mercredi 30 août 2017

Les chemins infinis


-Écoute-moi, tout ira bien. Je te le promets.

Il pose son front sur le sien, lui serre les épaules doucement. Il essaye de lui insuffler un peu de son espoir par ce geste. Le matin se lève tranquillement à l’est, strie le ciel d’agrumes juteux, mais la noirceur reste au niveau du sol, tapie entre elle et moi. Sur le trottoir à quelques pas d’eux, les travailleurs matinaux se dirige vers la station de métro la plus près. Ils ont un café à la main et un aura ensommeillée. Il est si tôt pour eux, si tard pour nous.

-Julie…

Elle lève son regard piqueté d’incertitude et pourtant brûlant d’un amour qui me fait mal. Elle me fait confiance, mais elle a peur. Un spectre évanescent qui ondule entre nous, qui nous sépares.

-C’est la dernière fois, ensuite, on part loin d’ici, vers la mer, comme tu le désires tant. On aura plus de problème, on pourra vivre…

Sa voix s’éteint sur ce dernier mot. Ça fait longtemps qu’ils ne savent plus ce qu’il veut dire. Eux, ils n’ont pas un café dans une tasse de voyage, ni de passe mensuelle pour prendre le métro. Ils n’ont même pas du pain pour déjeuner. Ils ne connaissent pas les réveils qui oblige à se lever. Ils sont déjà debout, déjà dehors à regarder les étoiles mourir, à rêver, parfois, secrètement, que eux aussi disparaisse vers un autre monde. Loin de ceux qui les regarde avec dédain, qui renifle sur leur mains tendus. Allez travailler, bandes de morveux. On a essayé, madame, ce n’était pas pour nous. Ils ont trop souvent compté leur maigre avoir, il a trop souvent fait semblant qu’il s’était trompé en calculant pour qu’elle puisse avoir le latté qu’elle aime tant. Celui un peu épicé, qui la réchauffe, colore ses joues de roses, fait naître l’éternité dans ses yeux. Tant pis, il mangera demain. Ou après demain. Ça n’a pas d’importance si elle lui offre un sourire. Ils n’ont pas de maison, pas de confort, mais il l’a elle, et cela le comble. Il ne demande pas plus, mais il ne peut exiger cela d’elle. Elle rêve des vagues de la mer, parle tout le temps d’une maison où les fenêtres donne sur l’horizon bleuté, où la vie est douce.

Trois fois rien comme rêve, mais c’est le sien et il veut lui donner. De toute façon, ils ne peuvent plus rester ici. L’automne, déjà, refroidi les nuits, teintes l’herbe de rosées et leurs mains de givres. Bientôt, il fera trop froid pour qu’ils continue à jouer les campeurs de ville. Elle, plus frêle, grelotte sans cesse depuis des jours. N’arrive plus à se réchauffer. Ses lèvres sont azurés de cet assaut. Le vent devient de plus en plus impitoyable, le soleil de moins en moins présent. Les feuilles bariolées jonche le sol à nos pieds. Il lui a trouvé des gants sans les doigts et une écharpe violette qui fait ressortir le gris de ses yeux. Un univers à eux seul.

C’est pour eux, pour elle, qu’il se lève à présent, qu’il inspire un grand coup pour se donner du courage. Un courage qu’il ne possède pas, qu’il doit trouver, qu’il doit feindre. Pour son rêve.

-Attend !

Elle se lève, vacille un peu sur ses jambes. Il ne se souvient plus si elle a mangé hier. Elle est si maigre, elle est si belle. Ses yeux étincelle de détermination.

-Il faut le faire ensemble, murmure-t-elle.

Il secoue la tête.

-Non, pas question, tu m’attends ici assène-t-il. Je vais revenir dans cinq minutes. Tu comptes et tu cours si je tarde…

-Xav…

Sa voix est brisée, cassée. Elle sait. Ce n’est pas si simple, mais c’est ainsi. Il va les affranchir. Que peut-il arriver ? Il est si tôt, ils sont si riche, ils ne se lève pas à l’aurore. Ils ne connaissent même pas ce mot, n’ont jamais vu l’aube chasser la nuit. Il a observé plus d’une fois le fonctionnement du manoir. Il sait qu’il peut s’y faufiler, voler l’argent caché dans le coffre à numéro. Un numéro qu’il a mémorisé en voyant mainte fois la jeune demoiselle des lieux l’exécuter sans se soucier si on pouvait l’apercevoir. Sa chance. Son billet de train.

-Je dois y aller. Tout ira bien.

Il dépose un baiser sur son front, la prend dans ses bras, lui murmure des nuages en forme de rêve.

-Prend ma veste, Julie, pour avoir chaud et compte. Je reviens dans cinq minutes.

Il lui fait un geste d’aurevoir de la main. Elle le regarde, effrayée, mais lui offre un sourire tout de même. Une promesse. Elle murmure dans le silence du matin des mots qui vont se graver sur son coeur et lui donne des ailes. Il est déjà libre, déjà loin avec elle sur une plage où les vagues viennent mourir.

Il est heureux.
***

-Vous avez une très jolie veste, mademoiselle.

La jeune fille lève les yeux vers la voix. Quelques larmes glissent sur ses joues. Elle se détourne, incapable de répondre. Elle sert fort contre elle un journal qui a été mainte fois plié et déplié jusqu’à lui noircir les bouts des doigts. Sur la une, on voit en gros titre l’histoire d’un vol qui a mal tourné. Un voyou sans éducation qui s’en prend aux gens honnêtes. Une vermine. Un adolescent de dix-sept ans.

Un fait divers.

FIN.