lundi 29 février 2016

À une seconde de...


Le thème est le premier paragraphe ainsi qu'une chanson nulle. Moi, j'avais celle de Maître Grim. Bonne lecture.

***


Les portes claquent. La rame sursaute avant de prendre de la vitesse. Tu dévisages les passagers comme tu le fais d’habitude. Tu t’accroches au moindre détail. Tu leur imagines une vie. Tu plisses les yeux pour déchiffrer le titre d’un livre quand tu te sens écrasé(e) contre la barre. Une excuse volatile, une silhouette qui s’éloigne. Tu la suis du regard un bref instant alors qu’elle se noie dans le flot de voyageurs. Tu en reviens à la couverture quand une sonnerie retentit. Les premières notes t’arrachent un sourire, prunelles balayant ton espace proche. Qui a pu mettre ça comme sonnerie ? Tu croises un regard, échanges un sourire complice. Tu captes d’autres regards. Ils convergent singulièrement vers toi. Tu bouges un brin, la poche de ta veste venant frôler la barre. Le vibreur, discret jusque-là, se fait entendre, amplifié par le contact métallique. Tu te sens soudainement gêné(e), entrouvres les lèvres pour bafouiller une excuse, sans pouvoir fuir les regards. Ta main plonge dans ladite poche, en ressort un portable jetable que tu ne reconnais pas…

Il est d’un violet criard, strié de jaune poussin et d’orange citrouille. Un amalgame de couleurs frappantes qui agresse mes yeux habitués à la lumière ténue de la rame de métro. Je fonce les sourcils et essaye tant bien que mal d’éteindre ce bruit infernal qui sort de cet appareil tout aussi infernal. Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Une plaisanterie ?

-Vous avez un message urgent !

C’est le téléphone qui vient de m’annoncer cela, d’une voix agressive et peu compréhensive. Les gens autour de moi ont l’air moqueur. Je rougis violemment. Pourtant, ma journée a plutôt bien commencé. Je me suis levé vers les huit heures, ma copine à mes côtés, le regard coquin et rempli de promesses. Ça a été pas mal le pied et m’a mis de bonnes humeur, alors pourquoi ce truc vient tout gâcher ? Comme s’il voulait répondre à ma pensée, il se remet à brailler de plus belle :

J'me tire, me demande pas pourquoi j'suis parti sans motif
Parfois je sens mon cœur qui s'endurcit
C'est triste à dire mais plus rien n'm'attriste


Cette fois-ci, on me lança des regards plutôt énervés. Oui, bon, ça va quoi, pas besoin de me dévisager non plus. 

-Station Champs-de-Mars claironne la voix de femme.

-Tant pis, je grogne et je sors de la rame de métro.

Les gens passent autour de moi, m’envoyant parfois des insultes pour que je bouge, mais je veux faire taire ce maudit téléphone. De plus, il ne cesse de clignoter pour m’annoncer que j’ai un message vocal, mais je ne sais pas comment le récupérer, puisqu’il n’est pas à moi, ce téléphone. 

-2809.

Je sursaute et manque en lâcher l’appareil. Je lève les yeux, mais il n’y a plus personne, qu’une jeune fille avec sa mère qui grimpe les escaliers vers l’extérieur. On n’entend plus aucun bruit, que ceux en sourdine des rames de métro qui continuent leur voyage. Ça devient sinistre et surtout, je ne comprends pas pourquoi je ne jette pas tout simplement ce téléphone qui n’est pas à moi… Parce que je suis curieux, je veux savoir ce que le message dit. Je vais m’asseoir sur un banc et j'appelle la boîte vocale.

-Veuillez entrer votre code d’accès et faire le dièse par la suite. 

Je tape, sans vraiment y croire, 2809 et la voix virtuelle m’annonce : 

-Premier nouveau message : 

Elle s’appelle Loryane, elle a dix-neuf ans, de longs cheveux d’un roux profond et des yeux d’un vert qui me donne des envies perverses. Elle porte une jolie robe bain de soleil d’un jaune doux, presque indécent qui moule joliment sa poitrine menue, mais ferme.

Ma main se crispe sur le téléphone, mon souffle devient suffoqué.

Elle est amoureuse. Elle croit que la vie est éternelle et que tu l’aimeras jusqu’à son dernier souffle. Elle s’est donnée à toi, ce matin, vers les huit heures quinze, à crier ton nom et ça t’a fait jouir. Vous habitez ensemble depuis un mois et demi au 1757 rue des Érables Elle étudie en théâtre, toi en communication. Vous avez un chat qui se prénomme Cerise et aujourd’hui, c’est ton anniversaire. Tu as vingt ans. Joyeux anniversaire !

-Pour effacer le message, faites le un, pour le sauvegarder, le 9. 

Ma bouche est sèche et c’est d’une main tremblante que j’appuie sur le #9. 

-Message suivant.

La même voix sinistre :

Tu ne l’aimes certainement pas, tu es si jeune pour te contenter d’une seule, mais souhaites-tu sa mort sur ta conscience ? Sache que je ne me contenterai pas de cela, je la baiserai avant, jusqu’à ce que ce soit mon nom, qu’elle hurle. Je lui ferai des choses qu’elle ne connaît pas, je lui enlèverai l’envie de rire, l’envie de vivre et je la pousserai jusqu’à ce qu’elle croit que la mort est la plus belle chose qui peut lui arriver. Elle la désirera tant, que je lui donnerai l’arme en cadeau, charitable âme que je suis, et je l’aiderai à la mettre dans sa bouche et je regarderai sa cervelle exploser.

Je manque échapper le téléphone tant mes mains sont moites. Est-ce une blague ? 
Je regarderai ses yeux gorgée de vie, peu à peu se ternir du néant de la mort. De la fin. 

-Pour effacer le message, faites le un, pour le sauvegarder, le 9. 

Mon cœur palpite nerveusement contre ma poitrine. D’une main tremblante, j’appuie sur le neuf, presque inconsciemment. 

-Troisième message : 

Tu as une heure pour m’apporter les dix mille dollars que ton père me doit. Sinon, c’est toi qui payes pour lui, mais surtout elle. Appelle un seul flic et je la fais souffrir avant de la tuer et de le jeter dans le fleuve. Dans une heure, devant le hangar seize.
-Fin des nouveaux messages. 

Le téléphone émet un bruit étrange et je vois une fumée opaque sortir de l’arrière. La batterie vient de griller, emportant avec elle, les dernières preuves qui pouvaient sauver Loryane. Sonné, j’essaye de me lever, mais je titube et dois me retenir à une colonne de béton. Le quai recommence à se remplir de gens. Je veux croire à une plaisanterie de très mauvais goût, mais une partie de moi sait que c’est vrai. J’ai entendu une discussion entre mon père et son avocat il y a trois jours de ça. J’étais venu chercher un livre à la maison et avais surpris leur entretien. Il était question d’argent et de trafic de drogue. Encore une fois, mon minable de père s’est mis dans une situation impossible et par sa faute, quelqu’un que j’aime beaucoup est en danger.  

Il faut que je sorte d’ici au plus vite, avant de suffoquer. Je cours dans l’escalier, bouscule une vielle dame qui se rattrape de justesse à la rampe, contourne deux gamins qui n’avancent pas, trop absorbés par leurs Iphone et finis par sortir à l’extérieur, sous un soleil magnifique. Les bruits de la ville me happent de plein fouet et je me sens piégé. Je regarde l’horloge en face de moi qui affiche onze heures. Une heure pour récupérer dix mille dollars, c’est impossible. À moins que…

***

-Il ne viendra pas, il n’aura pas mordu à l’hameçon, votre fils ne vous sauvera pas, Albert. 

L’homme âgé d’une quarantaine d’années regarde le noir en face de lui. Il est jeune, plutôt beau gosse, bien baraqué et aurait pu faire une carrière fulgurante, si ça n’avait été de cette chanson pourrie au titre aussi fade que ridicule : j’me tire. Aujourd’hui, il joue dans la cour des grands et vend de la drogue à ceux qui ont les rêves en berne. Albert l’a rencontré à une soirée de bienfaisance. Ils ont discuté jusqu’à tard dans la nuit et pour montrer sa bonne foi en leur nouvelle amitié, Maître Gims, comme il se fait appeler, lui a présenté Star. La suite, n’est qu’enchainement de mauvaises décisions qui 'ont mené à aujourd’hui, où Maître Gims, le fait chanter.

-Il viendra. Il l’aime. 

Albert se passe nerveusement la main dans les cheveux qu’il teint pour ne pas qu’on voit le gris naissant. Ainsi, il peut encore se taper les jeunes filles bien fermes du début de la vingtaine. Pourquoi se contenter de son épouse, vieillissante et plus aussi fraîche, quand il a tant d’autres possibilités. Il aime sortir, il aime boire et une fois de temps en temps, il aime sniffer une ligne de coke. Ça le rend invulnérable et éternel, ce rythme de vie, et lui fait oublier que depuis bientôt trois mois, son empire est en faillite. Mais il a trouvé une solution, il faut seulement qu’il puisse rembourser Maître Gims, avant. Avant que les photos ne sortent, avant que les journaux n’apprennent le scandale et la faillite et traînent son nom dans la boue, comme un vulgaire cochon. Il ne lui faut qu’un peu plus de temps… 

-Quinze minutes, Albert. Je suis désolé. 

Albert serre les poings et fracasse le mur devant lui. Une rigole de sang coule le long de son bras. Son PD de fils va-t-il une fois de plus, le décevoir ?

***

Il fait noir, plus noir que dans mes rêves, la nuit, quand je me réveille en hurlant. Ici, je ne sens pas la vie, je ne l’entends pas, je ne la vois pas. Mes mains sont attachées, mes chevilles aussi. Est-ce que nous sommes vendredi ? Quelle heure est-il ? Vont-ils revenir ? Pourquoi suis-je ici ? Pourquoi ma tête me fait si mal ? J’ai du mal à respirer, du mal à aligner deux pensées cohérentes. J’ai peur. Tellement peur. Alexandre, où es-tu ? Amour…

-Il y a quelqu’un ?

Ma voix me semble désarticulée, rauque, cassée, comme si ce n’était pas la mienne. Il n’y a pas d’écho, pas un son pour me répondre. Le noir l’engloutit aussitôt que je l’utilise. Où suis-je ? 

-Répondez-moi, s’il vous plaît, aidez-moi !

Mais seul le silence, moqueur, me répond. Mon cœur se débat avec frénésie contre ma cage thoracique. J’ai la bouche sèche, j’ai soif et les liens me démangent la peau. J’ai chaud, aussi, il règne ici une moiteur accablante, ma robe me colle à la peau, je le sens et ça me rend mal à l’aise. Est-ce qu’ils m’ont oubliée ici ? Que va-t-il m’arriver ? Des larmes de terreur surgissent de mes yeux sans que je m’en rende compte et glissent le long de mes joues. La peur me vrille les tripes. La mort est partout. J’ouvre la bouche pour crier, quand la porte s’ouvre. Un homme rentre et j’aperçois un rayon de lumière. Mon cœur se gonfle d’espoir.

-Albert !

Derrière lui, un homme à la peau noire pénètre dans la pièce. Un sourire dément déforme ses traits. 

-Bonjour, Loryane, je m’appelle Maître Grims et n’aie pas peur, nous allons bien nous amuser.

-Albert, fais-je, un peu paniquée. 

Il détourne les yeux et ferme lentement la porte.

-Albert, je crie cette fois-ci. 

La lumière disparaît derrière sa lâcheté. Au même moment, je sens une main qui caresse doucement ma cuisse et remonte sournoisement vers….

-ALBERT !

***

-Ne bouge pas, jeune homme, sinon je tire. 

J’incline la tête, vaincu. Rien ne s’est déroulé comme prévu et tout ce sang qui coule à mes pieds, tous ces gens qui n’ont rien demandé, qui étaient là, au mauvais moment, tous ces morts… Un haut-le-cœur me secoue et je dégueule toute cette horreur qui s’imprègne sur ma rétine, sur mon âme. Mon plan était si simple pourtant. Récupérer une arme à feu, pour avoir l’air plus méchant, que pour intimider, pas pour tuer, me rendre dans une banque et voler l’argent. Un plan foireux, mais avais-je une autre solution ? Mais rien n’est arrivé comme prévu, puis, il y a eu ce jeune homme qui a cru que jouer les héros le rendrait célèbre. Il gît maintenant devant moi, une balle dans le front. Que pouvais-je faire ? 

-Loryane… Amour. 

Je me lève lentement. Je suis désolé.

-Monsieur, restez couché, sinon je tire. 

***
-Salope, tu vas le crier mon nom !

Je reçois la gifle si forte, que ma tête bascule violemment vers l’arrière. Je sens ma lèvre s’ouvrir et le sang jaillit dans ma bouche. Je ne sens plus la douleur, je suis anesthésiée, je suis ailleurs. J’ai l’impression d’errer entre deux mondes, de ne plus être tout à fait ici. Je me surprends à espérer que je vais mourir. Même ses doigts en moi, ne me dérangent plus. Ce n’est pas moi, qui suis là, je ne suis plus Loryane, je ne suis plus… Rien. Tout ce que je réussis à murmurer encore et encore, c’est son nom.

-Alexandre… Amour.

Il me frappe de nouveau.

-Je vais te faire oublier son nom, je vais te faire oublier son existence.
Il insère sa langue dans ma bouche et j’ai un sursaut de lucidité. De toutes mes forces, je mords. L’entendre hurler de douleur me procure une telle satisfaction, que j’éclate d’un rire lugubre. 

-Tu vas regretter, Loryane, je te le promets, chuchote-t-il. 

Je ne le vois pas, je ne peux même pas deviner les courbes de son corps, mais je sens sa respiration, tout près de moi et je lève les yeux, m’imaginant les vrillant aux siens.

-Alexandre… Amour.

***

Ils sont en route, Loryane. Je ne sais comment c’est possible, mais j’ai pu leur expliquer et ils ont regardé les caméras de sécurité, ont vu celui qui a déposé le téléphone dans ma poche, m’ont cru. Ils arrivent. Tiens bon… Amour. 
***

-Tu peux mettre un terme à tout ça. C’est facile, j’ai armé le chien, il ne te reste qu’à tirer. Oseras-tu ? Ou préfères-tu admettre que tu aimes quand je te touche là…


***

Ma dignité gît à mes pieds, mon cœur est lourd, tellement lourd. J’ai peine à respirer, peine à comprendre ce qui m’est arrivé. On m’a pris mon âme, ma vie. Je n’existe plus, je ne suis qu’une enveloppe. Je n’ai plus de voix pour murmurer ton nom que j’ai oublié de toute façon. Je ne suis que sa chose, sa possession. Je suis une poupée désarticulée. L’espoir est mort quand il a réussi à faire vibrer, en moi, un plaisir malsain. Mon corps à répondu à ses caresses, mon cœur s’est trompé quand il s’est emballé d’amour, croyant ce qui n’était pas. Oui, j’ai crié son nom et j’ai sentir son plaisir se répandre en moi jusqu’à tuer mon âme. 

L’arme est glaciale entre mes mains, mais pas autant que mon corps. 
Te souviendras-tu de moi ?

J’avais tant de rêves, tu sais ? J’aimais rire, j’aimais me réveiller à tes côtés, j’aimais sentir tes doigts sur ma peau nue. J’avais l’innocence et l’arrogance de ma jeunesse. J’avais les roses à mes pieds. 

Il a tout pris.

Te souviendras-tu de moi, quand je serai partie ?

Dis-moi, Alexandre ? Amour. 

M’aimeras-tu, toujours ? Même si là, je ne suis qu’une enveloppe vide qui a eu du plaisir avec un autre. Aussi horrible que cela puisse être, quand tu apprendras la vérité, car ils te la diront, sauras-tu me rendre éternelle ?
Je veux vivre, amour, mais il m’a tout pris. Il m’a dépossédée de moi, de mon essence, de mon amour. Si je ne veux pas devenir un monstre, je dois le faire.

***

-Police, éloignez-vous de la porte, nous allons la défoncer ! 

***

Je tire. 

FIN

samedi 6 février 2016

20 000 verres sous les cendres

-Combien de temps ?
-Moins de trois minutes.
-Il ne viendra pas. C’est trop tard.
-Il l’aime, il sera là, attendons encore.
-Les jeux sont faits, deux minute quarante.
-Il neigera à minuit.


***
Il foule à peine le trottoir, ses sens sont décuplés, son cœur palpite furieusement contre sa poitrine. Une lance de feu lui brûle la gorge. Il voudrait reprendre son souffle sans avoir la sensation d’avaler des lames de rasoir. Il l’entend, dans sa tête, le supplier de se dépêcher. C’est pour bientôt.

Il neigera à minuit.

Il doit l’arrêter.


***
Elle se regarde dans le miroir et peine à reconnaître les traits qui sont les siens. Ils l’ont salement amoché.

Pour s’amuser.

Pour le punir.

De ses longs doigts fins, elle sillonne le chemin des cicatrices sur sa joue vers sa lèvre inférieure enflée et tuméfiée et de sa tempe vers son arcade sourcilière gauche. Les plaies sont encore vives, dessins d’un enfant qui n’aurait pas su retenir sa colère. C’est un outrage à sa beauté, à sa jeunesse. La porte s’ouvre. Ils sont là. Silhouettes vêtues de costumes de carnaval aux visages peinturés de faux sourires rouge framboise.

Grotesque. 


-C’est l’heure.
***
L’horloge sonne son premier coup de minuit. Plus que onze. Sa cape virevolte derrière lui, tandis qu'il court, le cœur lourd, les yeux noyés de désespoir.

-J’arrive, amour.

Des passants se retournent, lui lancent des regards inquiets. Il leur fait peur. Mais ils ne savent pas ce qu’est la réelle terreur, ils ne comprennent même pas le sens de ce mot, ils sont si insignifiants dans leurs naïvetés, si… Ridicule. Il ne daigne même pas les regarder. Il tourne le coin de la rue, dérape sur une plaque de glace, se rattrape de justesse à un poteau de lampadaire qui verse sa lumière crue sur l’asphalte traitresse.

Plus que dix secondes.

***
-Tu sais que tu étais mignonne dans ton genre ?
-Elle le sera encore plus dans neuf secondes.
-Il n’est pas venu, finalement. Il l’a laissé, il l’a abandonné.
-Non, il est là, tout près, mais il sera trop tard d’une seconde.
-La vie n’est que des moments manqués. Il aurait dû faire le choix de nous la donner.
-Nous l’avons.
-Oui, mais plus pour longtemps.
-Et lui, il ne l’aura plus jamais.
-Il neigera.
-À minuit.

***
Ils l’ont vêtue d’une robe blanche, ont brossé sa longue chevelure couleur des blés au soleil d’été et ont noué des rubans blanc et gris autour de ses poignets. Elle est pieds nus sur le haut de l’immeuble à plus de cinquante étages. Aucune lune ne brille dans le ciel noir. Elle cherche des étoiles, pour se rassurer, pour se sentir moins seule et elle ne retrouve que le néant. Un puits de ténèbres, prêt à l’engloutir. Prêt à la prendre. Elle entend presque sont chant mortel. C’est une litanie des âges anciens, des jours sans lumières.

Tout ça pour trois millions de dollars.

Tout ça pour rien.

***
Il déglutit, sentant toutes ses forces l'abandonner. Son âme sait déjà ce que son cœur refuse d’admettre. Il a joué et il a perdu. Un coup de roulette de trop où il a placé l’amour en gage. Trois millions et leur liberté, trois millions ou la mort. Noir, rouge, noir, rouge… Noir. Échec et mat.
***
Le vent fait claquer sa robe sur ses jambes nues. Le monde est à ses pieds. Tel une princesse à la couronne dorée, mais au destin funeste. Ils ne la voient pas, n’ont aucune idée de ce qui se trame juste au-dessus d’eux. Ils sont aveugles et bornés, par choix. Qu’est-ce sa vie, à comparaison de la leur ? Elle ne sera qu’un fait divers parmi tant d’autres, demain, sur les pages grises des journaux. Que de l’encre et des souillures sur les doigts.

Un désagrément qu’on aura vite fait de jeter.

Il va neiger à minuit.


***
-Ça va être magnifique.
-Sublime.
-Vas-y, elle est prête, lui aussi, il vient d’arriver.
-Faisons honneur à leurs rangs.
-À toi la charge d’écrire l’histoire de demain.
-Un plaisir si simple.
-Pour un mauvais numéro.

***
L’explosion rampa le long de l’immense tour, se faufila jusqu’au sol et éclata si fort que tous ceux qui étaient à moins de dix mètres, furent tuer sur-le-champ. L’immense souffle chaud le propulsa cent mètres plus loin, arrachant sa valise de ses mains, écrasant sous son poids sa jambe droite et brûlant la moitié de son visage. Il voulut ouvrir la bouche pour hurler, puis, il la vit. Ange auréolé de blanc qui se brisa en 20 000 morceaux de verre et de confettis sous une avalanche de cendres. Ils l’avaient fait sauter de l’édifice avec des paillettes blanches scintillantes et l’explosion était d’une telle violence qu’il entendit des centaines de murmures qui disaient :

-Il neige, regardez, il neige.

FIN.