dimanche 29 mars 2015

Avidité

 Thème : Avidité
 
Toi, petite chose pourtant insignifiante, qui n'es même pas belle, toi, produit de ma hantise, pourquoi me regardes-tu ainsi ? Que t'ai-je fait pour que tu sois auréolée de cette lumière si pure ? Je te hais.

Je t'ai tourné le dos, comme on dit au revoir à un ami, avec regret. J'ai envie de pleurer. Pourquoi me mets-tu dans tous mes états ? Je fais tellement d'efforts, en plus et te voilà, irrespectueux de ce que j'accomplis. Tu n'essayes même pas, tu t'en fiches. Tiens, je te tire la langue, pour la peine.

Oh! mais quelle horreur, comment vais-je réussir à ne pas succomber à ton charme ? Je te désire tant que j'en bave, là, sur le coin de mes lèvres peintes d'un rouge indécent, comme toi. Je crois que tu me fais de l'œil, là, dans le coin où tu es posé. Il y a si longtemps que je n'ai pas goûté l'exquise douceur de ton parfum. Il est un peu acidulé sur ma langue. Voilà, mon corps réagit à ce souvenir et j'ai des frissons d'excitation. Mon rythme cardiaque s'accélère, je respire plus vite, pour ne pas dire que je halète. Comment vais-je pouvoir expliquer cela, si je succombe à ton chant de sirène ?

Je rougis de honte et de désespoir et peut-être même d'avidité. Tous mes sens sont en alerte, comme si un danger rodait près de moi. C'est le cas, tu es ma perdition et en même temps, ma convoitise. Deux amants si bien liés qu'on ne fait plus la différence. Je passe ma langue sur mes lèvres, prête à la chasse, prête à défier les promesses, une fois, une seule petite fois, s'il vous plaît. On fera comme si...

J'avance d'un pas, on est redevenus copains, mais parce que je le veux bien, hein ! Bon d'accord, parce que tu es sublime et que je meurs à chaque seconde loin de toi. Ça te va, ça ? Non, surtout, ne réponds pas. Laisse-moi savourer doucement ma victoire, laisse-moi avancer vers toi, telle une chatte en chaleur, qui miaulerait de plaisir, si je le pouvais. Tant de mois à me priver de toi que là, tout de suite, j'en oublie pourquoi. Les grandes raisons de cette privation sont tellement loin, reléguées dans les profondeurs du sous-sol de ma grand-mère. Je. Te. Veux.

Tellement.

Je suis là, à deux centimètres de toi. Ton odeur est enivrante et exaltante. Je suis à l'extase, à l'apothéose, à l'orgasme près. Je déglutis, péniblement, tandis que d'une main tremblante, je te saisis. Je frissonne de plaisir, je vais trépasser de bonheur, j'en suis certaine. Est-ce seulement possible ? Je devrai vérifier, si je ne meurs pas là, à cette seconde.

Je croque un morceau noir et je jouis. 90 % de cacao, les meilleurs.

Fin

samedi 28 mars 2015

Sans titre

Thème : Commencé la phrase par : Lydie chuta dans les escaliers avec fracas.
Finir la phrase par : Un oiseau bleu s'envola en piaillant dans l'air frais du matin.

Lydie chuta dans les escaliers avec fracas. Les papiers qu’elle tenait à la main virevoltèrent bruyamment dans les airs. Un cri muet se coinça dans sa gorge. Le tapis d'un blanc crème qui tapissait les marches amortit à peine sa dégringolade qui lui sembla durer une éternité. Un clou saillant fit un accroc à sa robe en mousseline bleue. Le bruit de son corps qui se disloquait résonna contre les murs aubergine ; une couleur certes audacieuse, mais qui avait plu à son mari. Ça, et ses cheveux châtain doré toujours relevés sur sa tête en un chignon négligé. Elle était un peu bohème, lui plutôt BCBG. Une union improbable, et pourtant...

Ils se sont fréquentés pendant un an, avant qu'un matin de juin, à l'aube de l'été, il la demande en mariage. Elle se souvient avec précision de la couleur de ses yeux ce jour-là, quand il l'a regardée et a prononcé cette question aux sonorités enivrantes : elle était d'un turquoise vaporeux moucheté de gris, comme un ciel de fin d'été à 18 heures. Elle n'était pas la fille qui voulait se marier. Elle avait épousé la liberté et l'aventure. Elle se sentait amante du vent, cousine de ces oiseaux aux plumes bleues qui vivaient dans son jardin et ses envies voyageaient avec les saisons. Mais il était là, patient et amoureux, prêt à attendre mille ans qu’elle soit disposée à faire attention à lui, bel inconnu aux yeux charmeurs.

Il est étrange, que ça soit cette pensée qui lui traverse l'esprit, tandis que brutalement, son corps encaisse cette descente infernale. Elle est consciente, mais elle sent sa vie, déjà si loin. Elle a peur. Elle lève les yeux vers le pallier, capte la lueur cristalline de ses larmes au fond du puits d'horreur de ses prunelles océanes.

Mon cœur pèse aussi lourd que le temps orageux à l'extérieur. Cloué sur place, incapable de réagir, incapable de la sauver. Lâche. Je déglutis si fort que ma gorge me fait mal. Les fleurs se sont écrasées à mes pieds. Des roses aux mêmes teintes de bleu que le plumage de ces oiseaux qu'elle aime tant. Amour fané. Je serre les poings jusqu'à ce que mes jointures blanchissent. Quel gâchis.

L'orage éclate dehors, libérant enfin des torrents de pluie. Le vent se déchaîne contre les carreaux des vitres, l'appelle en mugissant. Sa respiration saccadée lui répond. Son cœur bat faiblement, mais courageusement. Il est là, tout près, elle sent sa main sur ses cheveux. Il les caresse doucement. Elle ne le voit pas, il fait déjà si noir, mais elle perçoit sa douce chaleur, celle qui, déjà, a quitté son corps brisé. La mort est belle.

Je lui ai tenu la main jusqu'à la fin. Jusqu'à ce que ses yeux, grands ouverts, ne pétillent plus de cette joie et de cette fougue qui lui étaient caractéristiques. J'ai vu ses rêves mourir avec les derniers battements de son cœur. Mes lèvres tremblent, des larmes glissent sur mes joues livides et fiévreuses. En moi, gronde un tel désespoir, mais qu'aurais-je pu faire d'autre ? Ses papiers de divorce étaient une insulte à nos cinq ans de bonheur. À présent, elle est immortelle, vivant au travers de ces mots gravés en argenté, entrelacés d'or, sur l'anneau à mon annulaire.

À l'extérieur, l'aube colora le ciel de fuchsia et de pêche et vint caresser le corps inerte au pied de l'escalier. Un oiseau bleu s'envola en piaillant dans l'air frais du matin.
 
Fin. 

samedi 14 mars 2015

Sans titre

Ce texte est écrit à partir de l'image que voici
 
 
Elle lui avait échappé. Cette seule pensée lui insuffla une énergie nouvelle, un bonheur qui luisait au bout du chemin enneigé. La forêt ne lui paraissait plus aussi sombre et menaçante, elle arrivait même à la trouver jolie, avec toute cette neige poudreuse et scintillante, comme des milliers de brillants égarés par les fées. Peu à peu, son cœur affolé reprit un rythme normal.

Elle était libre.

Elle avait brisé les chaînes de sa prison, s'était enfuie à tout jamais, loin de son bourreau. De cette captivité sinistre, elle en était ressortie maigre et blessée. Des contusions sur son ventre et ses jambes, le visage tuméfié et les pieds en sang. C'était ce qui lui faisait le plus mal. Marcher. Mais la froideur de la neige endormait la douleur, rafraîchissait son cœur et ses pensées. Elle s'en fichait de la température, elle était simplement heureuse de pouvoir respirer cet air frais et pur. Plus de murs tapissés de boutons d'or ni ce lit à baldaquin, là où il la violentait. Seulement ce grand espace, cette nature vierge et grandiose. Un crépuscule comme tant d'autres, mais qui lui donnait envie de pleurer.

Elle était en vie.

Elle inspira, son cœur se gonfla de gratitude et de paix. Elle allait s'en sortir, pouvoir, construire des rêves, bâtir une vie, comme elle le souhaitait. Se marier, peut-être. Tout en marchant sur ce chemin jonché de neige et de glace, vers les lueurs des maisons au loin, elle créait dans sa tête un futur resplendissant, un futur aussi grandiose que sa victoire. Elle irait raconter son enfer aux policiers et ils arrêteraient son tortionnaire. Plus jamais, il ne lui ferait du mal. Elle n'avait pas de regret, si ce n'est qu'elle portait son nom, mais elle veillerait à le faire changer.

Elle était libre

Quelques larmes de soulagement perlèrent à ses yeux d’un bleu céleste. Elle murmura un merci, rauque, à la vie. Elle n’avait aucune rancune, que de la reconnaissance d’avoir pu s’enfuir, d’avoir réussi à préserver, malgré les sévices, son innocence. Elle savait, à présent, que tout lui était permis, qu’elle était forte et que plus rien ne pourrait jamais la détruire. Elle soignerait ses blessures physiques et psychologiques, et réussirait à devenir la jeune femme brillante et magnifique qu’elle était destinée à être. Elle n’avait que dix-sept ans. Elle saurait trouver le chemin du bonheur, elle saurait aussi l’apprécier, parce qu’elle savait ce que pouvait cacher l’envers du cœur des hommes.

Elle était en vie

Elle reçut le coup à la tête sans jamais avoir pu sentir la présence derrière elle. Elle s’écrasa au sol, comme une poupée de chiffon, le visage dans la neige, encore en vie. Il lui donna un coup de pied dans les côtes, lui hurla des insanités. La douleur ondula en elle, tel un serpent vicieux, monta crescendo, jusqu’à exploser dans son âme.

Sale fille de pute


Il la détestait tellement, l’aimait encore plus, lui en voulait plus que tout, de l’avoir quitté ainsi, sans sa permission. Lui qui avait été si clair sur ce point. Il culpabilisait d’avoir été trop souple avec elle, de lui avoir fait confiance. Il aurait dû l’attacher. Maintenant, c’était terminé, il était trop tard. Son cœur saignait, il devait la punir.

Je t’aime, mon enfant

Il la vit se relever, tenter de s'échapper, se tenant les côtes à deux mains Une traînée de sang coulait le long de son cou. Si belle dans sa détresse, si monstrueuse de vouloir le quitter, lui qui lui avait tout donné, même la vie. Il devait la châtier, pour cette faute impardonnable. Il devait la corriger, lui apprendre à ne plus jamais le fuir. Il avança, la rattrapa si facilement. Elle hurla. Quelque chose en lui se brisa. Il écuma de rage devant son refus de se soumettre. Elle le griffait, essayait de le mordre. Il la contemplait se débattre, s'épuiser à ne plus pouvoir respirer. Il vit dans ses yeux chacun de ses rêves se fracasser en milliers de morceaux, il vit la peur, la résignation, puis, autre chose qu'il ne put supporter. Il la gifla si fort que sa tête rebondit, mais elle garda cette lueur improbable et intenable au fond de ses prunelles azurées. Alors, dans un excès de colère froide, il la relâcha. Elle tomba à genoux, s'éraflant au passage, mais se releva aussitôt, convaincu qu'elle était libre.

Adieu


Ils échangèrent un regard. Elle, débordant d'espoir, lui, vide. Il dégaina son arme si vite, qu'elle n'eut même pas le temps de comprendre réellement ce qui lui arriva. Il tira, sans cérémonie, pour la punir de lui avoir désobéi. Elle tomba à la renverse sur le chemin glacé bordé d'arbres majestueux et silencieux, seuls témoins de cette haine sans nom, les bras en croix, ses cheveux d'or en auréole autour de son visage, les yeux gorgés de cette vie qu'on venait de lui voler à tout jamais. Il tomba à genoux à ses côtés, le corps secoué de gros sanglots, les yeux éperdus d'horreur devant ce qu'il venait de commettre.

Insoutenable


Il plaça l’arme dans sa bouche.

Fin.