samedi 14 mai 2016

La tour Insolite

Nuit de l'écriture
Thème : Insolite
Photo :



La tour Insolite

J’habite en haut, tout en haut de la tour Insolite. De mon perchoir fait de métal rouillé par le temps et la vie, je regarde les particules de pissenlit blanc floconneux flotter dans les bras de la brise matinale. Ils se font bercer, ballotter, guider, transporter d’un jardin à un autre, d’un moment à une fin. Je reste pourtant ici, sans tout à fait y être. Mon esprit, libre et infini, parfois réussi à passer la barrière des barreaux sombres pour danser avec les fleurs. Dans ces doux moments, j’arrive presque à les sentir. Je crois parfois entendre le rire des enfants ou peut-être n’est-ce que le vestige du mien qui fait encore écho sur l’écorce des arbres ? J’aime imaginer que c’est ça. Je deviens alors…

Immortelle. 

Ou plutôt, je deviens grande. Il m’arrive de ne plus pouvoir créer d’image dans ma tête. Je pense que c’est parce que je n’en ai pas assez vu, pas assez mangées, pas assez intégrées. J’essaye d’assembler des morceaux de casse-tête pour recréer la vérité. Tout ce que je connais, c’est cette tour, dame de fer, construite sur les vestiges d’un arbre. Une tour de Babel, une tour qui s’élève devant Dieu. Je sais que je sais. Les papillons qui virevoltent sur les notes de musiques invisibles, m’ont déjà chuchoté les secrets enfouis dans la terre.

J’étais là, avant. Dehors. 

Je sais ce que les gens murmurent, même si cela fait trop longtemps que je suis ici. Le temps, il n’est pas pareil, il s’écoule au pas d’une tortue, il s’étire en une boucle infinie. Mais au soleil, il est plus rapide, plus vicieux et on se rencontre, parfois, un soir de fin d’août, qu’il est passé. C’est un peu ce qui est arrivé avec mon histoire. Avant, je dansais dans la cours, mes nattes couleur miel de chaque côté de ma tête, ma petite robe d’un rouge framboise et les pieds nus, pour sentir l’herbe me chatouiller. Ça, c’était il y a quatre ans.

J’ai douze ans aujourd’hui.

J’attends. Je ne suis pas pressée, j’ai appris à chérir le levé du soleil et à regarder les oiseaux voler. Je peux encore m’émerveiller, malgré que parfois, je ressens un pincement au coeur. J’essaye de chasser ce sentiment, sinon, il me colle à la peau et peint le monde extérieur de noir et de gris. Alors, tout devient fané, sombre et lugubre. La peur s’empare de chaque parcelle de ce qu’il reste de moi et je ne peux plus respirer. Dans ces moments, les images reviennent hanter ma mémoire s’accrochant aux lambeaux de ma conscience et me rappelle pourquoi je suis ici.

C’était un matin de juin, il faisait beau, maman était à l’intérieur. J’ai suivi un papillon aux ailes bleues dans le champ. Il brillait si fort. Je me souviens de l’odeur des épis de maïs et du soleil qui chauffe l’herbe. Je voulais l’attraper pour le montrer à maman. Cependant, au détour du chemin, s'est autre chose qui s’est dessiné devant moi. Un monstrueux épouvantail qui m’a attrapé par la taille et m’a bâillonnée.

Ils ne m’ont pas trouvée et pourtant, mes os doivent être là, quelque part, cacher dans cette grande tour Insolite. 

J’attends qu’on les découvre pour de nouveau courir et danser dans le jardins fleuris derrière ma maison.

FIN.