mercredi 16 septembre 2015

Coup de foudre

 Thème :  le coup de foudre. Mais ce qui va être intéressant, je pense, c'est de revisiter ce cliché de la littérature en y collant le registre comique.

Votre texte devra donc tourner autour d'un coup de foudre amoureux entre deux protagonistes. Mais votre but sera de faire passer un sentiment de ridicule, de traiter la scène avec humour et tendresse en même temps.



Il était plus de dix-neuf heures quand je suis sorti du bureau, la cravate de travers, les cheveux en épis de maïs et mon pantalon formel, gris terrasse urbaine – j’ai pris cette nuance de gris sur un étiquette de peinture chez Benjamin Moore – déchiré sur toute une longueur de ma jambe, laissant apparaître aux yeux prudes des inconnues, mes poils. HOR.REUR.

Je n’ai pas envie de vous raconter ce qui est arrivé. Après tout, c’est le truc le plus banal que vous pourriez lire. Et puis, j’ai peur que vous vous moquiez de moi, vous, lecteurs dont la vie n’a aucun intérêt, aucune saveur, aucune odeur. Vous êtes condamnés à me lire et de plus, je ne suis même pas auteur, seulement concierge. Quoi ? Un concierge ne porte pas un costume cravate ? Depuis quand ? Qui a décidé qu’il fallait porter des haillons pour récurer le plancher des petits merdeux d’avocats qui font trois mille balles la semaine. LA SEMAINE ! J’ai envie de dire, chienne de vie, mais je suis poli et de plus, je m’égare.

Premièrement, je ne m’appelle pas Cendrillon, plutôt Gaston. Ne m’appelez pas Gus, sinon je vous tue. Vous ne me croyez pas ? Allez faire un tour au cimetière, troisième rangée à votre droite quand vous rentrez, pierre tombale numéro cent quatre-vingt-quatre. Je vous attends. Alors ? Bien, parfait, je préfère cela. Donc, pour en revenir à nos singes, j’étais en train de travailler, une journée normale, je récurais le plancher de Maaaaître Soleil – c’est son surnom, car quand il sourit, il nous éblouit par toutes ses dents jaunes. On pourrait croire qu’avec trois mille dollars la semaine, il pourrait se payer un dentiste, eh bien non. Il préfère se payer une pute – Pardonnez-moi, comprenez par là une fille aux mœurs légères.

Donc, je torchais le sol de Monsieur-je-ne-vais-pas-chez-le-dentiste-parce-que-je-suis-trop-gratteux quand j’ai aperçu sur son bureau, brillant de tous les feux d’artifice d’un vingt-quatre juin, jour de la fête du Québec, vous savez, un sac en lin beige avec le signe du dollar dessus. Bordel, je n’en ai pas cru ma veine et je me suis avancé, prudemment, dans le bureau. Des petits pas, presque en sautillant, comme un écureuil (oui, j’en ai déjà vu un sautiller). Pour faire ça court, j’ai pris le sac, qui pesait sont poids, et c’est de mes yeux d’un bleu jour de brume – oui, je passe mon temps libre à découvrir de nouvelles nuances de couleurs, je trouve ça fort instructif et ça change de bleu ciel, tellement has been. Qui écrit encore bleu ciel ? Tout de suite, si j’écris bleu jour de brume, on pense à un mec mystérieux, gentleman, sexy, désirable… Mais je m’égare de nouveau. C’est donc de mes yeux bleu jour de brume que j’ai constaté qu’il n’était pas rempli de cailloux. Le sac était gonflé de cash. Plein de petits billets couleur bronze, tellement, que j’ai failli m’évanouir d’excitation. J’ai failli jouir aussi. Pardonnez ma vulgarité, mais si vous trouviez autant d’argent, vous comprendriez.

Je n’ai pas réfléchi. Je sais ce que vous vous dites : avec un prénom pareil, je ne dois pas réfléchir souvent, eh bien, vous vous trompez. Je rumine souvent. Passer la moppe, le balai, vider les poubelles, épousseter le bureau de miss-beau-cul, cela ne demande pas beaucoup de concentration cognitive. Donc, j’ai tout le temps de réfléchir à ce que je ferais, si un jour, je trouvais près d’un million de dollars dans un sac en lin avec le signe de la piasse imprimé dessus. Et ce jour est arrivé. Gloire à Dieu.

Je n’ai donc fait ni une ni deux : j’ai pris le sac et me suis mis à courir. Vite. Je me suis félicité d’avoir commencé la course à pied à quinze ans pour devenir endurant et ainsi, pouvoir impressionner les belles filles de mon école. J’ai sprinté, tel un guépard dans la prairie, aussi sauvage et noble que lui. Tête haute, corps svelte, muscles bandés, sourire de pub de dentifrice. Oui, à douze dollars de l’heure, je suis capable de me payer un foutu dentiste pour me blanchir les dents. Dans ton cul, Maître Soleil.

J’ai pris la poudre d’escampette sans demander mon reste et comme je ne regardais pas nécessairement où j’allais, je me suis pris les pieds dans cette criss de prise de courant d’aspirateur. La suite est peu glorieuse, mais je n’ai pas honte, je vous la raconte la tête haute. Je suis tombé dans les escaliers dans un badaboum infernal. Je ne suis pas certain, mais je crois que le bâtiment a vibré. Mon pantalon s’est pris dans une vis et s’est déchiré. Ma cravate, quant à elle, a bien failli m’étrangler. LITTÉRALEMENT. Ce que j’en dis, c’est qu’il faut bannir les cravates des costumes, c’est dangereux. Je me suis retrouvé les quatre fers en l’air, hennissant presque d’offuscation, mais toujours avec le sac, bien fermé sur ma poitrine. Je me suis relevé d’un bon, agile et gracieux comme une gazelle et j’ai lâché un cri victorieux. Bon d’accord, un cri nerveux, presque un couinement si on veut vraiment être précis, et je suis sorti dehors, avec mon sac à un million de dollars.

C’est là que c’est arrivé. Je n’ai pas compris sur le coup. J’étais trop décalé, un peu vaseux. Je voyais des étoiles. De belles étoiles. Puis, c’est elle que j’ai vue. Son joli visage en cœur, sa bouche mince mais sulfureuse, rehaussée d’un rouge rêve de flamant – souvenez-vous des nuanciers de couleur – ses yeux d’un violet jacinthe des bois, et son petit nez retroussé moucheté de taches de rousseur. J’en ai eu le souffle coupé. Je ne pouvais plus bouger, plus rien dire. Le sac rempli de mon million est tombé bêtement à mes pieds. J’ai ouvert la bouche et je l’ai refermée sans rien dire. Comme un poisson. Aussi con et gluant que lui. J’ai dégluti, fiévreux. Elle était la plus belle créature de la terre. Mon cœur faisait les montagnes russes dans ma poitrine. J’ai dit un truc poétique :

-Je crois que je suis amoureux.

Elle a ricané. Le plus beau ricanement qu’on pouvait imaginer et elle m’a enfilé les menottes.

-Police de Montréal, vous êtes en état d’arrestation pour vol. Veuillez-nous suivre.

-Où tu voudras, mon amour.

Fin.

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