jeudi 11 août 2016

Sont testament

Contrainte : utiliser tous les mots ci-dessous : 

un Sens : Vue
un Pays : Islande
une Emotion : Jalousie
une Couleur : Violet
un Insecte : Moustique
une Arme : Tantô
un Livre (titre) : Dis lui que je l'attends


***

J’étais là, droite et fière, pourtant, je n’y étais pas tout à fait. J’avais déjà un pied de l’autre côté, de l’autre côté de moi. Un seul geste et je savais que je pouvais les prendre et par le fait même, me perdre à jamais. La ligne est si mince entre le bonheur et le désespoir, quand le cœur s’en mêle. Je respirais au minimum, pour ne pas qu’on s’aperçoive de ma présence. Pourtant, une pensée contradictoire contrecarrait cet effort. J’avais envie de les voir se réveiller en sursaut, de se demander ce qui les avait tirés de leur sommeil et de finalement s’apercevoir de ma présence. Il me semble que ce que je pourrais lire dans leurs yeux à ce moment, serait le plus délectable des présents. Pourtant, tel le funambule sur son fil, je tangue d’un côté et de l’autre, sans jamais basculer.

J’ai envie de les tuer. 

Mais je reste là, faucheuse armée d’un Tantô, le sien, parce que c’est plus romantique, non ? Et je les regarde tous les deux, amants abandonnés aux pays imaginaires, tandis que moi, on m’a pris un billet sans retour pour le pays des cauchemars. C’est cette ironie, qui noircit le violet de mes yeux pour lentement se déverser dans mes veines. Poison qu’on nomme jalousie, mais moi, je dis plutôt : trahison.

J’ai tellement envie de les tuer. 

De sentir la lame tranchante pénétrer leur corps, de briser leurs liens à jamais. Avant, c’était lui et moi, depuis quand cela était-il devenu lui sans moi ? Nous avions un projet de voyage en Islande dans trois mois. Il a tout jeté, quand cette garce, bourdonnant comme un moustique qu’on n’arrive pas à chasser, est arrivée à l’école. Un transfert tardif de l’Europe. Une jolie fille aux yeux célestes et aux cheveux sablés. Une princesse, rien de moins. N’ai-je jamais eu une seule chance ?

Je vais les tuer.

Elle avant. Je ne suis pas sentimental, mais je veux qu’il souffre avant de crever comme un chien. C’est ce qu’il mérite. Parce que sa douleur doit égaler la mienne, sinon, ce n’est pas amusant, sinon, tout ça, cette comédie, n’a aucun sens. Je veux qu’il se souvienne qu’il a jeté cinq ans de vie commune pour une étudiante de vingt et un an. Je veux qu’il la voie agoniser. Je l'imagine, se tordant dans son sang, essayant de lui murmurer quelque chose et lui, impuissant, la regarderait mourir. J’aurais enfin le pouvoir de vie ou de mort de son cœur, comme lui en avait pris le droit, ce soir de décembre, quand il m’a annoncé la nouvelle.

Ma vue se brouille à ce souvenir et pendant une seconde de faiblesse, je laisse mon chagrin prendre, à nouveau, possession de chacune de mes cellules. Je sens la douleur éclater en moi, tel un feu d’artifice, mais en plus violent. Je chancèle sous le poids des regrets amers et des rêves fracassés en morceaux à mes pieds. Je serre les dents jusqu’à ce que ma mâchoire me fasse mal. Une douleur pour une autre. Le Tantô dans ma main tremble. Impulsivement, je le lève au-dessus de ma tête.

Je te tue. 

Tu ouvres les yeux. Je t’ai réveillée, sans le vouloir, parce que j’aurais préféré que tu restes là où tu étais. Ça aurait été plus facile. Tu humectes tes lèvres. Tu ne comprends pas ce qui arrive. Tu ne me reconnais pas et tu n’as pas encore aperçu l’arme dans mes mains. J’en ai tellement envie, que tout mon corps tremble. Tu commences à paniquer, tes yeux ne cessent de papilloter. Tu t’agites trop, tu vas le réveiller. C’est maintenant ou jamais. Je fais un mouvement du bras pour abattre mon arme, mais tu te méprends sur mes intentions et tu as le réflexe de te coller contre lui, pour le protéger. Tu lèves alors les yeux vers moi et… Rien.

Mon bras retombe lourdement le long de mon corps, tandis que je la fixe. Ses yeux, sont remplis d’une lumière étincelante. Ils sont si purs, si fragiles et si farouches à la fois, que je ne peux que m’incliner. Il n’y avait jamais eu de bataille, elle avait gagné depuis le début. Je me retourne lentement, mais avant de disparaître à jamais dans les méandres de ma nuit, je lui murmure en guise d’adieu :

-Dis-lui que je l'attends.

FIN.