encouragements, la vérité, c’était qu’aujourd’hui, je me retrouvais assise sur cette chaise en bois à écrire un roman minable.

Je me suis laissé glisser sur la chaise jusqu’à ce que je me retrouve dans un équilibre précaire. Ma longue chevelure aux reflets rougeoyants dus aux derniers rayons du soleil couchant s’emmêla dans les barreaux et je me retrouvai prise au piège de la chaise. Je soupirai bruyamment. C’était pire que pire. Comment faisait-on pour échapper à un destin déjà écrit. Je ne pouvais rien y changer. J’étais et serais toujours ce qui avait été écrit pour moi. Malgré les espaces et les vides, malgré les silences et les intermèdes, je resterais à jamais la romancière sans talent. Je pourrais toujours chanter avec les oiseaux, danser avec les mulots, sourire bêtement devant ceux qui me croisaient, comme si je vendais un quelconque objet sans valeur, je serais toujours cette jeune fille qui ne savait pas écrire et qui avait les cheveux emmêlés aux barreaux de sa chaises. Je tirai un bon coup pour essayer de me déprendre, parce que oui, si vous me le demandez, ça me faisait un mal de chien d’être ainsi coincée, mais cela n’eut pas tout à fait l’effet escompté. Ayant déjà la moitié du postérieur dans le vide, je vous laisse imaginer l’élégance de ma posture, le mouvement brusque de la tête que je fis pour me déprendre, m’envoyant les quatre fers en l’air. S’ensuivirent quelques secondes confuses où la table, que je venais d’accrocher dans ma courte descente, non sans douleur j’aimerais tout de même le préciser, vibra et mon ordinateur se déplaça dangereusement vers le vide. Oui, je pouvais vous l’affirmer à cet instant précis, la gravité fait toujours son œuvre. Tout ce qui est lourd, se retrouve plus bas. Avec ou sans dignité. Elle n’en a rien à faire cette salope.

Déconcerté, j’ai voulu attraper l’objet de mon futur chef d’œuvre. Bon, je n’avais peut-être écrit qu’une ligne, mais c’était toujours ça. Mieux que rien non ? Alors je me suis relevé et oui, je sais que vous vous en souvenez et que vous vous êtes dits : mais la chaise !!!!! Bon, peut-être pas avec autant de point d’exclamation, mais tout de même. Dans ma hâte de vouloir sauver, les meubles, oui c’est de l’humour, et l’objet de ma haine et de mes désirs, j’ai voulu attraper au vol mon ordinateur. Je ne pourrais décrire le fatras qui s’ensuivit. La table est tombée. J’ai reçu l’ordinateur en pleine tronche et la chaise qui était coincée dans mes cheveux, est restée coincé dans mes cheveux. On ne peut pas gagner à tous les coups. J’ai entendu des cris. Les miens ? Peut-être par un effet d’entraînement, je me suis laissé aller à quelques vocalises de soulagement nerveux. La porte de ma chambre s’est ouverte à la volée, trois fées sont entrées en catastrophe, oui je vous le jure elles étaient trois et d’un chœur commun, c’était touchant, se sont exclamées :

_ Aurore est-ce que tu vas bien ?

Je ne pouvais pas leur en vouloir de s’inquiéter. Après tout, une malédiction pesait sur moi. Quoi ? Vous ne connaissez pas l’histoire ? Bah ! Alors voilà, j’ai trouvé, je vais vous la raconter. Mais peut-être différera-t-elle de ce à quoi vous vous attendez. Il ne faut pas toujours se fier aux apparences. Alors commençons.

Il était une fois…