lundi 28 septembre 2015

1-2-3-4

Thème :


1-2-3-4

Je tourne le coin de la rue, le dos droit, le pas décidé, le regard vide, reflet intersidéral de mon existence. Un puits sans fin, éclaboussé de ténèbres, nourrit de haine. La mienne, la vôtre, celle, plus qu’incertaine, du Ciel. Je n’en ai rien à faire, de votre gentillesse à mon égard, je n’en ai rien à faire de vos sourires, de vos accolades amicales, comme si nous étions proches. Vous ne me regardez pas, car si tel était le cas, vous sauriez.

Un ciel violacé s’épanouit peu à peu, chassant les derniers vestiges d’une journée éclatante. Je me sens renaître, comme si le noir circulait dans mes veines. Comme si j’étais ce noir. Union de deux entités qui se reconnaissent et s’associent, jouant un jeu que même la vie ne peut empêcher. J’ai soif, si vous saviez.

Ma bouche est pâteuse, mon cœur fébrile, mon corps tendu à l’extrême. Il y a longtemps que je l’ai repérée, longtemps que le destin s'est scellé d’une tête macabre. Le temps qu’il te reste est comme une mélodie qui commence doucement, mais qui s’accélèrent plus les secondes s’écoulent. Tout est compté. Un, deux, trois, quatre.

Tu es pétrifiée sur place dans une position grotesque. Tes lèvres, tantôt rubescentes, sont à présent couleur poussière d'os et tes yeux grenat supplient les miens, ne rencontrant pourtant que deux trous dénués de vie. Je ne connais pas ton désespoir, je ne le ressens pas. Tout ce qui me fait jouir, c’est les coups de couteau : onze, douze, treize, quatorze.

Puis, ton souffle qui s’effrite doucement dans un murmure presque enfantin.

mercredi 16 septembre 2015

Coup de foudre

 Thème :  le coup de foudre. Mais ce qui va être intéressant, je pense, c'est de revisiter ce cliché de la littérature en y collant le registre comique.

Votre texte devra donc tourner autour d'un coup de foudre amoureux entre deux protagonistes. Mais votre but sera de faire passer un sentiment de ridicule, de traiter la scène avec humour et tendresse en même temps.



Il était plus de dix-neuf heures quand je suis sorti du bureau, la cravate de travers, les cheveux en épis de maïs et mon pantalon formel, gris terrasse urbaine – j’ai pris cette nuance de gris sur un étiquette de peinture chez Benjamin Moore – déchiré sur toute une longueur de ma jambe, laissant apparaître aux yeux prudes des inconnues, mes poils. HOR.REUR.

Je n’ai pas envie de vous raconter ce qui est arrivé. Après tout, c’est le truc le plus banal que vous pourriez lire. Et puis, j’ai peur que vous vous moquiez de moi, vous, lecteurs dont la vie n’a aucun intérêt, aucune saveur, aucune odeur. Vous êtes condamnés à me lire et de plus, je ne suis même pas auteur, seulement concierge. Quoi ? Un concierge ne porte pas un costume cravate ? Depuis quand ? Qui a décidé qu’il fallait porter des haillons pour récurer le plancher des petits merdeux d’avocats qui font trois mille balles la semaine. LA SEMAINE ! J’ai envie de dire, chienne de vie, mais je suis poli et de plus, je m’égare.

Premièrement, je ne m’appelle pas Cendrillon, plutôt Gaston. Ne m’appelez pas Gus, sinon je vous tue. Vous ne me croyez pas ? Allez faire un tour au cimetière, troisième rangée à votre droite quand vous rentrez, pierre tombale numéro cent quatre-vingt-quatre. Je vous attends. Alors ? Bien, parfait, je préfère cela. Donc, pour en revenir à nos singes, j’étais en train de travailler, une journée normale, je récurais le plancher de Maaaaître Soleil – c’est son surnom, car quand il sourit, il nous éblouit par toutes ses dents jaunes. On pourrait croire qu’avec trois mille dollars la semaine, il pourrait se payer un dentiste, eh bien non. Il préfère se payer une pute – Pardonnez-moi, comprenez par là une fille aux mœurs légères.

Donc, je torchais le sol de Monsieur-je-ne-vais-pas-chez-le-dentiste-parce-que-je-suis-trop-gratteux quand j’ai aperçu sur son bureau, brillant de tous les feux d’artifice d’un vingt-quatre juin, jour de la fête du Québec, vous savez, un sac en lin beige avec le signe du dollar dessus. Bordel, je n’en ai pas cru ma veine et je me suis avancé, prudemment, dans le bureau. Des petits pas, presque en sautillant, comme un écureuil (oui, j’en ai déjà vu un sautiller). Pour faire ça court, j’ai pris le sac, qui pesait sont poids, et c’est de mes yeux d’un bleu jour de brume – oui, je passe mon temps libre à découvrir de nouvelles nuances de couleurs, je trouve ça fort instructif et ça change de bleu ciel, tellement has been. Qui écrit encore bleu ciel ? Tout de suite, si j’écris bleu jour de brume, on pense à un mec mystérieux, gentleman, sexy, désirable… Mais je m’égare de nouveau. C’est donc de mes yeux bleu jour de brume que j’ai constaté qu’il n’était pas rempli de cailloux. Le sac était gonflé de cash. Plein de petits billets couleur bronze, tellement, que j’ai failli m’évanouir d’excitation. J’ai failli jouir aussi. Pardonnez ma vulgarité, mais si vous trouviez autant d’argent, vous comprendriez.

Je n’ai pas réfléchi. Je sais ce que vous vous dites : avec un prénom pareil, je ne dois pas réfléchir souvent, eh bien, vous vous trompez. Je rumine souvent. Passer la moppe, le balai, vider les poubelles, épousseter le bureau de miss-beau-cul, cela ne demande pas beaucoup de concentration cognitive. Donc, j’ai tout le temps de réfléchir à ce que je ferais, si un jour, je trouvais près d’un million de dollars dans un sac en lin avec le signe de la piasse imprimé dessus. Et ce jour est arrivé. Gloire à Dieu.

Je n’ai donc fait ni une ni deux : j’ai pris le sac et me suis mis à courir. Vite. Je me suis félicité d’avoir commencé la course à pied à quinze ans pour devenir endurant et ainsi, pouvoir impressionner les belles filles de mon école. J’ai sprinté, tel un guépard dans la prairie, aussi sauvage et noble que lui. Tête haute, corps svelte, muscles bandés, sourire de pub de dentifrice. Oui, à douze dollars de l’heure, je suis capable de me payer un foutu dentiste pour me blanchir les dents. Dans ton cul, Maître Soleil.

J’ai pris la poudre d’escampette sans demander mon reste et comme je ne regardais pas nécessairement où j’allais, je me suis pris les pieds dans cette criss de prise de courant d’aspirateur. La suite est peu glorieuse, mais je n’ai pas honte, je vous la raconte la tête haute. Je suis tombé dans les escaliers dans un badaboum infernal. Je ne suis pas certain, mais je crois que le bâtiment a vibré. Mon pantalon s’est pris dans une vis et s’est déchiré. Ma cravate, quant à elle, a bien failli m’étrangler. LITTÉRALEMENT. Ce que j’en dis, c’est qu’il faut bannir les cravates des costumes, c’est dangereux. Je me suis retrouvé les quatre fers en l’air, hennissant presque d’offuscation, mais toujours avec le sac, bien fermé sur ma poitrine. Je me suis relevé d’un bon, agile et gracieux comme une gazelle et j’ai lâché un cri victorieux. Bon d’accord, un cri nerveux, presque un couinement si on veut vraiment être précis, et je suis sorti dehors, avec mon sac à un million de dollars.

C’est là que c’est arrivé. Je n’ai pas compris sur le coup. J’étais trop décalé, un peu vaseux. Je voyais des étoiles. De belles étoiles. Puis, c’est elle que j’ai vue. Son joli visage en cœur, sa bouche mince mais sulfureuse, rehaussée d’un rouge rêve de flamant – souvenez-vous des nuanciers de couleur – ses yeux d’un violet jacinthe des bois, et son petit nez retroussé moucheté de taches de rousseur. J’en ai eu le souffle coupé. Je ne pouvais plus bouger, plus rien dire. Le sac rempli de mon million est tombé bêtement à mes pieds. J’ai ouvert la bouche et je l’ai refermée sans rien dire. Comme un poisson. Aussi con et gluant que lui. J’ai dégluti, fiévreux. Elle était la plus belle créature de la terre. Mon cœur faisait les montagnes russes dans ma poitrine. J’ai dit un truc poétique :

-Je crois que je suis amoureux.

Elle a ricané. Le plus beau ricanement qu’on pouvait imaginer et elle m’a enfilé les menottes.

-Police de Montréal, vous êtes en état d’arrestation pour vol. Veuillez-nous suivre.

-Où tu voudras, mon amour.

Fin.

mardi 15 septembre 2015

L'oiseau bleu

Texte d'après l'image suivante : 
 
 
L’oiseau bleu

Cette histoire, c’est une chanson, la tienne, la mienne, la vôtre. C’est une mélopée d’un temps qui est passé et qu’on n’a pas su saisir. Un murmure indifférent d’un matin de septembre où tu regardes l’été qui s’en est allé, loin, loin dans ce jadis doux qui était pourtant là hier encore. Même les oiseaux bleus qui aimaient tant chanter, s’étaient tus, comme s’ils savaient que la belle saison était morte et qu’elle ne reviendrait plus. Comme s’ils avaient compris que ça se cachait là, derrière le soleil qui lentement se levait. C’était tapi derrière ses yeux lilas, derrière son rire, derrière sa jeunesse.

On n’apprivoise pas la liberté, on la vit.

***
J’ai enfilé des collants de couleur grenat et par-dessus un petit short d’un noir profond, telle la nuit qui était encore maîtresse de nos vies et de nos rêves. J’ai complété la tenue par un chandail, des bottes et un petit chapeau. J’ai tressé mes cheveux d’un blond clair et puis j’ai pris mon sac et mon téléphone, et me suis dirigée sans bruit vers l’extérieur. J’ai regardé ma maison, ses briques, la fondation, solide. J’ai souri. Je m’étais toujours sentie en sécurité, ici, entre ces quatre murs, loin de l’agitation et du froid. Loin de ce qui aurait pu rôder dans les parages, comme un mauvais présage. Il n’y avait pas de cauchemar, seulement de l’amour. Un nid douillet où se réfugier, où s’abandonner.

Et pourtant.

J’ai descendu les marches de béton décoré de citrouilles. Je me sentais légère, presque heureuse. Le silence de cette douce matinée m’environnait, me transperçait de sa beauté évanescente. J’avais toujours aimé la nuit et tous les secrets qu’elle enfermait avec elle, jalousement. J’ai avancé lentement sur le trottoir, mes pas ont froissé les feuilles aux couleurs sombres. J’aimais ce bruit sec, l’odeur qui explosait après avoir déplacé cette nature mourante. Une odeur forte, qui nous faisait sentir vivant.

Et pourtant.

Je m’étais levée tôt exprès pour les voir, ces oiseaux de nuit qui prenaient leur envol au matin venu. Jamais personne n’avais pu confirmer avec certitude les avoir aperçus. Ils étaient comme une légende, comme cette chanson qui jouait dans mon MP3 : on n’apprivoise pas la liberté. C’était ce qu’ils représentaient pour moi, l’indépendance et la désinvolture. On pouvait presque les toucher et pourtant, ils étaient déjà loin. Inaccessible que dans notre esprit et notre cœur. Un souhait à peine formulé, à peine murmuré. Mais c’était mon anniversaire aujourd’hui et j’avais cette impudence en moi, cette foi qu’ils seraient là.

Et pourtant.

Au détour de la rue, j’aperçus le chemin qui menait à la plage. Un petit sentier jonché de feuilles mortes qui s’ouvrait sur le lac miroitant. Une beauté sauvage qui n’avait pas connu depuis un certain temps la foule imprudente et inconsciente venant ici sans écouter ni regarder. J’inspirai profondément tout en marchant lentement le long du passage, laissant l’air pur, frais et vivifiant s’infiltrer dans mes poumons. J’avais l’impression que j’étais cet arbre, cette feuille, cet endroit. Je m’arrêtai au bout du chemin à l’orée de la clairière, l’esprit rempli de béatitude. Au loin, dans ce firmament poudré de pastel et de doré, se levait lentement le jour. Mon jour.

Et pourtant.

Je fermai les yeux et levai ma main vers le ciel, imaginant toute la vie autour de moi, rêvant de tous les futurs, de tous les rires, de tous les possibles. Puis, je sentis un léger bruissement près de moi et il se posa sur ma main. L’oiseau bleu, l’oiseau imaginaire, l’oiseau sans nom. Je le sentis, sans le voir, comme une caresse, comme un frémissement. Mon cœur s’emballa, pompant mon sang jusqu’à mes joues qui s’embrasèrent. J’avais vécu ma vie pour ce moment. Toutes les fois où j’avais blessé ma peau, hurlant un désespoir plus grand que moi, j’avais rêvé de cet oiseau bleu. Celui qui expliquerait tout, celui qui ferait que ça irait. Il était là, ce matin où je soufflais mes dix-sept bougies, comme pour montrer à la face du monde qu’il existait, qu’il n’était pas qu’un conte. Une immense gratitude m’enveloppa, des larmes dévalèrent mes joues pour aller s’écraser dans le vide. C’était ce que j’avais attendu depuis si longtemps. Depuis que j’avais appris ce qu’était la vie, ce qu’elle n’offrait pas, toutes ses limites, ses pièges, ses culs-de-sac. J’étais plus que ça, cet oiseau était plus que ça, lui aussi.

- Bonjour toi.

Je plongeai la main dans mon sac, doucement, pour ne pas l’effrayer et je posai l’arme froide sur ma tempe. J’ouvris les yeux, pour enfin l’apercevoir. Son regard noyé d’éternité refléta le lilas inaltérable de ma vie. Il savait que le changement était inévitable, que ça devait être ainsi, pour toujours. Il ne prit pas son envol.
***

Trois jours plus tard

- Elle est venue ici, j’ai trouvé son cellulaire, il y a quelque chose d’inscrit :

On n’apprivoise pas la liberté, on la vit.
Fin

mardi 8 septembre 2015

Apparences

 Consigne : Écrire 3 paragraphes pour créer un suspense et le 3e paragraphe doit se terminer sur la découverte d'un corps.


Tu es superbe aujourd’hui. Tu as noué tes longs cheveux d’un blond-roux en une queue-de-cheval sophistiquée. Tu portes une petite robe soleil, d’un blanc innocent, qui fait naître en moi, encore une fois, ce désir à peine dissimulable. Au début, je passais par ici en venant travailler, espérant t’y croiser l’espace d’une seconde éphémère. Le temps que je fasse un pas et tourne le coin de la rue. Juste un petit détour. À présent, je suis là, tous les jours, tapi dans l’ombre de mon bouquin, attendant que tu honores l’endroit de ta chaleureuse présence. Un rayon de soleil dans ma journée terne comme un discours de politicien. Tu es assise sur la terrasse, offrant ta peau couleur caramel à la douce lueur de l’astre de l’été. Je souris, comme un enfant à qui on viendrait d’offrir en cadeau la plus savoureuse des sucreries. J’essaye de trouver une parcelle de courage en moi pour t’aborder mais à ce moment, ton téléphone vibre à côté de toi. Tu regardes le message sur l’écran et tu fais une moue adorable. Malheureusement pour moi, tu te lèves et emballes tes affaires pour quitter le café, sans un regard en arrière.

Tu es partie depuis trois secondes et déjà, le manque. Insupportable. Je me lève à mon tour, un peu brusquement, manquant de renverser ma chaise. J’enfile mon chapeau gris et me précipite à ta suite, oubliant sur le coin de la table le livre acheté dans une librairie du quartier. J’ai le temps de t’apercevoir tourner le coin de la rue Mason. C’est ton foulard, rouge coquelicot, qui m’a susurré à l’oreille le chemin de tes pas. Je t’aperçois au loin, tu marches d’une foulée rapide. Décidée. Je te suis à bonne distance. Je n’ai pas peur de te perdre, ce rouge indécent à ton cou me guide à travers la marée d’employés du lundi matin, neuf heures. Ils vont tous travailler, mais toi, où te diriges-tu ainsi ? Tu es mon énigme. Je n’ai rien pu discerner à ton sujet, sinon que tu bois du thé vert chaque fois que tu viens dans ce café. Toujours. Les battements de mon cœur s’accélèrent. Cette poursuite, ce jeu du chat et de la souris, commence à m’exciter. Il y a des semaines que j’attends et que j’attends encore. Une espérance insoutenable, douloureuse, cruelle. Tu ne m’as pas remarqué, pas une seule fois, et moi, je rêve de toi toutes les nuits. Toutes les nuits. Peux-tu imaginer cela ? Tu as cette importance, ce privilège. Mes nuits sont à toi, inconnue aux yeux turquoise, alors où vas-tu, si rapidement ? Si décidée ? Pourquoi portes-tu tous les jours ce carré de soie rouge à ton cou ? Pour m’exciter ? Pour te faire désirer ? Violer ?

Je t’ai perdue. Je suis paniqué. J’ai une boule au fond de la gorge qui me donne envie de vomir. Où es-tu ? Dans quelle maison t’es-tu engouffrée ? J’étais à ce feu rouge, tu étais sur l’autre côté du trottoir. Tu marchais vers l’est, vers les maisons huppées. Fille de riche, alors. Puis, hypnotisé par tout ce rouge et ce blanc, moucheté d’or, j’ai fait un pas, parce que tu es la seule pour moi qui compte, que te perdre m’est insupportable, et j’ai entendu un klaxon. Bruit agressif qui m’a réveillé et m’a fait détourner les yeux une demi-seconde. Une demi-seconde où tu t’es évaporée. Dissipée. Je déglutis, essayant de faire taire l’affolement qui consume chaque cellule de mon être. Je vais défaillir. Je vais te tuer. Les muscles de mes bras se bandent. Et pas qu’eux. Je viens d’apercevoir l’objet de ma jouissance. Le foulard. Le tien. Sur les marches de béton d’une maison trop belle pour toi. Fille de riche. Je m’aventure jusqu’à la porte, récupère le carré soyeux. Rouge insolent entre mes doigts tremblant d’excitation. J’ouvre la porte que tu n’as pas verrouillée, car bien sûr, tu sais que je viendrais. Seras-tu là, sur le lit, offerte ? La porte grince légèrement, mes yeux se posent sur toi, rayonnante ; sur ton sourire, doux ; sur tes yeux, moqueurs ; sur l’homme : mort.

Un foulard rouge autour du cou.