mardi 6 février 2018

La vie multicolore





Je creuse la neige à main nue, les doigts gelés, engourdis, le coeur vide. Un trou. Le soleil est bas, bientôt, il mourra dans une finale explosive de pêche et de roses. Je dois me dépêcher, terminer cette besogne avant que le crépuscule, de ses longs tentacules, engloutissent le champ. J’inspire profondément, et l’air glacé pénètre dans mes poumons broyant les vaisseaux sanguins, cristallisant mon coeur . Je me mets à tousser. Il fait si froid et je voudrais être si loin, mais je suis ici, avec toi.

J’ai dessiné des mots sur la neige, des adieux que j’aurais voulu te dire, mais je n’ai pas eu le temps. Ils t’ont arraché à moi sans que je puisse les retenir. J’ai tendu les bras en criant, mais je crois que ma voix était muette. Mon coeur ne l’était pas, mais ils n’ont pas compris. Ils t’ont déposée sur la table, si petite. Je me suis redressée et pourtant, ça me faisait mal, mais pas autant que toi. Ils se sont retournés, leurs visages fermés.

-Restez couché, mademoiselle, vous perdez du sang, on va s’occuper de vous.

Mais qui s’occupait de toi ? Tu sais, il y a un décalque d’une licorne sur le mur blanc. Il y a aussi des arbres, de magnifiques arbres aux branches gorgées de feuilles d’un vert aussi brillant que la mer. Il y a aussi ce plaid tout doux, chaleureux, invitant. Il n’attend plus que les nuits comme celle de ce soir pour t’envelopper et te protéger. Mon amour.

Je les ai vu te fermer les yeux. Je les ai vu t’arracher ce qui restait de ton âme. Tu n’as même pas pu être. Tu étais déjà partie. Ailleurs. Peut-être qu’il y a des tulipes et des pissenlit qui s’évaporent les soirs d’été. Ces journées qui ne finissent plus, qui s’étirent dans le temps, chaudes et éternelles.

Ils ne m’ont pas laissé le choix. Ils ont refusé que je te prenne. Ils ont prétendu que je n’allais pas bien, que j’étais instable. Trop jeune. Tu avais des ailes, elles étaient d’un lilas très soyeux. Je leur ai dit, pour ne pas qu’ils pleurent. Parce que moi, je voulais célébrer le soleil que tu avais placé sur mon coeur et qui l’espace d’une seconde, avait fait pleuvoir des confettis dorés sur ma vie. Ils n’ont pas voulu. Ils t’ont prise et j’ai eu beau hurler, me débattre, briser mes poings, ils t’ont amené là où la lumière ne va jamais. Dans les entrailles de l’hôpital.

J’ai terminé de creuser. Ce n’est rien ce froid comparé au vide qui me submerge depuis que tu es partie. Je t’ai volée. C’est ce qu’ils ont dit, mais tu es à moi. Comment aurais-je pu te voler ? Toi, ma chair de ma chair. J’ai fait du plaid ton linceul et je sais que tu n’auras plus froid. Il ne t’avait même pas recouverte, là-bas. Ici, tu es au chaud. Pour toujours.

J’ai déposé paillettes et souvenirs dans ton cercueil de neige et j’ai murmuré des paroles que le vent m’a dérobées pour les apporter aux oiseaux. Ils se sont envolé, emportant avec eux, mes adieux. Ainsi, ils ne pourraient pas mourir.

Tu es libre.

J’ai marché à sens contraire de ta vie, une ombrelle à la main. Multicolore. Comme toi. Ma fille. Mon amour.

FIN.