lundi 28 janvier 2019

Nuit de l'écriture

Thème : La photo + trois mots : Crépuscule, Étoilé, Marbre

Nuit de l'écriture #23 :

-Attendez, reprenez depuis ce moment précis où vous avez remarqué qu’elle n’était plus dans la cours. Il était quelle heure, déjà ?
-Neuf heures. Vous savez, le moment où le soleil disparaît doucement à l’horizon. Il y a cet instant, presque figé, où les couleurs éclatantes du soleil se mélangent à celles plus noirs du soir pour en faire un...
-Le crépuscule.
-Oui, c’est ça…

Ma voix traîna. C’était presque un chuchotement, un son très bas, comme pour ne pas réveiller un bébé qui dort. Je voyais bien que l’homme en face de moi se retenait de ne pas soupirer.

-Qu’elle âge elle a ?

Je levai les yeux pour réfléchir. Elle était née un matin où le soleil caressait les blés dans le champs. Une lumière dorée et chaude, mais qui dans son sillage invisible, transporte une fraîcheur sucrée. Septembre.

-Elle avait… Non ! Dis-je en élevant la voix. Non, elle a sept ans.


Pas l’imparfait. Le présent. Elle a. Elle est. Pas elle était. Impossible.

-D’accord, c’est noté. Vous savez, ne le prenez pas mal, mais avez vous vérifié chez le voisin ?

Je serre les poings. Il me prend pour une idiote. Il ne me prend pas au sérieux. Comme si je n’ai pas regardé partout avant de l’appeler. Elle n’est pas ici, elle n’est pas là non plus et elle n’est pas dehors. Elle est disparut. La dernière fois que je l’ai vu, elle était sur cette balançoire. Elle adore y aller, le soir, quand le ciel étoilée s’ouvre devant elle. Elle s’assied et regarde sans jamais rien dire. C’est un moment précieux qui nous appartient. Le silence nous enveloppe et l’éternité se reflète dans ses yeux. J’ai l’impression d’exister dans ses moments-là et d’être grande, si grande. Je déglutis péniblement. Mon bébé…

-Elle n’est pas chez les voisins. J’ai cogné chez chacun d’entre eux. On a regardé ensemble. Elle n’est pas là. S’il vous plaît, aidez-moi à la trouver.
-Vous savez, souvent ils rentrent d’eux-mêmes…

Je tape du pieds sur le marbre de la cuisine, comme une gamine et ça le fait taire. Il ne me croit pas. Pourquoi il me prend de haut ? Pourquoi ses yeux minuscules de mulot, me scrute comme si j’étais attardée. Comme si je leur faisais perdre leur temps. Leur précieux temps.

-D’accord, d’accord, ne vous énervez pas. Je suis désolé de ne pas donner l’impression que c’est important, cependant…

Il enlève son chapeau et se gratte la tête. Je sais ce qu’il va dire. C’est comme dans les émissions à la télévision, il faut attendre 24 heures avant de déployer la cavalerie pour une disparition. Mais d’ici là, il sera trop tard. Elle sera peut-être déjà loin, égarée, perdue, affolée et seule, croyant que je l’ai abandonnée. Est-ce qu’elle tremble de peur en ce moment ? Est-ce qu’elle pleure ?

-Cependant, vous comprenez…
-Vous n’allez pas la chercher, n’est-ce pas ?

Il rougit. Il a le culot de se sentir mal à l’aise, mais ça ne change rien, non ? À quoi serve-t-il s’ils ne font pas ce pourquoi ils sont payés ?

-Écoutez…
-Non !

Cette fois, j’ai crié. Tant pis. Je me lève et je cours dehors, vers la balançoire qui se berce seule, sans nous, sans elle. Le soleil est presque mort à l’horizon. Il agonise lentement, saignant tout sa lumière rouge qui dessine des traits irréguliers. Des taches flamboyantes, lentement évanescentes. Une flamme de chandelle dans une nuit d’orage. Perdue.
-Ok, écoute-moi, Nessie. Je m’excuse.

Je le sens derrière moi. Grand et fort. Dépassé. Il pose sa main sur mon épaule. Il ne sait pas comment réagir.

-Je suis désolé si j’ai laissé entendre que ce n’était pas important.
-Elle est tout pour moi. Je réplique doucement.
-Je sais.

Bien sûr qu’il sait. Mais il voulait fanfaronner un peu devant son collègue qui n’a pas ouvert la bouche depuis le début. Il a voulu se prendre pour un grand, alors que moi, ce que je voulais quand je l’ai appelé, c’était mon frère, mon grand frère.

-Il faut que tu comprennes une chose, Nessie. Tu ne peux pas appeler le numéro de la police pour une disparition de chats…

-Ah ! Non ? Mais à quoi vous servez alors ? Vous êtes sensé nous protéger, nous aider et j’ai besoin d’aide…

Je serre les dents très fort, car je sens les larmes monter à mes yeux et déborder sur mes joues. C’est sûr que là, il va me prendre pour la gamine qui fait un caprice. Mais pendant ce temps, Nelly est seule, perdue…

-Nessie…

Il se retourne vers son collègue muet et soupire. Un peu irrité, un peu triste lui aussi. Il l’aime bien Nelly, même s’il ne le dit jamais. C’est difficile pour lui, il ne sait pas comment dire ces choses. Je vois qu’il lui parle doucement et Muet hoche de la tête. Il semble compréhensif. Je le vois se diriger vers les champs, en face, sa lampe torche à la main.

-Bruno va allez jeter un oeil.
-Merci !

Je l’entoure de mes bras pour lui faire un câlin. Je le vois sourire. Un sourire fatigué, qui a du mal à se rendre à ses yeux, mais il me sert tout de même très fort. Il a beaucoup de responsabilité, peu de temps pour être le jeune adulte qu’il est. Pas de fête, pas d’amoureuse. Tout ça parce que maman ne rentre pas souvent. Elle est ailleurs, en train de rêver à des demains plus doux, dans les bras argentés des cristaux de verre.

Il m’aide à grimper sur la balançoire et s’assied à côté de moi. On ne dit rien. Il me tient la main. Je souris à mon tour. Maintenant, je sais que tout ira bien. Je dépose ma tête sur son épaule.

-Merci d’être venu.
Il presse ma main plus fort.
-Regarde, il l’a retrouvé.

Et cette fois-ci, son sourire illumine ses beaux yeux bleus.

FIN.