dimanche 15 novembre 2015

Tarte aux citrons meringuée

Je devais intégrer à mon texte, la tarte aux citrons meringuée.
Voici ce que j'ai fait.

* * *

-Allez, viens à l’intérieur avec moi, juste cinq minutes, te réchauffer. S’il vous plaît…

Il me regarde, ses yeux verts noyés du reflet multicolores des petites ampoules enroulées autour des lampadaires. Sa voix, douce et grave, est suppliante, mais sans forcer. Il est sincère. Mais moi, je suis brisée. Je me mordille la lèvre inférieure, incertaine. Ma tête, déjà, est si loin, mon cœur…

-Mély.

Il tend sa main protégée par les moufles que je lui ai offertes à sa fête, il y a trois mois. Il me semble que c’est il y a une éternité. Je déglutis, espérant secrètement que le temps se suspende. Je vois bien, dans quel état je le mets, mais je n’arrive pas à me décider.

-Tu dois me laisser partir, je chuchote doucement.

-Mély…

Puis sa voix se casse, s’éraille, comme s’il venait d’avaler des cailloux. Je baisse la tête pour lui cacher mes larmes. Les gens nous contournent, indifférent à ce couple bizarre que nous devons former. La nuit est froide, presque glaciale, mais je ne ressens pas le froid, juste un vide immense. Celui qui nous sépare. Celui qu’est ma vie.

-Accorde-moi au moins ce dernier moment avec toi. Tu me manque tellement déjà.

Il relève ma tête délicatement et les larmes creusent un sillon sur mes joues, allant s’écraser honteusement dans la neige à nos pieds. Je ne sanglote pas, ce n’est pas ça, que je ressens, seulement une immense tristesse. Celle de la fin. Celle de tous les débuts qui ne fleuriront plus au printemps.

-J’ai réservé notre table, près de la fenêtre pour que tu puisses contempler la Senne. Mély, s’il vous plaît…

Un sentiment aussi étrange qu’éphémère naît dans mon ventre. Une boule de feu nourrit par le ressentiment, la haine et l’irritation. La boule gronde en moi, embrase mon corps et vient lécher mes lèvres dans un dangereux désir de cracher que je ne lui dois rien, rien du tout. Qu’il n’avait qu’à ne pas nous laisser sombrer dans la routine de la vie. Qu’il avait simplement à m’aimer plus… Puis, le feu s’éteint aussi rapidement qu’il a pris naissance et me laisse pantelante et haletante. Ce n’est la faute à personne, si finalement, au lieu de nous aimer, nous nous sommes accoutumés l’un à l’autre, jusqu’à ce que je ne puisse plus supporter de voir la même chose, jour après jour, sans nouveauté, sans rêves.

-Je ne suis déjà plus ici, avec toi, tu le sais, pourquoi vouloir prolonger l’inévitable ?

Ma voix semble froide, pourtant, je suis plié en deux par le désespoir qui scintille dans ses yeux, par le simple vœu de me voir accepter une dernière fois son invitation. Mais si je ne dis rien, qui parlera, alors ?

-Laisse-moi encore cinq minutes de toi, pour que je me rappelle à quel point j’ai été bête de ne pas comprendre que tu te fanais là, à mes pieds. Je n’ai pas su rendre ton existence aussi lumineuse que tu rendais la mienne. Je t’ai enfermé, pour mieux te contempler, mais je n’avais pas compris, que tu étais un oiseau libre et que j’étais en train de tuer.

Un soupir givré s’échappe en bué de mes lèvres glaciales. Je le regarde qui se tient le dos droit, bien habillé, l’air respectable, l’air si grand, mais si petit à la fois. Vaincu devant l’inéluctable, pourtant, cherchant à grappiller sur le temps des derniers adieux. Serait-ce si mal de lui offrir pour une dernière fois, la joie de partager nos rires et nos mots ?

-D’accord, Sam.

À l’instant précis où il tend sa main pour prendre la mienne, des milliers de flocons légers et vaporeux descendre lentement du ciel, venant s’écraser sur nous et autour de nous. Je me surprends à sourire, tout à coup, oubliant un instant la signification de cette soirée.

-Viens, notre tarte aux citrons meringuée nous attend.

-Je n’aime pas cette tarte, le citron me fait toujours grimacer.

-Je sais, mais j’aime te voir faire cette face impossible, quand tu y goûte. C’est là, que je te trouve la plus belle.

Je le regarde, infiniment triste. Il m’attire à lui, fourre son nez dans ma longue chevelure dorée et murmure :

-Une tarte aux citrons meringuée pour ne pas oublier, malgré la distance qui déjà nous éloigne, qu’il y a trois ans, ici même, l’amour s’est reconnu dans chacune de nos prunelles.

Je relève la tête, les yeux gonflés de larmes, le cœur en berne. Je me soulève sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sur sa joue rougie par le froid. La neige forme une auréole blanche sur sa tête. Il reprend ma main, délicatement, et je le suis dans le petit café pour manger une dernière fois, une tarte aux citrons meringuée.


FIN.