mardi 15 septembre 2015

L'oiseau bleu

Texte d'après l'image suivante : 
 
 
L’oiseau bleu

Cette histoire, c’est une chanson, la tienne, la mienne, la vôtre. C’est une mélopée d’un temps qui est passé et qu’on n’a pas su saisir. Un murmure indifférent d’un matin de septembre où tu regardes l’été qui s’en est allé, loin, loin dans ce jadis doux qui était pourtant là hier encore. Même les oiseaux bleus qui aimaient tant chanter, s’étaient tus, comme s’ils savaient que la belle saison était morte et qu’elle ne reviendrait plus. Comme s’ils avaient compris que ça se cachait là, derrière le soleil qui lentement se levait. C’était tapi derrière ses yeux lilas, derrière son rire, derrière sa jeunesse.

On n’apprivoise pas la liberté, on la vit.

***
J’ai enfilé des collants de couleur grenat et par-dessus un petit short d’un noir profond, telle la nuit qui était encore maîtresse de nos vies et de nos rêves. J’ai complété la tenue par un chandail, des bottes et un petit chapeau. J’ai tressé mes cheveux d’un blond clair et puis j’ai pris mon sac et mon téléphone, et me suis dirigée sans bruit vers l’extérieur. J’ai regardé ma maison, ses briques, la fondation, solide. J’ai souri. Je m’étais toujours sentie en sécurité, ici, entre ces quatre murs, loin de l’agitation et du froid. Loin de ce qui aurait pu rôder dans les parages, comme un mauvais présage. Il n’y avait pas de cauchemar, seulement de l’amour. Un nid douillet où se réfugier, où s’abandonner.

Et pourtant.

J’ai descendu les marches de béton décoré de citrouilles. Je me sentais légère, presque heureuse. Le silence de cette douce matinée m’environnait, me transperçait de sa beauté évanescente. J’avais toujours aimé la nuit et tous les secrets qu’elle enfermait avec elle, jalousement. J’ai avancé lentement sur le trottoir, mes pas ont froissé les feuilles aux couleurs sombres. J’aimais ce bruit sec, l’odeur qui explosait après avoir déplacé cette nature mourante. Une odeur forte, qui nous faisait sentir vivant.

Et pourtant.

Je m’étais levée tôt exprès pour les voir, ces oiseaux de nuit qui prenaient leur envol au matin venu. Jamais personne n’avais pu confirmer avec certitude les avoir aperçus. Ils étaient comme une légende, comme cette chanson qui jouait dans mon MP3 : on n’apprivoise pas la liberté. C’était ce qu’ils représentaient pour moi, l’indépendance et la désinvolture. On pouvait presque les toucher et pourtant, ils étaient déjà loin. Inaccessible que dans notre esprit et notre cœur. Un souhait à peine formulé, à peine murmuré. Mais c’était mon anniversaire aujourd’hui et j’avais cette impudence en moi, cette foi qu’ils seraient là.

Et pourtant.

Au détour de la rue, j’aperçus le chemin qui menait à la plage. Un petit sentier jonché de feuilles mortes qui s’ouvrait sur le lac miroitant. Une beauté sauvage qui n’avait pas connu depuis un certain temps la foule imprudente et inconsciente venant ici sans écouter ni regarder. J’inspirai profondément tout en marchant lentement le long du passage, laissant l’air pur, frais et vivifiant s’infiltrer dans mes poumons. J’avais l’impression que j’étais cet arbre, cette feuille, cet endroit. Je m’arrêtai au bout du chemin à l’orée de la clairière, l’esprit rempli de béatitude. Au loin, dans ce firmament poudré de pastel et de doré, se levait lentement le jour. Mon jour.

Et pourtant.

Je fermai les yeux et levai ma main vers le ciel, imaginant toute la vie autour de moi, rêvant de tous les futurs, de tous les rires, de tous les possibles. Puis, je sentis un léger bruissement près de moi et il se posa sur ma main. L’oiseau bleu, l’oiseau imaginaire, l’oiseau sans nom. Je le sentis, sans le voir, comme une caresse, comme un frémissement. Mon cœur s’emballa, pompant mon sang jusqu’à mes joues qui s’embrasèrent. J’avais vécu ma vie pour ce moment. Toutes les fois où j’avais blessé ma peau, hurlant un désespoir plus grand que moi, j’avais rêvé de cet oiseau bleu. Celui qui expliquerait tout, celui qui ferait que ça irait. Il était là, ce matin où je soufflais mes dix-sept bougies, comme pour montrer à la face du monde qu’il existait, qu’il n’était pas qu’un conte. Une immense gratitude m’enveloppa, des larmes dévalèrent mes joues pour aller s’écraser dans le vide. C’était ce que j’avais attendu depuis si longtemps. Depuis que j’avais appris ce qu’était la vie, ce qu’elle n’offrait pas, toutes ses limites, ses pièges, ses culs-de-sac. J’étais plus que ça, cet oiseau était plus que ça, lui aussi.

- Bonjour toi.

Je plongeai la main dans mon sac, doucement, pour ne pas l’effrayer et je posai l’arme froide sur ma tempe. J’ouvris les yeux, pour enfin l’apercevoir. Son regard noyé d’éternité refléta le lilas inaltérable de ma vie. Il savait que le changement était inévitable, que ça devait être ainsi, pour toujours. Il ne prit pas son envol.
***

Trois jours plus tard

- Elle est venue ici, j’ai trouvé son cellulaire, il y a quelque chose d’inscrit :

On n’apprivoise pas la liberté, on la vit.
Fin

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