samedi 12 décembre 2015

Nuit de l'écriture

Cour, plus vite, allez, cour, ils sont derrière toi, avance, encore, dépêche-toi, ne regarde pas en arrière, fixe l’horizon, suis sa ligne, ton espoir. Est-ce que tu les entends chuchoter ? Sens-tu, leur souffle contre ta nuque ? Tu n’es pas assez rapide, ne veux-tu pas vivre ? Oui ? Alors vas-y, pousse la machine, fonce, défonce, mais ne tergiverse pas sur le comment du pourquoi. Ça n’a pas d’importance, fais-le, c’est tout.

Je déglutis péniblement. J’ai la gorge en feu, le cœur comme une bombe à retardement. De la sueur serpente le long de mon nez pour s’échouer sur mes lèvres craquelées. J’ai la cravate qui m’étouffe à force de voler en arrière, comme attirer par un aimant. Je tiens la valise, comme si je tenais ma vie. Désespérément.

Furieusement.

Ils sont justes derrière toi. Leurs pas se calquent à ton ombre. Tu ne m’écoutes pas, tu réfléchis trop. Je t’avais prévenue que ça serait dangereux, mais tu as persisté. C’est honorable. Ça le sera moins si tu te retrouves au fond du trou. Cour, allez.

J’essaye d’inspirer pour me donner un peu plus de force. Pour avoir l’espoir de déjouer les règles, mais ce n’est pas de l’air qui grimpe le long de mon œsophage, c’est une lame d’acier. Je me mets à tousser violemment, crachant du sang devant moi.

Ne t’arrête pas. Cour.

Je vais mourir. C’est une certitude qui s’insinue en moi, lentement, louvoyant jusqu’à mon âme. Elle crache son poison. Je suis touché, mortellement. Ça ne sert plus à rien, je ne sauverai pas la valise, mais ma vie ?

Ne t’arrête pas, je te dis. Trente millions, tu y penses un peu ? Tu seras libre. Tu sais ce que je veux dire ? Plus d’attaches, plus de boulets à ton pied. Tu sentiras à nouveau le vent sur ta peau. Cour.

C’était un plan foireux, je m’en rends bien compte, maintenant que je cours sur Sunset boulevard, vers le cul-de-sac de l’enfer. Une société en faillite, la mienne, non, celle de mon père. Sa déception, ses yeux accusateurs, comme si tout était de ma faute, puis, le ton froid, lointain, comme si déjà, l’invisibilité s’était gagnée de moi. Je n’ai pas de fils, a-t-il martelé. J’ai un empire, mais pas d’enfant à choyer, seulement un à disgracier. Alors si c’était comme ça, j’allais te plumer, vieux con. Cependant, j’avais peut-être sous-estimé la détermination de ce paternel, attaché à ses vieilles croyances et surtout, à sa parole et son honneur.

Allez, tu y es presque. Fais un dernier effort. Un ultime effort, en fait. Donne tout ce que tu as. Tu vois là-bas ? Dis, tu vois l’éclat doré sur le lit turquoise ? C’est ton billet vers le paradis. Je te l’offre, mais tu dois sauver la valise. Tu comprends ? Alors, cour.

J’avais volé les dernières économies de mon père, ainsi que les recettes magiques de ses pilules qui vous font voir la vie en rose, littéralement, et j’avais tout vendu à l’ennemi numéro un. Plus rien à perdre, tout à gagner. Mais voilà, je n’avais pas songé une seconde, que mon père pourrait être sérieux dans ses menaces et pourtant… Ne pas me retourner. Garder en tête l’objectif. Continuer à avancer, sentir l’asphalte chaud sous mes chaussures, ne pas se préoccuper de ma chemise blanche qui se teint de cernes jaunâtres et de mon pantalon qui se déchire. Prendre ce tournant, encore une foulée, inspire.

Oui, oui, oui.

Tout ce bleu m’éblouit, me fait presque flancher. C’est comme un feu d’artifice devant mes iris injectés de sang et de sables. Un cri s’échappe de mes lèvres, presque un sanglot. J’ai réussi, je vais me libérer de mes chaînes, enfin.

Vas-y, tu l’as mérité. Tu as sauvé la valise. Tu as gagné. Saute, vas-y, fais-toi ce plaisir, mon ami.

Je les entends en arrière, ils gémissent leur défaite. Ils ne pourront pas me rattraper à temps. Ils ont échoué, j’ai été plus fort, plus rapide qu’eux. J’ai la valise, j’ai les trente millions de dollars et j’ai mon billet vers un paradis doux et délicieux. Loin de ses yeux vides, loin de son reniement. Là-bas, je serai quelqu’un.

Oui, mais dépêche-toi. Vas rejoindre la lumière, va étancher ta soif, soigner tes blessures. Toutes. Elles guériront. Tu seras enfin reconnu. Marche la tête haute, les épaules en arrière. Fier. Tu n’es pas l’abdication de son amour, tu es prince. Ils te regardent tous, ils retiennent leur souffle. Ils sont tous là pour toi.

L’eau est d’une telle douceur, d’un tel délice, que des larmes de soulagement, même de bonheur, glissent doucement sur mes joues. L’auréole dorée m’envahit, me prend, me fait sienne. Elle me tire vers elle, m’attrape le corps, m’enlace, comme un serpent. Je suis sien. Je n’ai plus peur, tout est rose, tout est beau. Merci, chuchotais-je.

Tout le plaisir était pour moi, mon ami.

***

-Journal du dimanche, qui veut le journal du dimanche, le fils du milliardaire Trustman se suicide dans les eaux de la mer turquoise après avoir avalé des dizaines de pilules roses qui a rendu son père aussi riche. Pour savoir tous les détails, achetez le journal du dimanche.

FIN.

dimanche 15 novembre 2015

Tarte aux citrons meringuée

Je devais intégrer à mon texte, la tarte aux citrons meringuée.
Voici ce que j'ai fait.

* * *

-Allez, viens à l’intérieur avec moi, juste cinq minutes, te réchauffer. S’il vous plaît…

Il me regarde, ses yeux verts noyés du reflet multicolores des petites ampoules enroulées autour des lampadaires. Sa voix, douce et grave, est suppliante, mais sans forcer. Il est sincère. Mais moi, je suis brisée. Je me mordille la lèvre inférieure, incertaine. Ma tête, déjà, est si loin, mon cœur…

-Mély.

Il tend sa main protégée par les moufles que je lui ai offertes à sa fête, il y a trois mois. Il me semble que c’est il y a une éternité. Je déglutis, espérant secrètement que le temps se suspende. Je vois bien, dans quel état je le mets, mais je n’arrive pas à me décider.

-Tu dois me laisser partir, je chuchote doucement.

-Mély…

Puis sa voix se casse, s’éraille, comme s’il venait d’avaler des cailloux. Je baisse la tête pour lui cacher mes larmes. Les gens nous contournent, indifférent à ce couple bizarre que nous devons former. La nuit est froide, presque glaciale, mais je ne ressens pas le froid, juste un vide immense. Celui qui nous sépare. Celui qu’est ma vie.

-Accorde-moi au moins ce dernier moment avec toi. Tu me manque tellement déjà.

Il relève ma tête délicatement et les larmes creusent un sillon sur mes joues, allant s’écraser honteusement dans la neige à nos pieds. Je ne sanglote pas, ce n’est pas ça, que je ressens, seulement une immense tristesse. Celle de la fin. Celle de tous les débuts qui ne fleuriront plus au printemps.

-J’ai réservé notre table, près de la fenêtre pour que tu puisses contempler la Senne. Mély, s’il vous plaît…

Un sentiment aussi étrange qu’éphémère naît dans mon ventre. Une boule de feu nourrit par le ressentiment, la haine et l’irritation. La boule gronde en moi, embrase mon corps et vient lécher mes lèvres dans un dangereux désir de cracher que je ne lui dois rien, rien du tout. Qu’il n’avait qu’à ne pas nous laisser sombrer dans la routine de la vie. Qu’il avait simplement à m’aimer plus… Puis, le feu s’éteint aussi rapidement qu’il a pris naissance et me laisse pantelante et haletante. Ce n’est la faute à personne, si finalement, au lieu de nous aimer, nous nous sommes accoutumés l’un à l’autre, jusqu’à ce que je ne puisse plus supporter de voir la même chose, jour après jour, sans nouveauté, sans rêves.

-Je ne suis déjà plus ici, avec toi, tu le sais, pourquoi vouloir prolonger l’inévitable ?

Ma voix semble froide, pourtant, je suis plié en deux par le désespoir qui scintille dans ses yeux, par le simple vœu de me voir accepter une dernière fois son invitation. Mais si je ne dis rien, qui parlera, alors ?

-Laisse-moi encore cinq minutes de toi, pour que je me rappelle à quel point j’ai été bête de ne pas comprendre que tu te fanais là, à mes pieds. Je n’ai pas su rendre ton existence aussi lumineuse que tu rendais la mienne. Je t’ai enfermé, pour mieux te contempler, mais je n’avais pas compris, que tu étais un oiseau libre et que j’étais en train de tuer.

Un soupir givré s’échappe en bué de mes lèvres glaciales. Je le regarde qui se tient le dos droit, bien habillé, l’air respectable, l’air si grand, mais si petit à la fois. Vaincu devant l’inéluctable, pourtant, cherchant à grappiller sur le temps des derniers adieux. Serait-ce si mal de lui offrir pour une dernière fois, la joie de partager nos rires et nos mots ?

-D’accord, Sam.

À l’instant précis où il tend sa main pour prendre la mienne, des milliers de flocons légers et vaporeux descendre lentement du ciel, venant s’écraser sur nous et autour de nous. Je me surprends à sourire, tout à coup, oubliant un instant la signification de cette soirée.

-Viens, notre tarte aux citrons meringuée nous attend.

-Je n’aime pas cette tarte, le citron me fait toujours grimacer.

-Je sais, mais j’aime te voir faire cette face impossible, quand tu y goûte. C’est là, que je te trouve la plus belle.

Je le regarde, infiniment triste. Il m’attire à lui, fourre son nez dans ma longue chevelure dorée et murmure :

-Une tarte aux citrons meringuée pour ne pas oublier, malgré la distance qui déjà nous éloigne, qu’il y a trois ans, ici même, l’amour s’est reconnu dans chacune de nos prunelles.

Je relève la tête, les yeux gonflés de larmes, le cœur en berne. Je me soulève sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sur sa joue rougie par le froid. La neige forme une auréole blanche sur sa tête. Il reprend ma main, délicatement, et je le suis dans le petit café pour manger une dernière fois, une tarte aux citrons meringuée.


FIN.

dimanche 18 octobre 2015

L'avenir en héritage

Thème : Écrire un texte avec cette image.



-Pas réussi, trop de pensées qui tournoient dans ma tête…

-Tu ne vas pas te désister, non ? Ici, on n’accepte pas les lâches.

Je soupire longuement, me sentant à la fois abattu et légèrement hors du temps. Je ne me souviens pas pourquoi j’ai cru que c’était une bonne idée. Je ne me souviens même plus comment tout ça a commencé. Peut-être était-ce hier ? Ou il y a dix ans.

Je suis si fatigué.

-Remue ton gros cul, mec. J’n’ai pas qu’ça à faire, attendre après tes réflexions. Il faut y aller.

Je relève légèrement la tête. Je me sens si lourd, si déconnecté. J’aimerais seulement pouvoir me situer dans l’espace-temps, me dire que nous sommes le vingt-trois juillet, mais en fait, il fait trop froid pour qu’il soit cette date. Pourtant, je ne peux pas affirmer sans l’ombre d’un doute quel mois nous sommes.

Je suis si fatigué.

- Magne-toi mec, je ne me répéterai pas. Tes états d’âme, tu les étaleras sur du papier plus tard si tu veux, mais là, c’est le temps d’y aller. Tu l’entends ? Il arrive. Y’a pas de retour possible. Faut prendre le train, mec.

Je me lève, plus mal que bien. Mon regard se focalise sur tout et sur rien. Je papillonne des yeux, avec frénésie, il me semble. Ma bouche est pâteuse, mon cœur palpite beaucoup trop rapidement. Je vais faire une attaque, c’est certain. Je vais m’étendre raide mort ici, sur le plancher de cette gare, vide, et tout ça n’aura eu aucun sens. Qu’un long cauchemar où je ne me serai jamais réveillé. Je dois valoir mieux que ça non ? C’est pour ça que je suis ici. Pour cet avenir…

Je suis si fatigué.

-Voilà, tu es capable de te bouger, je commençais à douter. Allez, viens, n’aie pas peur, je te promets que ça sera splendide. Un feu d’artifice comme tu n’en auras jamais vus. Badaboum !

Il me sourit, il doit croire que cela me rassure, me donne du courage. Quel idiot fait-il, de ne pas comprendre, de ne pas voir. Je n’en ai rien à faire de son pétard aux couleurs de l’arc-en-ciel. Ce que je veux, c’est être reconnu et me débarrasser de cette lassitude qui circule dans mes veines aussi sûrement que mon sang. Je n’ai de goût pour rien. La vie est fade, tellement grise que je crois qu’il pleuviote en permanence. Je respire votre dégoût tous les jours et je recrache des cendres. C’est ça, qui est arrivé. Je me souviens à présent. Cet attrait, ce feu à l’intérieur…

-Rapproche-toi de moi et n’oublie pas ton sac. Je le sens mec, pas toi ? Tu vois, à l’est, le soleil qui se lève ? C’est l’augure du jour glorieux. C’t’un bon signe. Il fera beau quand il pleuvra tout ce sang. J’en frisonne d’extase, déjà. Allez, tiens, prends une autre pilule, tu sembles en avoir besoin. Ça va être merveilleux, mec. Tellement merveilleux.

J’avale la pilule qu’il me tend. Sa main tremble légèrement de toute cette excitation. Les demoiselles nous observent depuis un moment déjà. Je m’approche lentement d’une et d’un geste vif, l’écrase contre le mur. Ses ailes diaphanes battent éperdument, dernier sursaut de sa fragile vie, avant de finalement se désagréger dans l’air pur matinal. L’autre rigole franchement. Du sang gluant coule le long du ciment sale. Je l’observe fasciné. J’ai senti un truc à l’intérieur de moi remuer.

Un monstre.

-T’es prêt ? Le train s’amène en gare. Allez, bouge-toi par ici. C’est l’heure. Ding, dong.

Il a les yeux fous de ceux qui n’ont plus d’espoirs, plus de rêves, seulement une envie bestiale de satisfaire leurs ennuis mortels. C’est ça la vie finalement. Satisfaire ses besoins les plus sombres et devenir enfin ce que l’on est ; un animal. Le train rentre en gare en sifflant. Le vent ébouriffe sa chevelure et le fait tanguer. De si grandes ambitions dans un si petit corps. Je le surplombe de toute ma taille, je suis beaucoup plus fort. Mais est-ce que ça se mesure à ça ?

-Tu fous quoi, mec ? Range ta conscience dans ta poche et embarque avec moi. J’te défends d’hésiter. C’ta notre tour de parler. On a quelque chose à dire, autant que ça soit à la hauteur de qui nous sommes, non ?

Les portes sont ouvertes, n’attendent que moi, mais j’hésite. Je tergiverse, me balançant de gauche à droite. Oui, non. Oui, non. À quoi bon ? Pourquoi pas ? Puis c’est ça, c’est la raison de mon existence, de mon insomnie et de ma détresse. Non, pas ma détresse, plutôt de… L’exaltation ? C’est ça non ? Je ressens étrangement chaque fibre de mon corps, le sang dans mes veines, mes cheveux qui poussent, mes yeux qui perçoivent les nuances de jaune du soleil levant. Un nouveau jour. Notre jour. Je happe mon sac et passe les portes qui se referment. Il me sourit.

-Nous arriverons pile à l’heure, mon ami. Trinque avec moi. Allez. On va écrire notre histoire.

Il lève son fusil, je fais de même. Il n’y a personne dans notre wagon. Nous sommes les seuls, tels des rois, des vainqueurs, des tueurs.

Doucement, le train file vers la ville. Vers le centre de toute vie. La palpitante.

« L’avenir en héritage »

Quel nom d’école lamentable.
Fin.

lundi 5 octobre 2015

Plus que la vie



 J’admire ton rayonnement, cette petite lueur opaline qui irradie de toi, comme si le ciel venait de se poser à tes pieds, encensant ton être de grâce. Tu viens d’arriver, je peux le sentir à ta sueur qui suinte légèrement par tes pores. Rien d’extravagant, seulement un novice, qui n’y connaît rien. Encore une fois. Je réprime une envie de rire pour ne pas me révéler à toi, du moins, pas à cet instant précis. J’ai envie de m’amuser et j’ai tellement de chance, tu es mon jouet favori.

Je me déplace légèrement vers la gauche, là où il me sera plus facile d’observer tes premiers pas sur cette terre. Tu sembles un peu incertain, regardant dans toutes les directions à la fois, m’apercevant sans pourtant me voir. Tu ne sais même pas encore comment détecter l’invisible, comment prévoir l’imprévisible. Ne t’ont-ils donc rien appris, là-haut ? Bien sûr que si, mais tu as tout oublié, subjugué par toute cette beauté qui t’entoure, incapable d’aligner trois pensées censées d’affiler. Ta fébrilité m’excite, m’enivre, me donne envie de toi, sans même m’amuser avant. En finir rapidement. Une jouissance brève mais explosive. Je dois me calmer.

Tu bouges lentement, te diriges en titubant, comme si tu venais d’ingurgiter plus de litres d’alcool que ton corps peut en supporter, vers la ville. Là où ils sont tous, tes semblables, les autres et moi. T’ont-ils parlé de moi ? Mis en garde que je pouvais me terrer quelque part, attendant le bon moment pour te prendre ce que tu viens si bravement de gagner ? N’est-ce pas d’une ironie tordante ?

Tu es plus sûr de toi, tu rejettes les épaules en arrière et lèves fièrement la tête. Voilà, c’est comme ça que je t’aime, comme ça que je veux te prendre, dans toute ta gloire pathétique. Tu n’es pas spécial, tes ailes sont blanches, tu n’es qu’un gardien de bas étage. Les Ailes vertes sont mes préférés, un sang délicat au début, qui finit par éclater dans la bouche, comme un feu d’artifice, millions de couleurs et de paillettes, un festin inoubliable. Mais ils sont rares, car, pourquoi quitteraient-ils la chaleur et la sécurité d’un endroit éternel pour une terre inconnue, où ils ressentiront bien autre chose que Son amour. Par contre, vous, vous êtes presque légion à atterrir ici, parmi les humains, et à vouloir apprendre leurs langages, leurs fonctionnements, leurs émotions et surtout, leurs humanités. Vous mourrez, comme eux, mais renaîtrez ensuite comme vous étiez avant de venir les rejoindre, plus grands et plus forts. À moins que…

Que je vous vole votre âme.

Tes ailes s’évaporent lentement, tes traits prennent peu à peu une apparence moins angélique, plus banale. Seuls tes yeux gardent ce chatoiement Céleste, comme si les galaxies y vivaient. Tu es près de moi à présent, forte et belle. Désirable. Je suis en alerte, énervée par ce qui s’en vient, désireux de bien faire les choses, de te donner la mort à la hauteur de ta prestance qui grandit de minute en minute, plus tu prends de l’assurance, plus tu assimiles ton environnement, ne faisant qu’un avec lui. Je t’ai sous-estimé légèrement, tu t’acclimates rapidement, ça me plaît et me donne encore plus envie de toi. Je glisse doucement vers l’arbre derrière toi. Tu es peut-être humaine, mais pas de naissance et par ce fait, tu gardes certains dons et dans quelques secondes, tu détecteras ma présence. Dois-je te laisser me découvrir ?

Le vent choisi pour moi. Lentement, il se lève, caresse doucement ton corps divin, soulève ta longue chevelure ambrée, apporte à toi, l’odeur de la mort. Tu te raidis, tous les sens en alerte. La peur prend possession de chacune de tes cellules organiques, pompant furieusement ton sang dans tes veines. J’entends le vacarme furieux de ton cœur qui bat avec frénésie.

On y est.

Tu te retournes au moment où je fonce sur toi et happe ta taille. Un craquement sonore s’envole dans la nuit. Ta bouche s’ouvre en un étonnement parfait. Je te maintiens contre moi, écoutant la douce mélodie de ton sang chanter à mes oreilles. Un bouillon effréné qui circule en toi, déversant des litres d’adrénaline dans tes muscles pour te donner l’énergie de m’échapper. Un bien faible espoir éphémère, tu ne pourras pas t’échapper et tu le lis dans mes yeux.

-Je t’aime, murmurais-je en me penchant vers ton cou palpitant.

Mes dents pointues percent facilement la fine membrane de ta chair et le liquide chaud se déverse dans ma bouche. Je t’enlace plus étroitement, comme si nous allions valser. Une danse mortelle. J’aspire vigoureusement, presque frénétique. Derrière mes paupières, explose la lumière éternelle. La tienne. Elle est faite de spirales dorées, pailletées de rose infini. Je goûte ta vie, la savoure comme si elle était mienne. J’ai envie de pleurer, tellement tu es merveilleuse, tellement tu es… Parfaite.
J’absorbe ton essence, encore et encore, des litres d’images qui éclatent derrière mes paupières closes. Ton paradis, tes amis, ta famille, les champs tapissés de fleurs exotiques, ta joie, ta beauté, ton âme. Toi.

Je ne peux plus te relâcher, je sens ton corps vibrer contre moi et ma main, se pose sur ta poitrine. Ta vie est belle. Le flot rubescent, lentement, se tari, j’ouvre les yeux, presque essoufflé et contemple ton visage cireux. Tes yeux papillotent désespérément, comme un insecte qui serait pris dans une toile d’araignée. Ton corps est mou dans mes bras vigoureux. Ton sang précieux circule à présent dans mes veines, me rendant plus fort que jamais. Bientôt, je pourrai être considéré comme Lui. Tu es étendu sur la chaussée, ta robe lavande remontée sur tes cuisses. Je me tiens au-dessus de toi, contemplant ton agonie et je vois dans tes yeux éteints, que tu me trouves beau. Je souris victorieux. Je déploie mes ailes d’un noir charbonneux et te tourne le dos. Dans moins de trente secondes, tu mourras et tu ne pourras ressusciter, car je t’ai pris la seule chose qui comptait : ton étincelle.

Je donne un coup de pied sur le sol pour m’envoler, mais des doigts m’agrippent la cheville. Je me retourne, agacé et que vois-je ? Toi, encore vivante, s’attachant désespérément à moi. Tu murmures sans relâche une phrase que je ne comprends pas. 

Vingt, dix-neuf, dix-huit, dix-sept…

Je suis légèrement agacé et j’hésite à me pencher pour t’entendre ou à m’élancer sur toi et faucher une bonne fois pour toute cette vie qui s’accroche férocement en toi. 

Seize, quinze, quatorze, treize, douze…

Soit, je me sens magnanime ce soir. Je m’incline devant toi et prend ton visage strié de veines bleues entre mes mains et penche l’oreille vers tes lèvres exsangue. J’ai l’ouïe très fine, bien sûr, mais tu jacasses en langue étrangère alors il me faut être prêt de toi pour comprendre tous ces sons que tu chuchotes de plus en plus fiévreusement. 

Onze, dix, neuf, huit, sept, six…

Au début, je n’arrive pas à saisir tes mots, ils sont trop faibles, puis, doucement, la phrase se met en place et je ne peux retenir un petit cri de surprise. Comme je t’ai sous-estimé, enfant de la lumière. Cependant, ma nature première de prédateur, réfute ce que tu dis. Ce que j’aime, c’est le sang et la mort, rien d’autre, mais… Je suis joueur, tu vois, et je crois que tu l’as perçu quand nous étions intimement liés plutôt ou serait-ce l’éclat dans mes yeux qui m’a trahi ? Je te vois paniquer, à mon hésitation. Ton corps est secoué de soubresaut, la mort est tout près, elle renifle ton joli corps, alors, avec l’énergie du désespoir, tu réussis à détourner ton regard de ses iris aux reflets abyssaux et tu te lèves en tremblant.

Cinq, quatre, trois…

-Fais-moi tienne, réussis-tu à articuler d’une voix rauque. 

Deux.

Un sourire espiègle étire mes lèvres.

Un.

Fin.

lundi 28 septembre 2015

1-2-3-4

Thème :


1-2-3-4

Je tourne le coin de la rue, le dos droit, le pas décidé, le regard vide, reflet intersidéral de mon existence. Un puits sans fin, éclaboussé de ténèbres, nourrit de haine. La mienne, la vôtre, celle, plus qu’incertaine, du Ciel. Je n’en ai rien à faire, de votre gentillesse à mon égard, je n’en ai rien à faire de vos sourires, de vos accolades amicales, comme si nous étions proches. Vous ne me regardez pas, car si tel était le cas, vous sauriez.

Un ciel violacé s’épanouit peu à peu, chassant les derniers vestiges d’une journée éclatante. Je me sens renaître, comme si le noir circulait dans mes veines. Comme si j’étais ce noir. Union de deux entités qui se reconnaissent et s’associent, jouant un jeu que même la vie ne peut empêcher. J’ai soif, si vous saviez.

Ma bouche est pâteuse, mon cœur fébrile, mon corps tendu à l’extrême. Il y a longtemps que je l’ai repérée, longtemps que le destin s'est scellé d’une tête macabre. Le temps qu’il te reste est comme une mélodie qui commence doucement, mais qui s’accélèrent plus les secondes s’écoulent. Tout est compté. Un, deux, trois, quatre.

Tu es pétrifiée sur place dans une position grotesque. Tes lèvres, tantôt rubescentes, sont à présent couleur poussière d'os et tes yeux grenat supplient les miens, ne rencontrant pourtant que deux trous dénués de vie. Je ne connais pas ton désespoir, je ne le ressens pas. Tout ce qui me fait jouir, c’est les coups de couteau : onze, douze, treize, quatorze.

Puis, ton souffle qui s’effrite doucement dans un murmure presque enfantin.

mercredi 16 septembre 2015

Coup de foudre

 Thème :  le coup de foudre. Mais ce qui va être intéressant, je pense, c'est de revisiter ce cliché de la littérature en y collant le registre comique.

Votre texte devra donc tourner autour d'un coup de foudre amoureux entre deux protagonistes. Mais votre but sera de faire passer un sentiment de ridicule, de traiter la scène avec humour et tendresse en même temps.



Il était plus de dix-neuf heures quand je suis sorti du bureau, la cravate de travers, les cheveux en épis de maïs et mon pantalon formel, gris terrasse urbaine – j’ai pris cette nuance de gris sur un étiquette de peinture chez Benjamin Moore – déchiré sur toute une longueur de ma jambe, laissant apparaître aux yeux prudes des inconnues, mes poils. HOR.REUR.

Je n’ai pas envie de vous raconter ce qui est arrivé. Après tout, c’est le truc le plus banal que vous pourriez lire. Et puis, j’ai peur que vous vous moquiez de moi, vous, lecteurs dont la vie n’a aucun intérêt, aucune saveur, aucune odeur. Vous êtes condamnés à me lire et de plus, je ne suis même pas auteur, seulement concierge. Quoi ? Un concierge ne porte pas un costume cravate ? Depuis quand ? Qui a décidé qu’il fallait porter des haillons pour récurer le plancher des petits merdeux d’avocats qui font trois mille balles la semaine. LA SEMAINE ! J’ai envie de dire, chienne de vie, mais je suis poli et de plus, je m’égare.

Premièrement, je ne m’appelle pas Cendrillon, plutôt Gaston. Ne m’appelez pas Gus, sinon je vous tue. Vous ne me croyez pas ? Allez faire un tour au cimetière, troisième rangée à votre droite quand vous rentrez, pierre tombale numéro cent quatre-vingt-quatre. Je vous attends. Alors ? Bien, parfait, je préfère cela. Donc, pour en revenir à nos singes, j’étais en train de travailler, une journée normale, je récurais le plancher de Maaaaître Soleil – c’est son surnom, car quand il sourit, il nous éblouit par toutes ses dents jaunes. On pourrait croire qu’avec trois mille dollars la semaine, il pourrait se payer un dentiste, eh bien non. Il préfère se payer une pute – Pardonnez-moi, comprenez par là une fille aux mœurs légères.

Donc, je torchais le sol de Monsieur-je-ne-vais-pas-chez-le-dentiste-parce-que-je-suis-trop-gratteux quand j’ai aperçu sur son bureau, brillant de tous les feux d’artifice d’un vingt-quatre juin, jour de la fête du Québec, vous savez, un sac en lin beige avec le signe du dollar dessus. Bordel, je n’en ai pas cru ma veine et je me suis avancé, prudemment, dans le bureau. Des petits pas, presque en sautillant, comme un écureuil (oui, j’en ai déjà vu un sautiller). Pour faire ça court, j’ai pris le sac, qui pesait sont poids, et c’est de mes yeux d’un bleu jour de brume – oui, je passe mon temps libre à découvrir de nouvelles nuances de couleurs, je trouve ça fort instructif et ça change de bleu ciel, tellement has been. Qui écrit encore bleu ciel ? Tout de suite, si j’écris bleu jour de brume, on pense à un mec mystérieux, gentleman, sexy, désirable… Mais je m’égare de nouveau. C’est donc de mes yeux bleu jour de brume que j’ai constaté qu’il n’était pas rempli de cailloux. Le sac était gonflé de cash. Plein de petits billets couleur bronze, tellement, que j’ai failli m’évanouir d’excitation. J’ai failli jouir aussi. Pardonnez ma vulgarité, mais si vous trouviez autant d’argent, vous comprendriez.

Je n’ai pas réfléchi. Je sais ce que vous vous dites : avec un prénom pareil, je ne dois pas réfléchir souvent, eh bien, vous vous trompez. Je rumine souvent. Passer la moppe, le balai, vider les poubelles, épousseter le bureau de miss-beau-cul, cela ne demande pas beaucoup de concentration cognitive. Donc, j’ai tout le temps de réfléchir à ce que je ferais, si un jour, je trouvais près d’un million de dollars dans un sac en lin avec le signe de la piasse imprimé dessus. Et ce jour est arrivé. Gloire à Dieu.

Je n’ai donc fait ni une ni deux : j’ai pris le sac et me suis mis à courir. Vite. Je me suis félicité d’avoir commencé la course à pied à quinze ans pour devenir endurant et ainsi, pouvoir impressionner les belles filles de mon école. J’ai sprinté, tel un guépard dans la prairie, aussi sauvage et noble que lui. Tête haute, corps svelte, muscles bandés, sourire de pub de dentifrice. Oui, à douze dollars de l’heure, je suis capable de me payer un foutu dentiste pour me blanchir les dents. Dans ton cul, Maître Soleil.

J’ai pris la poudre d’escampette sans demander mon reste et comme je ne regardais pas nécessairement où j’allais, je me suis pris les pieds dans cette criss de prise de courant d’aspirateur. La suite est peu glorieuse, mais je n’ai pas honte, je vous la raconte la tête haute. Je suis tombé dans les escaliers dans un badaboum infernal. Je ne suis pas certain, mais je crois que le bâtiment a vibré. Mon pantalon s’est pris dans une vis et s’est déchiré. Ma cravate, quant à elle, a bien failli m’étrangler. LITTÉRALEMENT. Ce que j’en dis, c’est qu’il faut bannir les cravates des costumes, c’est dangereux. Je me suis retrouvé les quatre fers en l’air, hennissant presque d’offuscation, mais toujours avec le sac, bien fermé sur ma poitrine. Je me suis relevé d’un bon, agile et gracieux comme une gazelle et j’ai lâché un cri victorieux. Bon d’accord, un cri nerveux, presque un couinement si on veut vraiment être précis, et je suis sorti dehors, avec mon sac à un million de dollars.

C’est là que c’est arrivé. Je n’ai pas compris sur le coup. J’étais trop décalé, un peu vaseux. Je voyais des étoiles. De belles étoiles. Puis, c’est elle que j’ai vue. Son joli visage en cœur, sa bouche mince mais sulfureuse, rehaussée d’un rouge rêve de flamant – souvenez-vous des nuanciers de couleur – ses yeux d’un violet jacinthe des bois, et son petit nez retroussé moucheté de taches de rousseur. J’en ai eu le souffle coupé. Je ne pouvais plus bouger, plus rien dire. Le sac rempli de mon million est tombé bêtement à mes pieds. J’ai ouvert la bouche et je l’ai refermée sans rien dire. Comme un poisson. Aussi con et gluant que lui. J’ai dégluti, fiévreux. Elle était la plus belle créature de la terre. Mon cœur faisait les montagnes russes dans ma poitrine. J’ai dit un truc poétique :

-Je crois que je suis amoureux.

Elle a ricané. Le plus beau ricanement qu’on pouvait imaginer et elle m’a enfilé les menottes.

-Police de Montréal, vous êtes en état d’arrestation pour vol. Veuillez-nous suivre.

-Où tu voudras, mon amour.

Fin.

mardi 15 septembre 2015

L'oiseau bleu

Texte d'après l'image suivante : 
 
 
L’oiseau bleu

Cette histoire, c’est une chanson, la tienne, la mienne, la vôtre. C’est une mélopée d’un temps qui est passé et qu’on n’a pas su saisir. Un murmure indifférent d’un matin de septembre où tu regardes l’été qui s’en est allé, loin, loin dans ce jadis doux qui était pourtant là hier encore. Même les oiseaux bleus qui aimaient tant chanter, s’étaient tus, comme s’ils savaient que la belle saison était morte et qu’elle ne reviendrait plus. Comme s’ils avaient compris que ça se cachait là, derrière le soleil qui lentement se levait. C’était tapi derrière ses yeux lilas, derrière son rire, derrière sa jeunesse.

On n’apprivoise pas la liberté, on la vit.

***
J’ai enfilé des collants de couleur grenat et par-dessus un petit short d’un noir profond, telle la nuit qui était encore maîtresse de nos vies et de nos rêves. J’ai complété la tenue par un chandail, des bottes et un petit chapeau. J’ai tressé mes cheveux d’un blond clair et puis j’ai pris mon sac et mon téléphone, et me suis dirigée sans bruit vers l’extérieur. J’ai regardé ma maison, ses briques, la fondation, solide. J’ai souri. Je m’étais toujours sentie en sécurité, ici, entre ces quatre murs, loin de l’agitation et du froid. Loin de ce qui aurait pu rôder dans les parages, comme un mauvais présage. Il n’y avait pas de cauchemar, seulement de l’amour. Un nid douillet où se réfugier, où s’abandonner.

Et pourtant.

J’ai descendu les marches de béton décoré de citrouilles. Je me sentais légère, presque heureuse. Le silence de cette douce matinée m’environnait, me transperçait de sa beauté évanescente. J’avais toujours aimé la nuit et tous les secrets qu’elle enfermait avec elle, jalousement. J’ai avancé lentement sur le trottoir, mes pas ont froissé les feuilles aux couleurs sombres. J’aimais ce bruit sec, l’odeur qui explosait après avoir déplacé cette nature mourante. Une odeur forte, qui nous faisait sentir vivant.

Et pourtant.

Je m’étais levée tôt exprès pour les voir, ces oiseaux de nuit qui prenaient leur envol au matin venu. Jamais personne n’avais pu confirmer avec certitude les avoir aperçus. Ils étaient comme une légende, comme cette chanson qui jouait dans mon MP3 : on n’apprivoise pas la liberté. C’était ce qu’ils représentaient pour moi, l’indépendance et la désinvolture. On pouvait presque les toucher et pourtant, ils étaient déjà loin. Inaccessible que dans notre esprit et notre cœur. Un souhait à peine formulé, à peine murmuré. Mais c’était mon anniversaire aujourd’hui et j’avais cette impudence en moi, cette foi qu’ils seraient là.

Et pourtant.

Au détour de la rue, j’aperçus le chemin qui menait à la plage. Un petit sentier jonché de feuilles mortes qui s’ouvrait sur le lac miroitant. Une beauté sauvage qui n’avait pas connu depuis un certain temps la foule imprudente et inconsciente venant ici sans écouter ni regarder. J’inspirai profondément tout en marchant lentement le long du passage, laissant l’air pur, frais et vivifiant s’infiltrer dans mes poumons. J’avais l’impression que j’étais cet arbre, cette feuille, cet endroit. Je m’arrêtai au bout du chemin à l’orée de la clairière, l’esprit rempli de béatitude. Au loin, dans ce firmament poudré de pastel et de doré, se levait lentement le jour. Mon jour.

Et pourtant.

Je fermai les yeux et levai ma main vers le ciel, imaginant toute la vie autour de moi, rêvant de tous les futurs, de tous les rires, de tous les possibles. Puis, je sentis un léger bruissement près de moi et il se posa sur ma main. L’oiseau bleu, l’oiseau imaginaire, l’oiseau sans nom. Je le sentis, sans le voir, comme une caresse, comme un frémissement. Mon cœur s’emballa, pompant mon sang jusqu’à mes joues qui s’embrasèrent. J’avais vécu ma vie pour ce moment. Toutes les fois où j’avais blessé ma peau, hurlant un désespoir plus grand que moi, j’avais rêvé de cet oiseau bleu. Celui qui expliquerait tout, celui qui ferait que ça irait. Il était là, ce matin où je soufflais mes dix-sept bougies, comme pour montrer à la face du monde qu’il existait, qu’il n’était pas qu’un conte. Une immense gratitude m’enveloppa, des larmes dévalèrent mes joues pour aller s’écraser dans le vide. C’était ce que j’avais attendu depuis si longtemps. Depuis que j’avais appris ce qu’était la vie, ce qu’elle n’offrait pas, toutes ses limites, ses pièges, ses culs-de-sac. J’étais plus que ça, cet oiseau était plus que ça, lui aussi.

- Bonjour toi.

Je plongeai la main dans mon sac, doucement, pour ne pas l’effrayer et je posai l’arme froide sur ma tempe. J’ouvris les yeux, pour enfin l’apercevoir. Son regard noyé d’éternité refléta le lilas inaltérable de ma vie. Il savait que le changement était inévitable, que ça devait être ainsi, pour toujours. Il ne prit pas son envol.
***

Trois jours plus tard

- Elle est venue ici, j’ai trouvé son cellulaire, il y a quelque chose d’inscrit :

On n’apprivoise pas la liberté, on la vit.
Fin

mardi 8 septembre 2015

Apparences

 Consigne : Écrire 3 paragraphes pour créer un suspense et le 3e paragraphe doit se terminer sur la découverte d'un corps.


Tu es superbe aujourd’hui. Tu as noué tes longs cheveux d’un blond-roux en une queue-de-cheval sophistiquée. Tu portes une petite robe soleil, d’un blanc innocent, qui fait naître en moi, encore une fois, ce désir à peine dissimulable. Au début, je passais par ici en venant travailler, espérant t’y croiser l’espace d’une seconde éphémère. Le temps que je fasse un pas et tourne le coin de la rue. Juste un petit détour. À présent, je suis là, tous les jours, tapi dans l’ombre de mon bouquin, attendant que tu honores l’endroit de ta chaleureuse présence. Un rayon de soleil dans ma journée terne comme un discours de politicien. Tu es assise sur la terrasse, offrant ta peau couleur caramel à la douce lueur de l’astre de l’été. Je souris, comme un enfant à qui on viendrait d’offrir en cadeau la plus savoureuse des sucreries. J’essaye de trouver une parcelle de courage en moi pour t’aborder mais à ce moment, ton téléphone vibre à côté de toi. Tu regardes le message sur l’écran et tu fais une moue adorable. Malheureusement pour moi, tu te lèves et emballes tes affaires pour quitter le café, sans un regard en arrière.

Tu es partie depuis trois secondes et déjà, le manque. Insupportable. Je me lève à mon tour, un peu brusquement, manquant de renverser ma chaise. J’enfile mon chapeau gris et me précipite à ta suite, oubliant sur le coin de la table le livre acheté dans une librairie du quartier. J’ai le temps de t’apercevoir tourner le coin de la rue Mason. C’est ton foulard, rouge coquelicot, qui m’a susurré à l’oreille le chemin de tes pas. Je t’aperçois au loin, tu marches d’une foulée rapide. Décidée. Je te suis à bonne distance. Je n’ai pas peur de te perdre, ce rouge indécent à ton cou me guide à travers la marée d’employés du lundi matin, neuf heures. Ils vont tous travailler, mais toi, où te diriges-tu ainsi ? Tu es mon énigme. Je n’ai rien pu discerner à ton sujet, sinon que tu bois du thé vert chaque fois que tu viens dans ce café. Toujours. Les battements de mon cœur s’accélèrent. Cette poursuite, ce jeu du chat et de la souris, commence à m’exciter. Il y a des semaines que j’attends et que j’attends encore. Une espérance insoutenable, douloureuse, cruelle. Tu ne m’as pas remarqué, pas une seule fois, et moi, je rêve de toi toutes les nuits. Toutes les nuits. Peux-tu imaginer cela ? Tu as cette importance, ce privilège. Mes nuits sont à toi, inconnue aux yeux turquoise, alors où vas-tu, si rapidement ? Si décidée ? Pourquoi portes-tu tous les jours ce carré de soie rouge à ton cou ? Pour m’exciter ? Pour te faire désirer ? Violer ?

Je t’ai perdue. Je suis paniqué. J’ai une boule au fond de la gorge qui me donne envie de vomir. Où es-tu ? Dans quelle maison t’es-tu engouffrée ? J’étais à ce feu rouge, tu étais sur l’autre côté du trottoir. Tu marchais vers l’est, vers les maisons huppées. Fille de riche, alors. Puis, hypnotisé par tout ce rouge et ce blanc, moucheté d’or, j’ai fait un pas, parce que tu es la seule pour moi qui compte, que te perdre m’est insupportable, et j’ai entendu un klaxon. Bruit agressif qui m’a réveillé et m’a fait détourner les yeux une demi-seconde. Une demi-seconde où tu t’es évaporée. Dissipée. Je déglutis, essayant de faire taire l’affolement qui consume chaque cellule de mon être. Je vais défaillir. Je vais te tuer. Les muscles de mes bras se bandent. Et pas qu’eux. Je viens d’apercevoir l’objet de ma jouissance. Le foulard. Le tien. Sur les marches de béton d’une maison trop belle pour toi. Fille de riche. Je m’aventure jusqu’à la porte, récupère le carré soyeux. Rouge insolent entre mes doigts tremblant d’excitation. J’ouvre la porte que tu n’as pas verrouillée, car bien sûr, tu sais que je viendrais. Seras-tu là, sur le lit, offerte ? La porte grince légèrement, mes yeux se posent sur toi, rayonnante ; sur ton sourire, doux ; sur tes yeux, moqueurs ; sur l’homme : mort.

Un foulard rouge autour du cou.

mercredi 22 juillet 2015

Carte postale


Consigne : Un matin, en récupérant votre courrier, vous vous rendez compte que vous avez reçu une carte postale qui ne vous est pas destinée, et dont le contenu vous intrigue beaucoup.

Le texte devra être écrit à la première personne du singulier.


Carte postale

Je suis étendue sur mon lit, regardant le plafond suspendu d’un blanc terne. À quelques endroits, de gros cernes brunâtres tâchent les tuiles et menacent de les faire tomber. Il n’y a aucun bruit dans la pièce. Mon partenaire de chambre n’est pas là. Il a son cours, à onze heures trente. Pour moi, ce n’est que dans une heure. Tant de temps à tuer, à ne pas savoir que faire de moi, de mes pensées. Je lance une balle vers le plafond et la rattrape. Une balle jaune, jaune comme le soleil qui perce doucement à travers les barreaux. Une couleur, rien de plus. Parfois, je la lance si haut que j’imagine qu’elle fait éclater le plafond et s’envole, telle une fusée, dans un ciel vierge de nuages et de problèmes. Elle part loin et vit des aventures excitantes, des vraies, et non des chimériques, créées de toutes pièces par un produit chimique.

Je déglutis et mon pied droit commence à s’agiter tout seul. Je secoue la tête, essaye de chasser ces pensées qui me font du tort. Je dois me concentrer, me focaliser sur autre chose que ma condition. Une brise pénètre à ce moment dans ma chambre et m’apporte les effluves de la mer tout près. Mon cœur se gonfle de désirs et d’envies. Je sens presque, à force de me concentrer, l’eau salée sur mes chevilles. Une sensation presque réelle. Je me lève d’un bond et au même instant, la porte de ma chambre s’ouvre sur une jolie demoiselle. Elle est en stage et semble fragile. Plus que moi. Elle a cependant le plus joli sourire que j’ai pu apercevoir depuis longtemps. Et quand elle me l’offre, comme un rayon de soleil sur une eau turquoise, ses yeux se gorgent d’étoiles. Elle est la seule, ici, qui ne sait pas comment construire des forteresses. Peut-être que ça la détruira, peut-être pas, mais elle est la seule aussi avec qui je peux rêver et croire encore. L’espoir est un si grand mot, quand on ne connaît que le susurrement de la poudre blanche.

-Bonjour, Skye, tu vas bien, ce matin ?

Une question banale, et pourtant, je la sais sincère.

-Tu as ta journée de repos aujourd’hui, est-ce que quelqu’un vient te chercher ?

Je fronce les sourcils.

-Ce n’est pas aujourd’hui, j’ai un cours dans une heure.

Elle jette un regard rapide sur son agenda et secoue la tête.

-Non, c’est bien aujourd’hui. Alors ?

-Alors rien, dis-je en évitant sont regard mordoré. Je vais rester ici.

Je l’entends s’avancer vers moi. Je remarque la couleur de ses ballerines, magenta, puisque je fixe le plancher. La seule fantaisie qui contraste sont uniforme blanc.

- J’ai senti, en venant te voir, la brise venant de la mer. Il fait une journée splendide. J’aurais aimé marcher sur la plage, sentir le doux sable sous mes pieds, mais seule, ce n’est pas rigolo, ne crois-tu pas ? Ça te dirait de m’accompagner ?


*
Je suis assise sur le sable brûlant et je regarde les vagues venir s’échouer à mes pieds. L’eau froide me revigore. J’ai envie de rire. Il y a longtemps que ça ne m’était pas arrivé. J’ai les yeux fermés, je savoure ces vraies sensations, qui ne sont pas fausses et fabriquées par une substance nocive, quand quelque chose de dur heurte ma jambe. Je me lève et ramasse une bouteille. À l’intérieur, je vois une carte postale affichant un jardin aux fleurs multicolores. En l’ouvrant, j’ai l’impression d’être dans un film. La stagiaire s’est approchée de moi.

- Lis-là me presse-t-elle !

À la personne qui lira ses lignes,

Je sais que c’est un moyen plus qu’improbable pour arriver à mes fins, mais je ne désespère pas, je considère que tout est possible, du moment qu’on y croit suffisamment. Je cherche à envoyer cette carte postale à ma mère, mais elle me revient toujours. Je ne te connais pas, toi qui lis ces lignes, et toi aussi, tu ignore qui je suis, mais je te fais confiance. L’adresse de ma maison est sur la carte, si tu connais l’endroit, si tu sais comment m’y envoyer, je ne te demande que cette petite faveur, apporte-moi à elle. Elle ne le sait pas encore, mais elle a besoin de me lire. Tu peux être indiscret, étranger, et lire la carte. Je ne t’en voudrais pas et t’en serais même reconnaissante. J’ai eu envie de tenter la vie, voir si elle allait me répondre. Je crois que tu comprendras.

Merci infiniment.
Helly.

Maman,

Tu ne le vois pas, mais je viens de prendre une grande inspiration. Ça me fait peur de coucher ces mots ici, il y a si peu de place et moi, j’ai tant de choses à dire. Je vais bien. C’est le principal, ce que tu dois savoir et te rappeler. Je sais que tu m’en veux, je l’imagine du moins. J’aurais voulu te le dire, t’en parler, comme à l’époque où j’avais douze ans et qu’on se disait tout, c’était avant…
Cependant, je crois que tu ne m’aurais pas écoutée. Ce n’est pas un reproche, ce n’en est plus un. Je ne sais pas si je vais revenir. En fait, je ne reviendrai pas. Je sais que tu ne comprends pas. Tu dois déjà serrer les dents de désapprobation, te dire que la fuite ne règle rien, que je devrais affronter la vérité, au lieu de partir. Tu vois, c’est pour cela que je ne t’ai rien dit. Ce n’est pas fuir, ce que j’ai fait. J’ai pris la décision de voler. Je ne suis plus la petite fille qui attend après les autres : leur amour, leur approbation, leurs désirs, leurs choix, etc. Dix-sept ans que j’attends. C’est trop. Je veux vivre, maman, tu peux comprendre ça, n’est-ce pas ?

Tu recevras les résultats dans quelques jours. C’est la dernière chose que j’ai faite pour un autre personne, qui n’était pas moi. La réponse : elle m’importe peu et ne m’arrêtera pas. On ne pourra plus m’enfermer, me confiner, me posséder. Je veux être un électron libre. Un oiseau sauvage, un papillon éphémère. Voir la vie, même si c’est seulement trois brindilles et dix fleurs. Parce qu’il n’y a que ça de beau, maman. Malgré que cela puisse te paraître dérisoire et futile, même fantasque, c’est ce que je veux, c’est ce que je suis. Ne sois pas triste, je t’en prie, maman. Sois heureuse, heureuse pour moi, car je me sens plus vivante que jamais. Sèche tes larmes, ne me renie pas, conserve mon souvenir, plus beau et plus vrai que ce qu’il aurait été si j’avais attendu de savoir.
Je te réécrirai et à l’aide de ces cartes postales, je te dessinerai le chemin de ma vie. Tu me suivras et évolueras avec moi. Tu me verras grandir et tu pourras contempler, à travers mes yeux, l’immensité du bonheur que je ressens chaque jour depuis mon départ, depuis que je ne suis plus liée à ce fardeau qu’est l’incertitude.

Je t’aime, maman et je pense à toi tous les jours.

Helly.

-Il semble que tu aies une mission, à présent.

Elle me sourit et je sens, sans le comprendre réellement, que ma vie change, indiciblement.

vendredi 17 juillet 2015

Sans titre



Je me tiens en équilibre précaire sur le rebord du muret en pierre. Je tremble, non de froid, mais de peur. Je tente d’inspirer, lentement, mais mon souffle se bloque au creux de ma poitrine. Je suffoque et peste. Je me trouve d’un tel ridicule et je n’ose pas ouvrir les yeux. J’oscille, comme le pendule d’une horloge, entre allégresse et terreur. Autour de moi, des murmures pour la plupart compatissants ; je les occulte. Une brise fraîche caresse mon corps, solide et pourtant mince. Trop mince, presque cadavérique, diraient certains. Quelle importance ? Je suis ici, au bout du monde, pour une bonne raison, non pas pour me soucier de ce qu’un groupe de touriste pense de ma taille. Je dois le faire, me prouver que…

- Mademoiselle ?

J’ouvre les yeux, un peu à contrecœur, et réprime un soupir d’agacement.

- Tout va bien ?

Il me regarde de ses yeux gris moucheté de turquoise, un regard presque féminin. Il est soucieux, mais je décèle aussi une légère impatience. Je peux presque y lire un « on n’a pas toute la journée, vous savez ».

- Oui, merci.

- Vous voulez de l’aide ?

De l’aide pour quoi ? Pour enlever ma petite culotte ? Car je peux voir ça aussi, dans votre regard décoloré, ai-je envie de répliquer froidement. Je me ressaisis en secouant la tête, quelques mèches fauves virevoltant dans le mouvement. Je dois être compatissante : tous attendent après moi et n’ont pas, non, toute leur journée à me consacrer. Je fais un pas et j’entends presque la foule retenir son souffle. Va-t-elle réellement le faire ? se demandent-ils. Oui, enfin, ce n’est pas comme si j’avais le choix. Je l’ai écrit sur ce bout de papier il y a trois ans, enfin, écrit est un euphémisme, je l’ai plutôt crié, hurlé serait plus juste. Voilà le portrait : Une fête, la mienne, sept Sex on the Beach, deux Margaritas, ma jeunesse, dix-huit-ans, une idée folle et me voilà à griffonner la liste des trois choses importante à accomplir en l’espace de trois ans et ensuite, à en faire part à la terre entière, comprendre tous les invités de ma soirée et même les voisins à deux rues de chez moi.

Liste :
1. Nager avec les dauphins
2. M’inscrire à Médecin sans Frontière
3. …


Si seulement j’avais su…

- On commence à s’impatienter, à l’arrière, vous savez ? Voulez-vous redescendre ?

Redescendre sur terre ? Redescendre dans votre lit ? J’ai l’esprit confus. Vous envoyez des signaux contradictoires. Soyez plus clair, vous allez manquer votre chance. Je m’accorde encore quinze secondes de réflexion avant de prendre une décision, à savoir si oui ou non, j’abandonne le numéro trois de ma liste. C’est tout ce que vous avez pour vous décider à m’inviter.
Après avoir goûté le chant des cigales et la chaleur torride du soleil sur ma peau opaline, je murmure :

- Non.

- Bien, alors pourriez-vous, s’il vous plaît, me faire le plaisir de vous aider à le nouer correctement ?

- D’accord, nouez-le, si ça vous chante, mais solidement, ce n’est pas aujourd’hui le bon… moment.

Voilà, ma décision est prise. Je ne recule pas, malgré le plaisir que certains derrière pourraient y prendre. S’en réjouir, même. On y va.

- Vous êtes magnifique, vous savez ?

J’évite de rouler des yeux. J’aurais apprécié un compliment plus original, surtout aujourd’hui. Pas un que j’ai déjà maintes fois entendu dans ma jeune vie. C’est… Important.

- Merci.

- Voilà, c’est fermement noué ; rien à craindre, vous êtes en sécurité.

À ce mot, j’ai envie de lâcher un rire sarcastique, mais je me retiens. Ça serait déplacé, et il est gentil. Il ne sait pas, c’est ça qui est beau. De plus, je suis heureuse d’être ici, avec lui, malgré qu’il soit macho et sans originalité. Il est mignon et je me délecte. Du paysage, bien sûr, et peut-être aussi de ses yeux, pénétrants et touchants. Comme une caresse sur le bras.

J’inspire profondément. L’air passe librement dans mes poumons. Je suis prête. Je sens sa main se glisser dans la mienne, chaude, forte, avec de beaux longs doigts propres. Je m’imagine déjà ce qu’il pourrait faire…

- Je vous conduis.

Reconnaissante, je lui adresse un sourire, qu’il me rend, mille fois plus beau que l’eau qui vient s’échouer sur les immenses rochers dorés du soleil d’été. Le ciel est dégagé ; seuls quelques flocons vaporeux glissent avec paresse.

- Vous allez être sensas.

Je chuchote un merci, simple mais sincère. Le bourdonnement de la foule cesse. Je les entends se rapprocher. Ils ont compris qu’on y était enfin. Je déglutis, rejette les épaules en arrière, inspire et…

- Chambre 405, me glisse-t-il, in extremis.

… saute, tête la première, bras en croix, le vent cinglant mon visage, la mer agitée se rapprochant à une vitesse fulgurante. Et mon corps entier est parcouru d’un frisson de plaisir. Un instant suspendu, inaltérable. Mon cœur cogne fort dans ma poitrine.

Mon cœur… bat.

- Fin -

vendredi 10 juillet 2015

Lettres de rupture

3 lettres écrit sur un thème.
Sujet : Rupture. Les 3 lettres doivent être écrites par la même personne et le sujet de rupture doit être le même dans les 3 lettres. Seule la façon de l'exprimer, change.


Lettre #1

J’ai tourné, tourné et retourné les mots dans ma tête (puis j’étais un peu étourdis, comme après un tour de manège), pour essayer de les écrire ici, le plus clairement possible afin que tu comprennes. C’est difficile, puisque tu n’es pas Française et moi, je ne suis pas Japonais. Enfin, au début, il me semblait bien que la barrière de la langue (je ris de ce jeu de mots que tu ne saisiras pas, mais tant pis) ne serait pas un si grand obstacle à surmonter, mais voilà, je crois bien que si. Une montagne, un océan, un désert, bref, tu vois le tableau, non ? Je dis : comment ça va ? Et tu hoches la tête. Je te demande si tu aimes les crevettes, tu souris, un peu niaisement, je dois le dire, mais comment savoir, après, si tu es allergique ? Je trouvais ça attachant, au début, même adorable, puis quand je t’ai présentée à mes parents, qu’ils t’ont demandé ton prénom et que tu as répondu, eh bien je n’en sais foutrement rien moi, ce que tu leur as dit. Alors j’ai compris que toi et moi, finalement, ça ne fonctionnerait pas. Je te laisse ici, dans le quartier chinois (ça me semblait approprié, ils ont les mêmes yeux que toi, je suis certain qu’ils pourront t’aider) avec ce message. Ne reviens pas, d’accord ? Puis, pour que tu ne te sentes pas trop déçue, quand tu auras trouvé quelqu’un pour traduire ma lettre, sache que tu étais un bon coup, malgré tout.

Bon retour au pays.

Lettre #2

Je suis tombé amoureux dès le jour où j’ai aperçu tes longs cheveux violets. Tes yeux en forme d’amandes, mes noix préférées, m’ont tout de suite séduit. Il n’y avait aucune raison pour que ça ne fonctionne pas, toi et moi. Tu étais es si jolie, mais voilà... Tu vas trouver ça lamentable idiot, mais il m’est de plus en plus lourd, après plus de deux ans, de faire la conversation à un meuble. Je sais que tu essayes fort, que tu le voudrais tellement que tu fais de beaux progrès et sincèrement, je suis touché de tes efforts, mais voilà, ce que je considérais érotique exotique les premiers mois, est devenu d’une telle monotonie que même mes chaussettes marron ont plus de peps que nous. Tu le comprends, n’est-ce pas ? Je fais ça pour toi, je tu mérites mieux, qu’une paire de chaussettes marron, ternes et puantes. Crois bien que ça me brise le cœur, mais tu n’as rien à craindre, je réussirai, avec beaucoup de temps, à me remettre de l’énorme vide que causera ton triste départ.

P.-S. : Ta valise est près de la porte, n’oublie pas de laisser les clefs, en sortant.
P.P.-S. : Ne fais pas attention aux ratures, je n’avais pas envie de chercher n’avais plus de ruban correcteur.

Lettre #3


Je vais être bref. Je te quitte. Tu ne comprends pas un traitre mot quand je te parle. Puis, pour être honnête, ce n’est pas pour ça que je t’ai ramenée chez moi cette nuit et la nuit d’avant et celle d’avant et... Bref, tu comprends, ou pas, sûrement pas, en fait, le portrait. Tu es bien jolie, foutrement sexy, même. Je dirais que c’est pas mal pour ça que j’ai flashé sur toi. Tes seins bien hauts, ta jolie bouche en cœur, tes long cheveux violets, tes hanches... T’étais baisable, quoi, et surtout, j’étais saoul. Mais là, chérie, j’me suis un peu lassé. J’sais même pas pourquoi je couche ça sur papier. J’suis encore saoul (!!) et en plus, j’en ai fumé un gros. J’suis parti, loin dans les étoiles, et tu vois, je ne t’y retrouve pas. Puis tantôt, là, y’a Adélaïde qui vient. Écoute, tu ne pouvais rivaliser avec un tel prénom. C’était super, vraiment, merci pour toutes ces nuits et ton enthousiasme et bonne chance pour le futur.