mardi 17 octobre 2017

Endlessly


Une aurore, parfumée des rêves de la nuit, colorait le ciel à l’est. Un rose, très doux, presque virginal, s’étendait à l’horizon et faisait miroiter la mer qui lentement se dessinait devant moi. J’avais les yeux rouges qui brûlaient légèrement d’avoir conduit presque toute la nuit. Une nécessité, quand le temps ne s’étire plus à l’infini.

Je jetai un rapide regard dans le rétroviseur, tu es endormie, paisible. Ta longue chevelure d’un châtain foncé, couleur que tu détestes, ondule sur tes épaules, tombe légèrement plus bas, là où doucement, on devine l’aube de ta féminité. Presque treize ans. Une femme à en devenir, peut-être. Je serre les dents pour éviter de pleurnicher. J’inspire profondément, serre le volant à m’en faire blanchir les jointures. Je m’humecte les lèvres nerveusement et coule discrètement un autre regard sur toi. Ta poitrine se soulève lentement. En vie, encore, toujours, ma précieuse.

La voiture avale les kilomètres, bientôt, nous aurons les pieds sur la plage et le soleil brillera dans le ciel bleu sans nuage. Tu sais, il y a ces fins que je te racontais quand tu étais enfant. Les contes de fées. Bien, je ne te l’ai jamais dit, mais tu es la princesse de mon histoire à moi, beaucoup plus belle et beaucoup plus forte. En fait, avant de te rencontrer, je ne savais pas que je pouvais aimer autant. Je n’étais pas du genre sentimental. Je ne le suis pas trop encore, sauf quand tu poses les yeux sur moi. Alors là, une agréable chaleur me réchauffe, teinte la vie d’arc-en-ciel, oui, tu me rends comme une guimauve et je ne sais même pas comment protester à ça. Juste un sourire de toi peut changer l’orage en matinée d’été; douce et calme.

Perdu dans mes pensées, je ne remarque pas que tu es réveillée. C’est ta voix enrouée de sommeil qui me fait légèrement sursauter.

-Papa, on est où ?

Tu regardes par la fenêtre, confuse. Tu gigotes sur le siège arrière et une lueur de panique s’allume dans ton regard turquoise piqueté de diamant. La même couleur que l’eau qui se déploie tout autour de nous.

-Papa qu’est-ce qui se passe, pourquoi est-ce que j’suis attachée ? Papa ?

Sa voix grimpe dans les aiguës. Mon silence l’affole davantage, mais j’ai peur de ne pas pouvoir me contenir si je parle. Nous sommes bientôt arrivé et à ce moment, tout chargera. Je la vois dans le rétroviseur se propulser vers l’avant, mais la ceinture de sécurité l’arrête net dans sa tentative. Elle se met à tousser sans pouvoir s’arrêter. Je serre les dents pour m’empêcher d’intervenir, mais je suis terrifié. L’énervement n’est pas bon pour elle, pas dans son état précaire. J’entends encore le médecin, énoncer d’une voix neutre, que ma princesse, ma battante, mon amour, était atteinte de leucémie et qu’il ne lui restait plus beaucoup de temps à vivre. Qu’est-ce que c’est, plus beaucoup de temps ? Il ne m’avait pas répondu. Au début, comme tout couple solide qui s’aime profondément, on avait fait front, on s’était battu. Puis, Aline a commencé à avoir le regard vide, les larmes intarissables et la critique venimeuse. Elle affolait Claudia plus qu’elle ne l’aidait. Ça lui faisait croire qu’elle allait mourir alors que c’était faux. La princesse ne meurt jamais dans l’histoire. Un soir, j’ai demandé à Claudia de fermer les yeux et d’imaginer un endroit où la vie reste en suspens, où la magie existe et où les princesses vivent heureuses pour toujours et de me dire où était cet emplacement. Elle m’a parlé d’un océan où les vagues s’y brisent à l’infini. Endlessly, papa, qu’elle m’a dit. C’était le mot qu’elle avait appris, dernièrement, en lisant un livre en anglais, car elle voulait apprendre. J’ai parlé avec Aline, je lui ai expliqué qu’il fallait qu’on parte d’ici, qu’on aille vers la mer, là où la vie est à l’infini. Elle a rit et m’a giflé, ses bagues traçant des sillons de mépris sur ma joue et sur mon coeur.

-Parce que tu crois qu’elle va vivre ? À t’elle ricané. Que l’eau peut la sauver de ça, de cette maladie ?

Je l’ai regardé, interloqué, incapable de comprendre ce qu’elle disait, incapable de concevoir qu’elle avait abdiqué, puis, l’orage avait grondé.

-Pa...pa ?

Sa voix brisée me ramène brutalement à la réalité.

-Oui, ma puce ?

-Pourquoi je suis attachée ? Et elle est où, maman ? J’ai peur, papa.

Moi aussi, ma princesse, de toutes mes forces et pourtant, je suis un homme. Même pas un prince, pensais-je amèrement. Il fallait que je t’attache à ce moment-là parce que tu paniquais, mais jamais je ne te ferais du mal, tu le sais, n’est-ce pas ? Voudrais-je lui dire. Je suis heureux, qu’elle ne se souvienne pas pourquoi elle est attachée, pourquoi maman n’est pas là. Je ne saurais pas quoi lui dire.

Elle commence à s’énerver à nouveau, mais elle n’a plus autant de force. Son visage est cendreux, imprimé par cette chienne à la faux lugubre et du sang macule son haut de pyjama. Ses lèvres se décolorent de secondes en secondes, ses prunelles s’embrument d’un voile éthéré.

-Attend, ma puce, on est arrivé, tu vas comprendre.

Je déglutis péniblement, toute ma terreur et ma peine pris au milieu de la gorge. Je fonce vers le sable, percute une barrière en bois qui rebondit sur le pare-brise en lui imprégnant une profonde cisaille. Claudia émet un gargouillis infâme, murmure d’une voix éraillée :

-Je veux maman…

Maman est dans le coffre, ma puce, elle voulait te prendre, t’empêcher de venir avec moi, ici, là où les vagues s’échouent à l’infini sur le sable. Elle ne croyait plus en toi, ni en moi. Il fallait bien que je la fasse taire. Elle me rendait fou. Mais toi, ma puce, jamais, jamais, je ne te ferais du mal. Je t’aime de tout mon coeur. 


Tu es ma princesse.

Je freine une fois rendu sur le sable, à la lisière des vagues, et ouvre ma portière à la volée. Je cours jusqu’à toi, dérape, te prends dans mes bras, ton corps est encore chaud tout contre moi. Je tombe assis, les fesses dans le sable, les pieds dans l’eau, toi dans mes bras.

-Regarde, Claudia, nous y sommes. Regarde, comme c’est beau.

Je n’ai jamais vu un regard aussi fixe, aussi beau, aussi loin que le tien.

-Claudia...

Ma voix se fissure, se brise et des larmes coule sans retenues sur mes joues.

-Papa t’aime, Claudia...

Endlessly.

mercredi 30 août 2017

Les chemins infinis


-Écoute-moi, tout ira bien. Je te le promets.

Il pose son front sur le sien, lui serre les épaules doucement. Il essaye de lui insuffler un peu de son espoir par ce geste. Le matin se lève tranquillement à l’est, strie le ciel d’agrumes juteux, mais la noirceur reste au niveau du sol, tapie entre elle et moi. Sur le trottoir à quelques pas d’eux, les travailleurs matinaux se dirige vers la station de métro la plus près. Ils ont un café à la main et un aura ensommeillée. Il est si tôt pour eux, si tard pour nous.

-Julie…

Elle lève son regard piqueté d’incertitude et pourtant brûlant d’un amour qui me fait mal. Elle me fait confiance, mais elle a peur. Un spectre évanescent qui ondule entre nous, qui nous sépares.

-C’est la dernière fois, ensuite, on part loin d’ici, vers la mer, comme tu le désires tant. On aura plus de problème, on pourra vivre…

Sa voix s’éteint sur ce dernier mot. Ça fait longtemps qu’ils ne savent plus ce qu’il veut dire. Eux, ils n’ont pas un café dans une tasse de voyage, ni de passe mensuelle pour prendre le métro. Ils n’ont même pas du pain pour déjeuner. Ils ne connaissent pas les réveils qui oblige à se lever. Ils sont déjà debout, déjà dehors à regarder les étoiles mourir, à rêver, parfois, secrètement, que eux aussi disparaisse vers un autre monde. Loin de ceux qui les regarde avec dédain, qui renifle sur leur mains tendus. Allez travailler, bandes de morveux. On a essayé, madame, ce n’était pas pour nous. Ils ont trop souvent compté leur maigre avoir, il a trop souvent fait semblant qu’il s’était trompé en calculant pour qu’elle puisse avoir le latté qu’elle aime tant. Celui un peu épicé, qui la réchauffe, colore ses joues de roses, fait naître l’éternité dans ses yeux. Tant pis, il mangera demain. Ou après demain. Ça n’a pas d’importance si elle lui offre un sourire. Ils n’ont pas de maison, pas de confort, mais il l’a elle, et cela le comble. Il ne demande pas plus, mais il ne peut exiger cela d’elle. Elle rêve des vagues de la mer, parle tout le temps d’une maison où les fenêtres donne sur l’horizon bleuté, où la vie est douce.

Trois fois rien comme rêve, mais c’est le sien et il veut lui donner. De toute façon, ils ne peuvent plus rester ici. L’automne, déjà, refroidi les nuits, teintes l’herbe de rosées et leurs mains de givres. Bientôt, il fera trop froid pour qu’ils continue à jouer les campeurs de ville. Elle, plus frêle, grelotte sans cesse depuis des jours. N’arrive plus à se réchauffer. Ses lèvres sont azurés de cet assaut. Le vent devient de plus en plus impitoyable, le soleil de moins en moins présent. Les feuilles bariolées jonche le sol à nos pieds. Il lui a trouvé des gants sans les doigts et une écharpe violette qui fait ressortir le gris de ses yeux. Un univers à eux seul.

C’est pour eux, pour elle, qu’il se lève à présent, qu’il inspire un grand coup pour se donner du courage. Un courage qu’il ne possède pas, qu’il doit trouver, qu’il doit feindre. Pour son rêve.

-Attend !

Elle se lève, vacille un peu sur ses jambes. Il ne se souvient plus si elle a mangé hier. Elle est si maigre, elle est si belle. Ses yeux étincelle de détermination.

-Il faut le faire ensemble, murmure-t-elle.

Il secoue la tête.

-Non, pas question, tu m’attends ici assène-t-il. Je vais revenir dans cinq minutes. Tu comptes et tu cours si je tarde…

-Xav…

Sa voix est brisée, cassée. Elle sait. Ce n’est pas si simple, mais c’est ainsi. Il va les affranchir. Que peut-il arriver ? Il est si tôt, ils sont si riche, ils ne se lève pas à l’aurore. Ils ne connaissent même pas ce mot, n’ont jamais vu l’aube chasser la nuit. Il a observé plus d’une fois le fonctionnement du manoir. Il sait qu’il peut s’y faufiler, voler l’argent caché dans le coffre à numéro. Un numéro qu’il a mémorisé en voyant mainte fois la jeune demoiselle des lieux l’exécuter sans se soucier si on pouvait l’apercevoir. Sa chance. Son billet de train.

-Je dois y aller. Tout ira bien.

Il dépose un baiser sur son front, la prend dans ses bras, lui murmure des nuages en forme de rêve.

-Prend ma veste, Julie, pour avoir chaud et compte. Je reviens dans cinq minutes.

Il lui fait un geste d’aurevoir de la main. Elle le regarde, effrayée, mais lui offre un sourire tout de même. Une promesse. Elle murmure dans le silence du matin des mots qui vont se graver sur son coeur et lui donne des ailes. Il est déjà libre, déjà loin avec elle sur une plage où les vagues viennent mourir.

Il est heureux.
***

-Vous avez une très jolie veste, mademoiselle.

La jeune fille lève les yeux vers la voix. Quelques larmes glissent sur ses joues. Elle se détourne, incapable de répondre. Elle sert fort contre elle un journal qui a été mainte fois plié et déplié jusqu’à lui noircir les bouts des doigts. Sur la une, on voit en gros titre l’histoire d’un vol qui a mal tourné. Un voyou sans éducation qui s’en prend aux gens honnêtes. Une vermine. Un adolescent de dix-sept ans.

Un fait divers.

FIN.

lundi 26 juin 2017

Dernier souffle

-Tu te dégonfles ?
-Il n’y a que les ballons pour se dégonfler, moi, je doute.
-Pas moi.

Un silence lourd, pesant, opaque, prenant tout l’espace entre nous, mangeant ta lumière et absorbant mes souvenirs, inhalant le lien qui un jour nous était si précieux, s’installe avec éclat et douleur. Un coup imaginaire. Un affront de plus.

Est-ce que tu es toujours là, mon amie ? Ou es-tu perdue, déjà, loin dans les bras de ton désespoir ?

-Ne te souviens-tu pas, Marissa, des jeux qu’on inventait ? Des faveurs que je te faisais en te laissant toujours être la princesse. En te laissant gagner. Toi, si belle, si intelligente.
Ne te souviens-tu pas que je te consolais, quand il n’y avait personne d’autre ?

-Pourtant, aujourd’hui, tu m’abandonnes, tu recules, toi, ma meilleure amie, ma soeur de coeur.

-Et si je pouvais tout réparer ? Recoller tes morceaux brisés, comme avant, tu sais, quand nous étions les deux mêmes face d’un tout ? Quand je te disais : juré, craché, pour la vie.

Un rire méprisant lui échappe, ricoche sur mon coeur, lacère une partie de nous. Fracture de deux vies qui cherche à comprendre sans rien laisser. Déjà trop donné.

-Tu aurais dû me le dire que tu te désistais, hier, quand nous avons écrit ce chemin, toi et moi. Ça ne voulait rien dire, toi et moi ? Tu te moquais ?

Ses attaques sont autant de lames mortelles que l’acte en lui-même. Je la regarde, s’énerver, se battre contre moi, contre elle, contre le monde qui nous a abandonnés. Deux épaves, l’une avec moins de trous, l’une qui essaye de tirer l’autre désespérément vers la rive.

-Comment te sens-tu, Lisabelle, en sachant que tu renonce à nous ?

-Je n’abandonne pas…

Elle hausse un sourcil, arrogante.

-Tu crois que tout à coup, tu as tout compris ? Tu te sens supérieure dans le rôle de la sauveuse, Lisabelle ? Ça te fait tripper ?

Elle avance, menaçante, les yeux chargés de colère, deux iris noirs, des puits de souffrance accumulée.

Elle lève la main, je ferme les yeux.

Une trahison inacceptable.

Elle me gifle violemment. De toutes ses forces, de toutes ses rancoeurs qui lentement font le poids dans la balance de la fin.

-Chienne.

Ma joue est marquée de feu et de sang. De détresse aussi. La sienne et la mienne, pour des raisons maintenant opposées. J’ouvre les yeux, rencontre son regard bouleversant d’amour et de haine. D’envie aussi. De vivre.

-Marissa…

Elle recule, dessine un chemin à sens inverse, vers la noirceur.

-C’était supposé être notre futur, Lisabelle, notre projet à nous. Tu as tout gâchée.

J’ouvre la bouche pour parler, mais elle me lance un regard dur, meurtrier.

-Tu crois que tu seras heureuse ? Tu crois que la vie te fera un cadeau, alors qu’en dix-sept ans, elle ne t’a que ballottée entre familles d'accueilles, beaux-pères alcooliques, mères aveugles sur les agissements de ces fils trop entreprenant. Qu’est-ce qui s’est passé, Lisabelle, pour que tu décides de ne pas me choisir ?

-Marissa, c’est pour toi que je le fais, c’est pour te donner la chance que tu n’as jamais eue…

Elle cracha par terre et d’un élan rageur, frappa dans le mur à s’en briser les jointures.

-Tu es amoureuse.

Cela tombe comme un couperet. Une sentence qui n’aura pas de fin heureuse. Je me raidis.

-Marissa…

Ma voix est pitoyable. Un aveu. Elle ne bouge pas, des filets de sang serpentent sur ses doigts allant s’écraser sur la moquette.

-Je ne peux pas t’abandonner, Marissa. S’il te plaît, au nom de tout ce qui nous a toujours unis, donne-moi ta vie et je t’aiderai à voir la lumière…

Elle se retourne et les larmes sur ses joues empourprées me coupent dans mon élan, broie mon coeur en miette. Ses yeux sont résignés. Elle a déjà abdiqué, elle est déjà un peu morte. Je suffoque, paniquée. Je m’avance vers elle, décidée à la sauver malgré elle. Décidée à tout tenter, pour la faire dévier du chemin mortel sur lequel elle s’est engagé. Elle me laisse approcher, la toucher doucement. Je la prends par les épaules, appuis mon front sur le sien, chuchote des mots réconfortants, des mots gorgés de cette lumière qui lui fait cruellement défaut. J'embrasse ses yeux, ses lèvres, je l'entends soupirer, j'oublie que ce n'est qu'un sursis qu'elle m'accorde. J'oublie qu'elle est Marissa et elle le sait. C'est la froideur du métal qui me ramène brusquement à la réalité. La sienne, celle qu'elle ne veut plus lâcher.

-Et si je te tuais, Lisabelle, et qu'ensuite, je m'enlève la vie, que pourras-tu faire contre ça ? Tu n'as jamais eu le pouvoir, ni celui de vie sur moi ni celui de ta mort. Tu ne possèdes que des chimères, des confettis de cendre.

Elle est très droite, très fière face à moi, sa soeur maudite. Elle ne tremble pas et son index est posé sur la gâchette de l'arme sur ma tempe. D'où la telle sortie, d'ailleurs ?

-Te sens-tu forte de tes nouveaux espoirs ? Suffisamment pour me jurer que tu ne craqueras pas, demain, sur mon cercueil ?

Mon souffle est saccadé, désorienté. Je cherche un port d’attache dans ses prunelles glaciales, mais ne retrouve que de la détermination. L’équilibre est rompu.

-Tu n’oserais pas, dis-je dans un filet de voix. Un murmure dans le vent, déjà perdu.

-Comment savoir ? Je te croyais mon amie et vois où cela nous a menées. Maintenant que tu as peur, tu me fais du chantage... C’est d’accord, je vais te donner un os, Lisabelle, parce que je t’aime. Je vais t’offrir ce que tu désires le plus, ma vie. C’est toi qui choisis. Ou tu me la prends, ou je me l’enlève moi-même.

-Tu es cinglé, Marissa, je ne peux pas faire un tel choix.
-Ha, non ? Parce qu’hier, pourtant, tu le pouvais. À moins…
-Non.
-Non ? Tu as menti, Lisabelle, tu n’as jamais eu l’intention d’accomplir ce pacte, tu t’es parjuré devant moi. Tu as promi, juré, craché et pourtant…
-Parce que je voulais te sauver.
-Me sauver de quoi ?
-De toi.
-Oh, Lisabelle, cesse de mentir.
-Marissa…
-Ce n’est pas moi, que tu voulais sauver, Lisabelle, c’est toi.

Elle appuie plus fort sur ma tempe, déterminée. Nous avons traversé chaque moment de notre vie ensemble. Je lui ai tout donné, je me suis asservie pour voir naître un sourire sur ses lèvres, pour l’entendre rire. Je me suis effacée pour qu’elle puisse briller et c’est dans sa lumière, que peu à peu, j’ai sombré. Alors que je croyais qu’elle s’élevait, qu’elle traversait les paver de la mélancolie pour rejoindre l’arc-en-ciel, elle trébuchait, elle aussi. Sa lumière était factice et au final, toutes les deux, nous avons été piégées, jusqu’à ce que je rencontre quelqu’un. Jusqu’à ce que je trouve la vraie lumière. Alors j’ai voulu la lui montrer, j’ai voulu la sauver, nous sauver, mais je me rends compte que c’était de la pire des manières. Elle le sait et elle me le fera payer.

-Choisi, gronde-t-elle.
-Non.
-Lisabelle, ne me pousse pas à t’obliger.
-Il y a d’autre moyen, Marissa. Tu peux aller mieux, tu peux être heureuse !
-Écoute-toi, Lisabelle. Tu es pathétique. Tu n’es plus la soeur, l’amie que j’ai aimé, qui me comprenait et que je comprenais. Tu es aveuglé par des artifices, mais quand tu retrouveras la vue, il ne te restera rien à quoi t’accrocher. À présent, choisi.
-Je ne peux pas, Marissa.

Ma voix est brisée. Je n’ai que dix-sept ans, j’ai vécu tant de moments tristes et cruels, mais aujourd’hui, j’ai envie de goûter à autre chose. J’ai envie d’essayer. Je voudrais tellement qu’elle me suive, je ne peux imaginer poursuivre sans elle et pourtant, je ne peux pas lui ravir son étincelle, malgré qu’elle ignore sa présence en elle. Il faut qu’elle soit là, pour qu’elle m’accompagne à l’autel, un jour, pour qu’elle me tienne la main, quand j’aurai un enfant, pour me consoler, quand je serai épuisée et dépassée. J’ai besoin de ma meilleure amie. Je vais la sauver contre elle-même, je sais que je le peux. Cette histoire ne se finira pas ainsi, j’ai tant de rêves, je veux les lui partager.

-Marissa…

J’ai entendu le déclic du chien qui s’arme. Je crois que je n’ai pas compris, j’ai coulé un regard vers elle. J’ai vu ses yeux. Tout se vide. Ils m’ont happé. C’était ça, alors, la mort. 


                                                                             ***
 
Je te tiens la main, Lisabelle, tu n’es pas seule. La vie t’aurait abandonné, moi, jamais. Je contemple les milliers de soleils dans tes yeux et il se reflète dans les miens. Enfin, je vois la lumière. Nous sommes libres, Lisabelle.

FIN.

lundi 1 mai 2017

La Belle et le Renard

Thème : introduire le renard du Petit Prince - 
 

Ça a commencé il y a trois mois, quand pour la première fois, je t’ai aperçu dans ton costume de Winnie l’Ourson. Tu avais cette démarche un peu chaloupée et tu possédais un sourire très doux sur les lèvres. Je me rappelle avoir songé que tu étais la plus belle petite fille que je n’avais jamais vu. J’ai su, ce jour-là, que tu étais celle que je recherchais. J’ai vu l’étincelle briller, je l’ai sentie au plus profond de moi, ça m’a réveillée. Ce fut comme une décharge électrique qui se propulsa dans mes veines pour venir percuter de plein fouet mon cœur et lui redonner envie de battre, de se battre. J’avais oublié, à quel point il était bon de sentir la vie circuler dans son corps. Tous les jours avant celui-ci, j’avais été morte, mais ce soir, à la lueur du soleil couchant, j’avais enfin rencontré ma destinée. Tu es passée tout près de moi et tu as frôlé ma main de la tienne. Tu as levé les yeux vers moi. Un regard bleuté immense, intelligent et candide. Je suis restée figer sur place, le cœur battant et tu t’es arrêtée.

-Est-ce que tu vas bien ?

Le son de ta voix m’a caressée, tel l’eau d’une cascade chaude et je me suis agenouillée à ta hauteur, hypnotisée par toi, par ta beauté et ton innocence. Je me suis humecté les lèvres, nerveuse, de te parler. J’ai inspiré profondément et je t’ai souri.

-Je vais très bien, je te remercie de me le demander.

-Qu’est-ce que c’est dans ta main ?

Tu t’es approchée de moi, intriguée, et je t’ai montré ce que je cachais.

-C’est un renard, il m’aide à apprivoiser les autres pour que je puisse me faire des amis. Est-ce que tu aimerais être amie avec moi ?

Tes yeux ont pétillé d’extraordinaire. Tu allais me dire quelque chose, quand une voix sévère t’a ordonné de la suivre.

-J’arrive, maman, as-tu crié et puis, te retournant vers moi :
-Peut-être que demain, on pourra être amies ?

Tu avais demandé cela d’une petite voix fluette, des étoiles gorgées d’espoir dans les yeux.

-Bien sûr, je t’attendrai ici. À demain.

Tu m’as fait un au revoir de ta main d’ours et tu as couru vers ta mère qui t’attendait. Tu lui as demandé quelque chose et je l’ai vue se retourner vers moi. Je lui ai fait un signe rassurant et un sourire engageant. Elle a hoché la tête, incertaine, puis vous avez disparu dans la nuit naissante. Je me suis assise sur le banc de parc pour me calmer. J’avais les mains qui tremblaient et mon dos était trempé de sueur. Je suis restée là des heures, il me semble, à contempler le jour mourir sur la ligne d’horizon dans une explosion de fuchsia, de violet et de jaune. Finalement, je me suis levée et je suis rentrée chez-moi, le cœur en émoi, les joues rougies d’excitation. Marco m’attendait.

-Bonsoir mademoiselle.
-Bonsoir Marco, comment allez-vous ?
-Très bien, merci de demander. Vous avez fait une belle promenade ?

-Oh, oui, Marco. Elle était magnifique.

Il m’a souri et je suis entrée dans l’ascenseur.

-Bonne soirée mademoiselle.
-Bonne nuit, Marco.

Il a incliné la tête en signe de salut et les portes de l’ascenseur se sont refermées sur lui. Je me suis adossée à la paroi foncée et j’ai soupiré, lasse tout à coup. L’émotion retombait et une grande fatigue s’empara de mon corps et de mon âme. Dans mon appartement, je me suis fait un thé à la rose et à la camomille au nom charmant de : rêveries de miel et je me suis dirigée vers ma chambre. En passant devant l’autre pièce, juste à côté de la mienne, je me suis arrêtée et j’ai passé la tête dans l'embrasure de la porte. J’ai contemplé le lit quelques secondes, les draps violet et jaune très doux et Winnie l’Ourson, la peluche. Ta préférée. J’ai posé ma tête sur le cadre de porte quelques secondes, les larmes zigzaguant sur mes joues.

-Bonne nuit, Lily, mon amour, chuchotai-je en refermant lentement la porte.

Ce soir-là, dans l’obscurité de ma chambre, j’ai entendu ton rire. Je ne sais plus, si c’était le tien ou le sien, ils étaient entremêlés, comme une toile d’araignée, finement tressée, mais complexe. J’ai dormi avec Renard. Il était le salut et ma chance d’enfin avoir ce qui n’existait plus dans ce temps-ci, dans cette existence vide.

J’étais là, le lendemain et toi aussi. C’est ainsi, que tout a commencé. J’ai apporté Renard et je t’ai dit que je te le donnerais le jour où tu m’aurais suffisamment apprivoisée pour me faire confiance. Chaque fois que je t’apercevais au loin, courant dans ma direction, mon cœur se gonflait de joie et d’amour. Des sentiments que je ne croyais plus capable de ressentir. Chaque soir, Marco me faisait la remarque que j’étais de plus en plus belle. J’étais cette tulipe, qui après des mois de gel, de froid glacial, pouvait enfin ouvrir ses pétales aux couleurs percutantes aux chauds rayons du soleil, annonciateur d’un printemps clément. Je m’éveillais d’un long sommeil de trois ans. J’étais Aurore aux boucles fauves et j’avais trouvé ma princesse pour vivre heureuse à jamais.

Être amie avec ta mère ne fut pas facile au début, mais j’ai réussi à gagner sa confiance et peu à peu, elle te confiait à moi pour de courtes périodes. Cela l’aidait grandement, étant mère monoparentale, et moi, cela me comblait d’allégresse d’être avec toi, de te toucher, de rire et de jouer avec toi. Tu étais toujours souriante et attentionnée et un lien unique se tissait entre nous. Le printemps céda ses caprices à un été chaud et humide. Je pouvais à présent aller chez-toi et te garder quelques heures. Un soir de la fin septembre, avant que je parte, tu m’as fait un énorme câlin et tu m’as demandé d’une petite voix :

-Est-ce que nous sommes amies, maintenant ?

Mes yeux se sont remplis de larmes et je t’ai serrée très fort contre moi. J’ai humé le parfum des lilas dans tes cheveux.

-Oui, dis-je tout bas, en te regardant droit dans les yeux. Je crois bien que nous sommes amies, à présent. Demain, je t’apporterai Renard.

J’ai vu le plaisir illuminer tes traits délicats et fins et j’ai su qu que l’heure avait enfin sonné. Nous allions devenir les meilleures amies du monde toi et moi. J’allais te donner Renard, parce que nous avions réussi à nous apprivoiser et que plus rien, dès lors, ne pourrait nous séparer. Cette nuit là, j’ai rêvé de toi, tu n’étais plus blonde, mais tu avais cette masse de cheveux bruns alezans. Vos deux visages se sont superposés pour ne faire plus qu’un. C’était le signe que tu étais celle que j’attendais, celle qui pourrait remplacer ma petite Lily. Nous allions former une famille heureuse et comblée.

Ce soir-là, en sortant de chez-moi pour me diriger vers ta maison, j’ai serré très fort Renard contre mon cœur. J’étais à enlever mes chaussures et discuter un peu avec ta maman avant qu’elle parte travailler, quand tu as déboulé dans le portique, excitée comme une puce.

-Léa, Léa, regarde, j’ai dessiné Renard pour toi.

Tu m’as tendu le papier où Renard était assis entre nous deux, nous tenant par la main. Mon cœur chavira.

-Il est magnifique ce dessin, merci beaucoup.

Nous dîmes au revoir à sa maman, puis, nous jouâmes un peu dans sa chambre. Vers les 21 heures, je vis qu’elle commençait à s’assoupir. J’ai alors sorti Renard de mon sac et je me suis approchée d’elle.

-Tu te souviens de ce que je t’ai dit à propos de Renard ?

Elle hocha la tête, sérieuse tout à coup.

-Renard est très spécial. Avant, il appartenait à une autre petite fille, mais elle ne le méritait pas. Toi, tu es une adorable et je crois que Renard sera heureux en ta compagnie, je ne pense pas que tu le décevras. Au tout début, il était l’amie d’une fillette qui s’appelait Lily, mais elle ne peut plus s’en occuper alors il cherche une autre famille. Crois-tu que tu es la bonne personne ?

-Il lui est arrivé quoi, à Lily ?

Je baissai la tête quelques secondes, puis, j’inspirai profondément.

-Elle est morte. Elle était très malade et elle n’a pas survécu, mais je sais qu’elle aurait voulu que Renard soit à toi.

-Je vais bien m’en occuper m’as-tu dit, solennelle.

-Bien, parfait. Pour que Renard t’appartienne complètement, il faut que tu viennes chez-moi, tu verras, ça sera amusant. Allez, prends quelques affaires, j’ai une belle chambre qui t'attend. Est-ce que tu aimes le jaune ?

-Oh, oui, t'écries-tu, j’adore le jaune. Est-ce que je peux amener mon costume de Winnie l’Ourson ?

-Bien sûr. Apporte tout ce que tu veux.

Tu as sauté dans mes bras en riant.

-Merci, merci, Léa, tu es la meilleure. Est-ce qu’on peut appeler maman pour lui dire ?

-Non, c’est un jeu secret entre-nous. On va faire semblant, Toi, tu t'appelleras Lily et moi, maman. Allez, prends tes choses, tu vas voir, ça va être amusant.

J’ai vu l’ombre d’un doute noircir tes yeux bleus. J’ai souri pour te rassurer.

-Je vais laisser un mot à ta maman, elle va être contente que tu t’amuses bien. Elle veut que tu sois heureuse, tu sais. Puis, on l'appellera dans quelques jours, d’accord ?

-D’accord.

Tu as ouvert une petite valise et tu y as mis tous tes trésors. Ensuite, nous sommes descendus et je t’ai aidé à revêtir ton manteau et tes bottes. Je t’ai mis ton bonnet Winnie l’Ourson et avant de partir, j’ai pris Renard et te l’ai tendu.

-Il est à toi, à présent. Prends en bien soin, sois-en digne Lily.

-Oui…

Elle marqua une hésitation puis :

-Maman.


***

Je m’agenouillai près du corps, et d’un geste doux, je chassai les flocons de neige qui commençait à tomber. J’inspirai profondément, relâchant la pression qui oppressait ma poitrine. Je pris ses mains qui lentement bleuissait et lui enlevé la peluche.

-Fais bon voyage.

Ma voix créa un nuage de fumée qui s’éleva dans la nuit naissante allant rejoindre les étoiles qui pointaient une à une sur un ciel lavande sombre. Je reculai et secouai ma longue chevelure brune tirant sur le fauve. J’époussetai mon trench-coat et sortis une cigarette de mon sac à main. Je soupirai agacée et triste, mélange dangereux de sentiments qui laissait des cicatrices vives et invisibles sur ma peau.

Je contemplai une dernière fois la petite silhouette et m’en éloignai d’un pas tranquille. Son image, ainsi figée dans son linceul de neige, resterait à jamais gravé sur mes iris violets, mais je n’éprouvais aucun remords. Elle n’était pas celle que j’avais cru déceler en la voyant la première fois, vêtue de son costume de Winnie l’Ourson.

Je serrai très fort contre mon cœur Renard et pris le chemin du retour, à la recherche d'une autre Lily.

FIN.

vendredi 10 mars 2017

L'histoire qui finissait bien


Défi : Écrire une histoire où tout le monde est heureux et où rien, je dis bien RIEN de négatif ou triste n'arrive. Interdit au glauque, aux meurtres, aux trahisons. 




***
C’était un matin de début décembre. Une fine neige poudreuse et scintillante tombait doucement sur le jardin et sur les arbres dénudés. Les lumières de Noël, accrochées aux montants des fenêtres, projetaient des lueurs multicolores sur les perrons de nos voisins. Je contemplais le spectacle, hypnotisée par le ballet des couleurs et de la neige, quand je sentis une présence à mes côtés.

-Moi, je n’aime pas Noël !

À ces mots, un rayon d’un noir très sombre frôla ma hanche, traversa la vitre et fit éclater les ampoules multicolores accrochées sur la rampe de notre véranda. Je sursautai violemment et me retournai comme un beau diable.

-Margaud !

-Maman !

La fillette me toisa, un sourire en coin, puis, avisant un jeune homme habillé en lutin, elle leva à nouveau sa baguette et lança :

-Moi, je n’aime pas les lutins !

Le flash m'éblouit pendant une fraction de seconde, mais reprenant rapidement mes esprits, je fis un geste de la main qui fit glisser notre lutin, plutôt séduisant dans son collant vert, sur une plaque de glace imaginaire. Celui-ci, s’étala sur le dos, se cognant un peu durement la tête.

-Un point pour toi, maman, s’écria ma fille avec enthousiasme.

-Merde, merde, merde, Margaud, combien de fois t’ais-je dit de ne pas lancer de sort mortel ?

-Mais maman, c’est toi qui me l’a montré, celui-là, tu dis que les lutins sont des descendants des goblins et que leur cul est plein de...

-Ça suffit, Margaud. Tu sais qu’on a plus le droit d’utiliser la magie contre les humains pour leur faire du tort, c’est la nouvelle loi ! Je te l’ai répété au moins cent fois.

-Mais…

-Margaud ! Grondais-je.

Ma fille serra ses bras autour de sa poitrine et fit la moue. Je levé les yeux au ciel et me précipiter dans l’entrée, enfilant manteau et bottes sans me soucier que dans mon affolement, je me vêtis de la veste de mon mari, d’un jaune canari à l’effigie des canetons du golf et non la mienne. Je mis la tuque de Margaud, un truc infâme en forme de licorne et ouvrit la porte à la volée. Celle-ci claqua et alla rebondir contre le mur, lui imprimant un magnifique trou.

-Je vais arranger ça, maman, ne t’inquiète pas, s’anima Margaud en courant vers moi, sa baguette toute prête.


-Reste où tu es, tu es punie, tu m’entends ? Je vais aller voir ce jeune homme et crois-moi, tu as intérêt à ce qu’il soit encore vivant.

-Je te déteste s’écria ma fille, rouge de colère.

-Là tout suite, moi aussi ma grande ! Répliquais-je sur le même ton.

Par sa faute, si le lutin, plutôt séduisant, mais un peu jeune quand même, ne se réveillait pas du sort de ma fille, nous allions être expulsés de la ville sans cérémonie pour bris de contrat. Celui-ci stipulait sans équivoque, que nous n’avions pas le droit de tuer une personne vivante, de causer de malheurs, de tragédies ou de catastrophes mortelles. Rien qui se rapprochait de près ou de loin à la mort. Je soupirai, anxieuse et exaspérée à la fois. Cet enfant ne voulait rien entendre et n’en faisait qu’à sa tête. Hier encore, elle avait foudroyé d’un rayon rouge, une fourmi qui grimpait sur sa jambe. Pour sa défense, elle avait clamé que celle-ci l’avait mordue. Par chance, étant encore très jeune, son sort avait ricoché sur Ernest, notre chat bleu, qui pour le coup, en avait perdu les poils sur sa tête et la fourmi, elle, avait été chatouillé par la magie sans en trépasser. Malheureusement, je n’étais pas certaine qu’on aurait autant de chance avec le sexy lutin. J’arrivai près de lui et catastrophée, je remarqué une immense coupure sur sa tempe où du sang suintait en grosse quantité.

-Jeune homme, tentais-je doucement. Sexy lutin, m’entendez-vous ?

Il ne bougea pas, ne sembla même pas respirer. Je vais égorger cette peste de Margaud, pensais-je en déboutonnant frénétiquement le déguisement de lutin du bel inconnu. La vue de son joli torse bien musclé, m'émoustilla, mais je repris mes esprits rapidement. Mort, il ne séduirait plus personne. Je commençais un massage cardiaque, quand des pas se rapprochant me firent légèrement tourner la tête.

-Je vais t’aider, maman, à sauver le lutrin. Regarde.

-Non, Margaud… commençais-je, mais elle ne m’écouta pas et rapide comme l’éclair, fit tournoyer sa baguette où des paillettes colorés sortirent en foison.

Nous regardâmes toutes les deux le sort envelopper le lutin inconscient ou mort, je ne savais vraiment pas et celui-ci, sous nos yeux ébahis, se métamorphosa en licorne. Margaud tapa des mains, joyeuse.

-Regarde maman, c’est une licorne !

Au même moment, il cligna des yeux et s'ébroua. Il ne sembla pas réaliser que quelque chose n’allait pas. Il voulut rire, j’imagine, mais hennis plutôt. Margaud s’élança vers lui et se cramponna à son cou en criant : une licorne, une licorne.

Ses hurlements hystériques attirèrent les voisins en pyjama sur leur balcon.

-Seigneur, soupirais-je complètement dépassé par les évènements, puis, plus fort :

-Désolée, mon cousin vient d’arriver de Transylvannie, vous savez, c’est un pays un peu étrange et il voulait faire une surprise à Margaud en se déguisant en licorne. Un costume très réussi, je vous l’accorde. Nous retournons chez-nous, nous sommes désolés pour le vacarme.

-Ce n’est pas cousin Arnaud, c’est une licorne maman, c’est moi qui l’a…

Je fondis sur elle et la bâillonnée avec ma main tout en souriant à la ronde.

-Désolée, répétais-je, puis en chuchotant :

-Toi, ma petite, tu vas avoir de sérieux ennuies, je te le promets.

-Mais maman, ce n’est pas juste, tu l’as eu ta fin heureuse, personne n’est mort !

FIN.

mercredi 8 mars 2017

En apesanteur


Je suis recroquevillée, les bras autour de mes jambes remontées sous mon menton. Je serre fort, mais cela ne suffit pas à calmer mes tremblements. J’ai la tête appuyée sur les genoux et je serre les dents. Je suis en jupe et pourtant, ne me soucie pas qu’on pourrait voir ma culotte. Personne ne regarde. Ils sont tous comme moi, bras serrés, regard angoissé, coeur cognant fort contre leur poitrine. On pourrait entendre une mouche volée, tant le calme règne. Une quiétude apparente, une façade de verre mince. Des ailes de papillons.

Notre vie en équilibre.

-Tu crois qu’ils sont parti, Laëlle ?

Son chuchotement, tout près de mon oreille, me fait l’effet d’un hurlement. Je me fige et écoute les bruits ambiants. Rien. Pourraient-ils réellement nous entendre murmurer ? Peuvent-ils dans ce cas, entendre les battements de mon coeur désordonnés, tel un tambour qu’on martèle ? BOUM, BOUM, BOUM. Si nous mettons toutes nos pulsations à l'unisson, nous sommes alors une fanfare, une parade de gamins mortifiés et figés dans une pose grotesque. Ils savent que nous sommes là, mais que veulent-ils ? Pourquoi ce silence ?

-Je ne sais pas, Mily…

Je la regarde me sentant impuissante. Je ne peux pas la rassurer. Ma peur se reflète dans ses prunelles grises. Peut-être est-ce un exercice ? Bientôt, ils vont nous dire de reprendre notre place, que tout est terminé et que oui, on aura tout de même ce fichu contrôle de maths. Je vois le gris de ses yeux se mouiller. Les poils de mes bras sont hérissés. J’ai froid. Mon pull est sur ma chaise, mais je n’ose pas bouger. Je n’ai même pas le courage de regarder autour de moi pour voir comment les autres s’en sorte. Je ne vois rien que la porte, tout près de moi. Cette idée aussi, de vouloir être assise en avant. Pour avoir des meilleures notes, je me disais. Ça me semble tellement idiot, là toute suite. J’aimerais tant être tout au fond, caché. Invisible. Contempler la porte augmente mon angoisse. J’ai l’impression de la voir s’ouvrir souvent, alors que ce n’est pas le cas. Je dois cligner des paupières à plusieurs reprises pour ajuster mon regard qui se brouille. Je ferme les yeux. J’essaye de me projeter dans cinq jours, quand ça sera notre bal des finissants. Je me remémore ma longue robe d’un vert très doux cousue avec des fils couleur, or. Mes chaussures sublimes, mais au talon beaucoup trop haut. À ce jour, je n’arrive pas à faire plus de trois pas sans que ma cheville flanche et que je me retrouve les quatre fers en l’air. L’élégance à un nom à présent : Laëlle. Une vibration contre mon flanc droit me tire de mes réflexions. Je vois que Mily à son téléphone à la main. Doucement, je bouge pour récupérer mon téléphone à mon tour. C’est une notification Facebook : votre ami Mily est en direct.

-Nous sommes en classe, il est dix heures trente, il y a eu un code noir, nous ne savons pas ce qui se passe. On entend rien, on ne voit rien, personne ne nous dit rien… s’il-te-plaît, si vous savez quelque chose, si vous pouvez informer nos parents, les autorités, faites-le. Aidez-nous...

Elle parle très bas puis tourne son téléphone pour filmer le devant de la classe où notre professeur d’un signe de tête approuve son initiative. Mon appareil vibre à nouveau. Je regarde l’écran. Maxime, Joanie et Mika ont aimé la vidéo de Mily. D’autres, j’aime continu à s’ajouter. Plusieurs noms de ma classe et celles des autres se joignent aux nôtres. Tout à coup, je me sens moins seule, moins apeurée. Ce n’est que des pouces bleus, mais ils sont notre espoir. Ils disent que nous sommes là, que nous allons bien. Mily esquisse un sourire optimiste. Je songe que tout est sûrement bientôt terminé. Les autorités vont arrêter qui que ce soit qui est dans l’établissement et ensuite, on plaisantera en se moquant de ceux qui ont eu peur. On les traitera de poule mouillée tout en leur donnant une tape sur l’épaule et on se dira, sans le laisser paraître, bien sûr, combien on est heureux d’être là pour se chamailler. On parlera de ma petite culotte blanche à pois rose. Cinq jours de moquerie pour une éternité de vie.

Rien du tout.

Puis, s’est arrivé. Le bruit d’un pistolet claqua tout près. Trois, quatre, cinq, six, sept.

Sept coups de feu.

Sept vies.

Sept souffle qui s’était éteint à jamais.

Quelqu’un hurla et je me rendis compte que c’était moi. Mily se précipita sous mon bureau et posa sa main avec vigueur sur ma bouche. Ses yeux imploraient les miens. Ne crie pas, disaient-ils, ne leur dit pas que nous sommes ici, peut-être ne nous apercevront-ils pas. Comment pouvait-elle s’accrocher à cet espoir futile ? Je hochai finalement la tête pour lui signifier que je m’étais suffisamment calmée pour qu’elle puisse enlever sa main, ce qu’elle fit.

-Ça va aller, Laëlle, je te le promets.

Je serrai très fort ses doigts. D’autre coup de feu se fit entendre, cette fois-ci, des cris, s’élevèrent dans le couloir. Chaque coup résonnait dans ma poitrine, meurtrissant à jamais la fragilité et l’innocence qui jusqu’ici, m’avait enveloppée. Mily n’avait pas cessé de filmer. Sous la vidéo, on pouvait lire, à présent : je suis OK. OK, deux lettres pour signifier qu’ils respiraient toujours.

Pour l’instant.

Pour combien de temps ?

Le chaos et la panique commencèrent à nous gagner. Les murmures se faisaient plus insistant et certain essayaient de se déplacer et se rapprocher de la porte pour voir ce qui arrivait. Notre professeur tenta de nous calmer, de nous rappeler à l’ordre, mais la situation lui échappait, nous échappait à tous. Plusieurs, à présent, filmaient ce qu’ils pouvaient, essayait de communiquer avec un proche, mais le réseau commençait à être surchargé et ils avaient de la difficulté. Nous n’entendions plus de coups de feu, mais il me semblait percevoir des râles tout près. J’avais l’impression de retenir mon souffle quand des pas s’approchèrent de notre porte. Une vague d’affolement gagna tout le monde.

-Laëlle…

La voix de Mily était suppliante.

-J’ai rendez-vous ce soir avec Alexis, tu sais, le mec sur lequel je flash depuis des mois ? Il m’a enfin parlé, je pense qu’il va m’inviter au bal. Je rêve depuis si longtemps de ce moment…

-Mily…
-Laëlle, je ne veux pas mourir.

Une larme glissa sur sa joue. Elle n’aurait jamais dû avoir cette pensée à cet âge. Qui était ces gens qui se prenaient pour dieu et qui jouaient avec nous ? Je déglutis, la porte s’ouvrit à la volée. Elle alla rebondir sur le mur et la fenêtre éclata en millier de morceaux. Mily hurla. Mes oreilles bourdonnèrent. Je levai les yeux, croisai ceux inexpressifs de celui qui se tenait debout devant nous. La mort en pantalon d’armée, cagoule noire et croix rouge tatouées sur les bras. Ma vue se brouilla, mes membres s’engourdir et mon poil se hérissa sur mes bras. Ma tête, devint comme vide. Une image très nette de Mily, main dans la main avec Alexis traversa mon esprit. Je lui souris, le coeur léger, le corps en apesanteur. Je la pris dans mes bras, son corps chaud, tremblant, et effectué une rotation au moment où les coups claquaient à nouveau. Bang, bang, bang, bang. Nous nous écroulâmes, enlacées, sur le plancher froid de la classe qui lentement, se teintait de rouge.

Le sang de nos vies.

Le sang profanateur de notre jeunesse.

-Laëlle ?
-...
-Laëlle ?

FIN.

jeudi 12 janvier 2017

Il n'y aura pas de neige cette année

Son rire d’enfant, joyeux et libre, me parvient d’en bas. Je m’approche lentement de la fenêtre, pose ma main sur le carreau et contemple la scène qui s’ouvre devant moi. Trois enfants, dont ma petite Alice, joue à saute-mouton. C’est la veille de Noël et un léger tapis blanc recouvre l’herbe de la cour. Cependant, la clémence de la température permet aux enfants de jouer légèrement vêtu. Alice ne porte qu’un bonnet avec un pompon rose, des mitaines de la même couleur et une écharpe d’un blanc laiteux. Les immenses arbres aux branches dénudées et constellées de paillettes scintillantes surveillent d’un oeil attentif le jeu des enfants. Le ciel est gris foncé, gorgé d’espoir de neige. En bas, la radio chante des notes joyeuses et festives que Guillaume reprend de sa voix chaude mais fausse. Je sens l’odeur de gâteau. Je soupire d’aise.

Je me détourne de la fenêtre et remets en place le voilage violet. Alice aime cette couleur. Toute sa chambre est violet et rose. Une chambre d’enfant à qui on ne peut rien refuser. J’ouvre un tiroir de sa commode et dépose dans la valise des bas et des sous-vêtements. Ensuite, je m’attaque à ses robes et ses ensembles. Chaque morceau me plonge dans un souvenir du moment où je lui ai acheté. Il me semble que c’était hier, que je riais encore avec elle dans mes bras.

Je jette un dernier coup d’oeil par la fenêtre pour m’assurer que tout va bien, qu’il n’y a pas de danger. Les trois enfants s’amusent toujours. Alice court derrière sa meilleure amie. Ses magnifiques boucles rousses virevoltent derrière elle. J’entends son rire résonner contre les arbres nus. Au milieu de notre jardin, ainsi vêtu, elle ressemble à une petite fée des bois.

Ma petite fée, mon petit miracle.


Je referme la valise doucement. Clic, clic. La nuit tombe lentement sur la rue et les lampadaires s’allument un à un projetant une lumière orangée sur les trottoirs lisses. Les voisins branchent leurs décorations de Noël et des clignotements multicolores crèvent les ténèbres grandissantes. Je déglutis péniblement et prends la petite valise que je serre fort contre mon coeur. Je lève les yeux vers le mur au-dessus de son lit.

-Chéri, est-ce que tout est prêt ? Je vais aller chercher Alice dans cinq minutes.
-Tout est parfait, elle va adorer. Viens voir le gâteau, il y a une licorne dessus.

Je ris et descends à la cuisine où Guillaume m’attend. Il a de la farine sur les joues et le comptoir ressemble à un champ de guerre, mais sur la table, trône fièrement le gâteau qu’il a concocté pour l’anniversaire de notre fille. Je souris bêtement, le coeur léger.

-Je vais aller la chercher. Tu as ses cadeaux ?
-Oui, juste ici. Elle va adorer.
-On la gâte trop, n’est-ce pas ?

Il me regarde tendrement et me prend la main.

-Il le faut bien.

Il me fait un clin d’oeil et j'acquiesce en silence tout en me dirigeant vers la porte d’entrée.


Sur une bannière violette avec un fond blanc, il y est inscrit : Tu es tant aimé. Mon coeur se gonfle dans ma poitrine d’un amour immense et douloureux. Je me détourne et descends vers le salon. Guillaume m’y attend. À ses pieds, des cadeaux d’anniversaire. Nos regards se croisent.

J’ouvre la porte d’entrée et je remarque que les sons de leurs voix proviennent d’en avant. Ils se sont déplacés pour admirer les décorations qui s’allument une à une. Je frissonne légèrement sous une violente bourrasque de vent. Je lève les yeux vers le ciel et contemple les premiers flocons de neige tomber. En quelques secondes, plusieurs autres se mêlent au vent et dansent violemment avant de s’écraser au sol. Je suis hypnotisée par le ballet élégant et étincelant de la neige. Je songe que demain, nous pourrons aller jouer dans la neige avec Alice. Je me détourne de ce spectacle pour appeler ma fille.

-Tu es prête ?

J’ai envie de dire non, mais je ne trouve pas la force d’articuler un mot. Il tend la main pour prendre la mienne, mais je recule d’un pas. Il lève les yeux vers moi, je déglutis. Il est grand et se tient très droit. Son costume, trois pièces, sans aucun pli, est très élégant. Il est beau et je sais que je l’aime, mais je crois que je l’oublie souvent.

C’est arrivé vite. Une seconde suspendue dans le temps où le rire d’Alice résonna à l’infini, rebondissant de lumières vertes à lumières rouges à lumières bleues à lumières blanches. J’ai tourné la tête vers elle, pour la regarder. Son visage enfantin, ses joues d’un rose vif, ses yeux verts éclatants. Ma fille. Elle a ouvert la bouche en m’apercevant et m’a fait un signe de la main.

-Maman !

Puis, il y a eu ce cri muet et seulement une énorme lumière blanche sur quatre roues embusquée dans le buisson de l’entrée. Sur la route, des traces de pneus qui dérapent. Sur son coeur, des traces de vie qui s’échappe.

Guillaume ouvre la porte de l’entrée et nous sommes accueillis par une brise fraîche. Je ne tourne pas la tête vers la droite, là où il n’y a plus de buissons. Ça fait un an, que je ne regarde plus. Je serre à nouveau la valise et mes jointures blanchissent de cet effort. Nous embarquons dans la voiture et roulons en silence pendant tout le trajet qui est relativement court. Une fois arrivée, je le laisse me prendre la main. J’ai froid, mais plus rien n’arrive à me réchauffer. Je suis injuste, je le sais et pourtant, je persiste à ne pas m’ouvrir, à rester emmurée dans mon silence et ma peine. Comme si je monopolisais la douleur à moi seule, comme si c'était seulement ma perte. Nous arrivons devant elle. Guillaume s’assoit par terre, en indien, et le contraste de sa pose avec son costume, me fait un drôle d’effet. Il dépose les cadeaux devant elle et lui chuchote :

-Joyeux anniversaire.

Une larme glisse doucement sur sa joue. Je m’approche de lui et m'assois à mon tour. Je dépose délicatement ma tête sur son épaule et regarde le ciel. Il suit mon mouvement.

-Il n’y aura pas de neige cette année, dis-je doucement.

Il presse ma main très fort et tous les deux nous déposons un baiser sur la pierre froide.
 
FIN.