mercredi 10 décembre 2014

Des draps défaits

Thème : Des draps défaits

Les lumières bleu et rouge scintillent dans la nuit glaciale. Je suis à la fenêtre et je regarde le va-et-vient des gens plus bas. Il est plus de 6h00 du matin. Nous sommes le matin de Noël. Au loin, à l'est, le ciel s'empreint de jaune et de rose lumineux. La chambre est plongée dans la pénombre. Je voudrais me mouvoir, m'arracher à la contemplation du paysage hivernal, mais si je bouge, si je me retourne, alors je donnerai une signification à tout ça. Gabriel est descendu en bas s'occuper de ça. Moi, je reste ici, dans ce décor insensé, le souffle court et le corps tremblant. Nous, nous sommes disputés avant qu'ils arrivent. Je ferme les yeux, la scène me revient de plein fouet, me percute en plein dans l'estomac, cisaille la belle armure que j'avais réussi à vêtir.
***



-Je t'interdis d'abdiquer, tu n'as pas le droit, si peu de temps après.


-Ne ne me dis pas comment me comporter Rebecca. Je ne me réfugierai pas dans un monde illusoire pour alimenter ta folie. Regarde et dis-moi comment peux-tu toujours croire ?

Il m'a pris le bras de force et a voulu me tirer vers la scène, mais je l'ai giflé pour l'empêcher de briser le mince filet qui me reliait encore à la réalité. J'avais peur pour nous tous. Pour moi, qui ne pourrais plus vivre sans. Alors, j'ai hurlé, parce que je ne savais plus comment l'atteindre autrement, que par mon désespoir.

-C'est Noël, bordel, Gabriel. Noël ! Ne peux-tu faire un effort ? Es-tu si égoïste ?

J'ai vu la fureur enflammer ses magnifiques yeux gris perle. J'ai vu un homme que je ne connaissais plus, prêt à lever la main sur moi, prêt à cracher des mots impardonnables, prêts à m'abandonner. Il a serré la mâchoire et des larmes cristallines ont scintillé dans ses iris froids. C'est là qu'ils ont sonné et qu'il a dit qu'il allait s'en occuper. Il m'a demandé de sortir d'ici, de la pièce. Je ne l'ai pas écouté.
***


Je les entends parler en bas. Je ne comprends pas les mots, mais je les devine. Ils seront bientôt ici. Les battements de mon cœur s'accélèrent, deviennent furieux. Je suffoque, je panique à l'idée qu'on me prenne ce qui reste. Je recule de la fenêtre, titube vers le lit, comme si j'avais trop bu de champagne. J'entends des pas dans l'escalier. Ils sont là, ils vont venir m'enlever ce qui me reste de mes souvenirs. Ils vont tout prendre, tout dénaturer, tout détruire. Je serre les poings, me mords la lèvre inférieure jusqu'à ce que je goûte un liquide chaud et métallique dans ma bouche. Le même qui tache les draps défaits blanc et lilas, le même qui se retrouve à mes pieds et sur le mur. Le même, qui a anéanti l'espoir et l'amour dans le cœur de mon mari, le même qui me lacère la vie à chaque inspiration que je prends et qui m'éloigne d'elle.
-Madame Tallier ?

Je tressaille légèrement au son de cette voix rugueuse. Je ne me retourne pas, refusant de donner de la substance à ce cauchemar.

-Rebecca ?

Je déglutis péniblement et des larmes brûlantes, sillonnent mes joues. Je ne veux plus quitter des yeux, cette inscription sur le mur de sa chambre. Nous l'avions installé ensemble, Gabriel et moi, avant sa naissance, pour que jamais, elle n'oublie. Même si aujourd'hui, elle a huit ans, ce qu'il signifie ne s'est jamais atténué, mais cependant, il est l'arme à double tranchant. Il est l'aveu de notre incompétence, parce que nous n'avons pas su la protéger, dans notre propre maison. Je sens Gabriel tout près de moi. Il ne me touche pas, mais je l'entends respirer. Je ressens son envie de me prendre dans ses bras, d'effacer le ressentiment, mais sa culpabilité, accompagnée de sa rancœur envers moi pour ne pas avoir pu arrêter cette horreur, l'en empêche. Je discerne presque le faussé qui lentement se creuse entre nous. Alors, pour ne pas sombrer, pour me raccrocher au mince espoir qu'elle peut être encore en vie, je murmure doucement ces quelques mots, inscrits sur son mur, tel un souhait de Noël, en cette matinée ensoleillée :

-Tu es tellement aimé.