lundi 1 mai 2017

La Belle et le Renard

Thème : introduire le renard du Petit Prince - 
 

Ça a commencé il y a trois mois, quand pour la première fois, je t’ai aperçu dans ton costume de Winnie l’Ourson. Tu avais cette démarche un peu chaloupée et tu possédais un sourire très doux sur les lèvres. Je me rappelle avoir songé que tu étais la plus belle petite fille que je n’avais jamais vu. J’ai su, ce jour-là, que tu étais celle que je recherchais. J’ai vu l’étincelle briller, je l’ai sentie au plus profond de moi, ça m’a réveillée. Ce fut comme une décharge électrique qui se propulsa dans mes veines pour venir percuter de plein fouet mon cœur et lui redonner envie de battre, de se battre. J’avais oublié, à quel point il était bon de sentir la vie circuler dans son corps. Tous les jours avant celui-ci, j’avais été morte, mais ce soir, à la lueur du soleil couchant, j’avais enfin rencontré ma destinée. Tu es passée tout près de moi et tu as frôlé ma main de la tienne. Tu as levé les yeux vers moi. Un regard bleuté immense, intelligent et candide. Je suis restée figer sur place, le cœur battant et tu t’es arrêtée.

-Est-ce que tu vas bien ?

Le son de ta voix m’a caressée, tel l’eau d’une cascade chaude et je me suis agenouillée à ta hauteur, hypnotisée par toi, par ta beauté et ton innocence. Je me suis humecté les lèvres, nerveuse, de te parler. J’ai inspiré profondément et je t’ai souri.

-Je vais très bien, je te remercie de me le demander.

-Qu’est-ce que c’est dans ta main ?

Tu t’es approchée de moi, intriguée, et je t’ai montré ce que je cachais.

-C’est un renard, il m’aide à apprivoiser les autres pour que je puisse me faire des amis. Est-ce que tu aimerais être amie avec moi ?

Tes yeux ont pétillé d’extraordinaire. Tu allais me dire quelque chose, quand une voix sévère t’a ordonné de la suivre.

-J’arrive, maman, as-tu crié et puis, te retournant vers moi :
-Peut-être que demain, on pourra être amies ?

Tu avais demandé cela d’une petite voix fluette, des étoiles gorgées d’espoir dans les yeux.

-Bien sûr, je t’attendrai ici. À demain.

Tu m’as fait un au revoir de ta main d’ours et tu as couru vers ta mère qui t’attendait. Tu lui as demandé quelque chose et je l’ai vue se retourner vers moi. Je lui ai fait un signe rassurant et un sourire engageant. Elle a hoché la tête, incertaine, puis vous avez disparu dans la nuit naissante. Je me suis assise sur le banc de parc pour me calmer. J’avais les mains qui tremblaient et mon dos était trempé de sueur. Je suis restée là des heures, il me semble, à contempler le jour mourir sur la ligne d’horizon dans une explosion de fuchsia, de violet et de jaune. Finalement, je me suis levée et je suis rentrée chez-moi, le cœur en émoi, les joues rougies d’excitation. Marco m’attendait.

-Bonsoir mademoiselle.
-Bonsoir Marco, comment allez-vous ?
-Très bien, merci de demander. Vous avez fait une belle promenade ?

-Oh, oui, Marco. Elle était magnifique.

Il m’a souri et je suis entrée dans l’ascenseur.

-Bonne soirée mademoiselle.
-Bonne nuit, Marco.

Il a incliné la tête en signe de salut et les portes de l’ascenseur se sont refermées sur lui. Je me suis adossée à la paroi foncée et j’ai soupiré, lasse tout à coup. L’émotion retombait et une grande fatigue s’empara de mon corps et de mon âme. Dans mon appartement, je me suis fait un thé à la rose et à la camomille au nom charmant de : rêveries de miel et je me suis dirigée vers ma chambre. En passant devant l’autre pièce, juste à côté de la mienne, je me suis arrêtée et j’ai passé la tête dans l'embrasure de la porte. J’ai contemplé le lit quelques secondes, les draps violet et jaune très doux et Winnie l’Ourson, la peluche. Ta préférée. J’ai posé ma tête sur le cadre de porte quelques secondes, les larmes zigzaguant sur mes joues.

-Bonne nuit, Lily, mon amour, chuchotai-je en refermant lentement la porte.

Ce soir-là, dans l’obscurité de ma chambre, j’ai entendu ton rire. Je ne sais plus, si c’était le tien ou le sien, ils étaient entremêlés, comme une toile d’araignée, finement tressée, mais complexe. J’ai dormi avec Renard. Il était le salut et ma chance d’enfin avoir ce qui n’existait plus dans ce temps-ci, dans cette existence vide.

J’étais là, le lendemain et toi aussi. C’est ainsi, que tout a commencé. J’ai apporté Renard et je t’ai dit que je te le donnerais le jour où tu m’aurais suffisamment apprivoisée pour me faire confiance. Chaque fois que je t’apercevais au loin, courant dans ma direction, mon cœur se gonflait de joie et d’amour. Des sentiments que je ne croyais plus capable de ressentir. Chaque soir, Marco me faisait la remarque que j’étais de plus en plus belle. J’étais cette tulipe, qui après des mois de gel, de froid glacial, pouvait enfin ouvrir ses pétales aux couleurs percutantes aux chauds rayons du soleil, annonciateur d’un printemps clément. Je m’éveillais d’un long sommeil de trois ans. J’étais Aurore aux boucles fauves et j’avais trouvé ma princesse pour vivre heureuse à jamais.

Être amie avec ta mère ne fut pas facile au début, mais j’ai réussi à gagner sa confiance et peu à peu, elle te confiait à moi pour de courtes périodes. Cela l’aidait grandement, étant mère monoparentale, et moi, cela me comblait d’allégresse d’être avec toi, de te toucher, de rire et de jouer avec toi. Tu étais toujours souriante et attentionnée et un lien unique se tissait entre nous. Le printemps céda ses caprices à un été chaud et humide. Je pouvais à présent aller chez-toi et te garder quelques heures. Un soir de la fin septembre, avant que je parte, tu m’as fait un énorme câlin et tu m’as demandé d’une petite voix :

-Est-ce que nous sommes amies, maintenant ?

Mes yeux se sont remplis de larmes et je t’ai serrée très fort contre moi. J’ai humé le parfum des lilas dans tes cheveux.

-Oui, dis-je tout bas, en te regardant droit dans les yeux. Je crois bien que nous sommes amies, à présent. Demain, je t’apporterai Renard.

J’ai vu le plaisir illuminer tes traits délicats et fins et j’ai su qu que l’heure avait enfin sonné. Nous allions devenir les meilleures amies du monde toi et moi. J’allais te donner Renard, parce que nous avions réussi à nous apprivoiser et que plus rien, dès lors, ne pourrait nous séparer. Cette nuit là, j’ai rêvé de toi, tu n’étais plus blonde, mais tu avais cette masse de cheveux bruns alezans. Vos deux visages se sont superposés pour ne faire plus qu’un. C’était le signe que tu étais celle que j’attendais, celle qui pourrait remplacer ma petite Lily. Nous allions former une famille heureuse et comblée.

Ce soir-là, en sortant de chez-moi pour me diriger vers ta maison, j’ai serré très fort Renard contre mon cœur. J’étais à enlever mes chaussures et discuter un peu avec ta maman avant qu’elle parte travailler, quand tu as déboulé dans le portique, excitée comme une puce.

-Léa, Léa, regarde, j’ai dessiné Renard pour toi.

Tu m’as tendu le papier où Renard était assis entre nous deux, nous tenant par la main. Mon cœur chavira.

-Il est magnifique ce dessin, merci beaucoup.

Nous dîmes au revoir à sa maman, puis, nous jouâmes un peu dans sa chambre. Vers les 21 heures, je vis qu’elle commençait à s’assoupir. J’ai alors sorti Renard de mon sac et je me suis approchée d’elle.

-Tu te souviens de ce que je t’ai dit à propos de Renard ?

Elle hocha la tête, sérieuse tout à coup.

-Renard est très spécial. Avant, il appartenait à une autre petite fille, mais elle ne le méritait pas. Toi, tu es une adorable et je crois que Renard sera heureux en ta compagnie, je ne pense pas que tu le décevras. Au tout début, il était l’amie d’une fillette qui s’appelait Lily, mais elle ne peut plus s’en occuper alors il cherche une autre famille. Crois-tu que tu es la bonne personne ?

-Il lui est arrivé quoi, à Lily ?

Je baissai la tête quelques secondes, puis, j’inspirai profondément.

-Elle est morte. Elle était très malade et elle n’a pas survécu, mais je sais qu’elle aurait voulu que Renard soit à toi.

-Je vais bien m’en occuper m’as-tu dit, solennelle.

-Bien, parfait. Pour que Renard t’appartienne complètement, il faut que tu viennes chez-moi, tu verras, ça sera amusant. Allez, prends quelques affaires, j’ai une belle chambre qui t'attend. Est-ce que tu aimes le jaune ?

-Oh, oui, t'écries-tu, j’adore le jaune. Est-ce que je peux amener mon costume de Winnie l’Ourson ?

-Bien sûr. Apporte tout ce que tu veux.

Tu as sauté dans mes bras en riant.

-Merci, merci, Léa, tu es la meilleure. Est-ce qu’on peut appeler maman pour lui dire ?

-Non, c’est un jeu secret entre-nous. On va faire semblant, Toi, tu t'appelleras Lily et moi, maman. Allez, prends tes choses, tu vas voir, ça va être amusant.

J’ai vu l’ombre d’un doute noircir tes yeux bleus. J’ai souri pour te rassurer.

-Je vais laisser un mot à ta maman, elle va être contente que tu t’amuses bien. Elle veut que tu sois heureuse, tu sais. Puis, on l'appellera dans quelques jours, d’accord ?

-D’accord.

Tu as ouvert une petite valise et tu y as mis tous tes trésors. Ensuite, nous sommes descendus et je t’ai aidé à revêtir ton manteau et tes bottes. Je t’ai mis ton bonnet Winnie l’Ourson et avant de partir, j’ai pris Renard et te l’ai tendu.

-Il est à toi, à présent. Prends en bien soin, sois-en digne Lily.

-Oui…

Elle marqua une hésitation puis :

-Maman.


***

Je m’agenouillai près du corps, et d’un geste doux, je chassai les flocons de neige qui commençait à tomber. J’inspirai profondément, relâchant la pression qui oppressait ma poitrine. Je pris ses mains qui lentement bleuissait et lui enlevé la peluche.

-Fais bon voyage.

Ma voix créa un nuage de fumée qui s’éleva dans la nuit naissante allant rejoindre les étoiles qui pointaient une à une sur un ciel lavande sombre. Je reculai et secouai ma longue chevelure brune tirant sur le fauve. J’époussetai mon trench-coat et sortis une cigarette de mon sac à main. Je soupirai agacée et triste, mélange dangereux de sentiments qui laissait des cicatrices vives et invisibles sur ma peau.

Je contemplai une dernière fois la petite silhouette et m’en éloignai d’un pas tranquille. Son image, ainsi figée dans son linceul de neige, resterait à jamais gravé sur mes iris violets, mais je n’éprouvais aucun remords. Elle n’était pas celle que j’avais cru déceler en la voyant la première fois, vêtue de son costume de Winnie l’Ourson.

Je serrai très fort contre mon cœur Renard et pris le chemin du retour, à la recherche d'une autre Lily.

FIN.