samedi 14 mars 2015

Sans titre

Ce texte est écrit à partir de l'image que voici
 
 
Elle lui avait échappé. Cette seule pensée lui insuffla une énergie nouvelle, un bonheur qui luisait au bout du chemin enneigé. La forêt ne lui paraissait plus aussi sombre et menaçante, elle arrivait même à la trouver jolie, avec toute cette neige poudreuse et scintillante, comme des milliers de brillants égarés par les fées. Peu à peu, son cœur affolé reprit un rythme normal.

Elle était libre.

Elle avait brisé les chaînes de sa prison, s'était enfuie à tout jamais, loin de son bourreau. De cette captivité sinistre, elle en était ressortie maigre et blessée. Des contusions sur son ventre et ses jambes, le visage tuméfié et les pieds en sang. C'était ce qui lui faisait le plus mal. Marcher. Mais la froideur de la neige endormait la douleur, rafraîchissait son cœur et ses pensées. Elle s'en fichait de la température, elle était simplement heureuse de pouvoir respirer cet air frais et pur. Plus de murs tapissés de boutons d'or ni ce lit à baldaquin, là où il la violentait. Seulement ce grand espace, cette nature vierge et grandiose. Un crépuscule comme tant d'autres, mais qui lui donnait envie de pleurer.

Elle était en vie.

Elle inspira, son cœur se gonfla de gratitude et de paix. Elle allait s'en sortir, pouvoir, construire des rêves, bâtir une vie, comme elle le souhaitait. Se marier, peut-être. Tout en marchant sur ce chemin jonché de neige et de glace, vers les lueurs des maisons au loin, elle créait dans sa tête un futur resplendissant, un futur aussi grandiose que sa victoire. Elle irait raconter son enfer aux policiers et ils arrêteraient son tortionnaire. Plus jamais, il ne lui ferait du mal. Elle n'avait pas de regret, si ce n'est qu'elle portait son nom, mais elle veillerait à le faire changer.

Elle était libre

Quelques larmes de soulagement perlèrent à ses yeux d’un bleu céleste. Elle murmura un merci, rauque, à la vie. Elle n’avait aucune rancune, que de la reconnaissance d’avoir pu s’enfuir, d’avoir réussi à préserver, malgré les sévices, son innocence. Elle savait, à présent, que tout lui était permis, qu’elle était forte et que plus rien ne pourrait jamais la détruire. Elle soignerait ses blessures physiques et psychologiques, et réussirait à devenir la jeune femme brillante et magnifique qu’elle était destinée à être. Elle n’avait que dix-sept ans. Elle saurait trouver le chemin du bonheur, elle saurait aussi l’apprécier, parce qu’elle savait ce que pouvait cacher l’envers du cœur des hommes.

Elle était en vie

Elle reçut le coup à la tête sans jamais avoir pu sentir la présence derrière elle. Elle s’écrasa au sol, comme une poupée de chiffon, le visage dans la neige, encore en vie. Il lui donna un coup de pied dans les côtes, lui hurla des insanités. La douleur ondula en elle, tel un serpent vicieux, monta crescendo, jusqu’à exploser dans son âme.

Sale fille de pute


Il la détestait tellement, l’aimait encore plus, lui en voulait plus que tout, de l’avoir quitté ainsi, sans sa permission. Lui qui avait été si clair sur ce point. Il culpabilisait d’avoir été trop souple avec elle, de lui avoir fait confiance. Il aurait dû l’attacher. Maintenant, c’était terminé, il était trop tard. Son cœur saignait, il devait la punir.

Je t’aime, mon enfant

Il la vit se relever, tenter de s'échapper, se tenant les côtes à deux mains Une traînée de sang coulait le long de son cou. Si belle dans sa détresse, si monstrueuse de vouloir le quitter, lui qui lui avait tout donné, même la vie. Il devait la châtier, pour cette faute impardonnable. Il devait la corriger, lui apprendre à ne plus jamais le fuir. Il avança, la rattrapa si facilement. Elle hurla. Quelque chose en lui se brisa. Il écuma de rage devant son refus de se soumettre. Elle le griffait, essayait de le mordre. Il la contemplait se débattre, s'épuiser à ne plus pouvoir respirer. Il vit dans ses yeux chacun de ses rêves se fracasser en milliers de morceaux, il vit la peur, la résignation, puis, autre chose qu'il ne put supporter. Il la gifla si fort que sa tête rebondit, mais elle garda cette lueur improbable et intenable au fond de ses prunelles azurées. Alors, dans un excès de colère froide, il la relâcha. Elle tomba à genoux, s'éraflant au passage, mais se releva aussitôt, convaincu qu'elle était libre.

Adieu


Ils échangèrent un regard. Elle, débordant d'espoir, lui, vide. Il dégaina son arme si vite, qu'elle n'eut même pas le temps de comprendre réellement ce qui lui arriva. Il tira, sans cérémonie, pour la punir de lui avoir désobéi. Elle tomba à la renverse sur le chemin glacé bordé d'arbres majestueux et silencieux, seuls témoins de cette haine sans nom, les bras en croix, ses cheveux d'or en auréole autour de son visage, les yeux gorgés de cette vie qu'on venait de lui voler à tout jamais. Il tomba à genoux à ses côtés, le corps secoué de gros sanglots, les yeux éperdus d'horreur devant ce qu'il venait de commettre.

Insoutenable


Il plaça l’arme dans sa bouche.

Fin.

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