samedi 28 mars 2015

Sans titre

Thème : Commencé la phrase par : Lydie chuta dans les escaliers avec fracas.
Finir la phrase par : Un oiseau bleu s'envola en piaillant dans l'air frais du matin.

Lydie chuta dans les escaliers avec fracas. Les papiers qu’elle tenait à la main virevoltèrent bruyamment dans les airs. Un cri muet se coinça dans sa gorge. Le tapis d'un blanc crème qui tapissait les marches amortit à peine sa dégringolade qui lui sembla durer une éternité. Un clou saillant fit un accroc à sa robe en mousseline bleue. Le bruit de son corps qui se disloquait résonna contre les murs aubergine ; une couleur certes audacieuse, mais qui avait plu à son mari. Ça, et ses cheveux châtain doré toujours relevés sur sa tête en un chignon négligé. Elle était un peu bohème, lui plutôt BCBG. Une union improbable, et pourtant...

Ils se sont fréquentés pendant un an, avant qu'un matin de juin, à l'aube de l'été, il la demande en mariage. Elle se souvient avec précision de la couleur de ses yeux ce jour-là, quand il l'a regardée et a prononcé cette question aux sonorités enivrantes : elle était d'un turquoise vaporeux moucheté de gris, comme un ciel de fin d'été à 18 heures. Elle n'était pas la fille qui voulait se marier. Elle avait épousé la liberté et l'aventure. Elle se sentait amante du vent, cousine de ces oiseaux aux plumes bleues qui vivaient dans son jardin et ses envies voyageaient avec les saisons. Mais il était là, patient et amoureux, prêt à attendre mille ans qu’elle soit disposée à faire attention à lui, bel inconnu aux yeux charmeurs.

Il est étrange, que ça soit cette pensée qui lui traverse l'esprit, tandis que brutalement, son corps encaisse cette descente infernale. Elle est consciente, mais elle sent sa vie, déjà si loin. Elle a peur. Elle lève les yeux vers le pallier, capte la lueur cristalline de ses larmes au fond du puits d'horreur de ses prunelles océanes.

Mon cœur pèse aussi lourd que le temps orageux à l'extérieur. Cloué sur place, incapable de réagir, incapable de la sauver. Lâche. Je déglutis si fort que ma gorge me fait mal. Les fleurs se sont écrasées à mes pieds. Des roses aux mêmes teintes de bleu que le plumage de ces oiseaux qu'elle aime tant. Amour fané. Je serre les poings jusqu'à ce que mes jointures blanchissent. Quel gâchis.

L'orage éclate dehors, libérant enfin des torrents de pluie. Le vent se déchaîne contre les carreaux des vitres, l'appelle en mugissant. Sa respiration saccadée lui répond. Son cœur bat faiblement, mais courageusement. Il est là, tout près, elle sent sa main sur ses cheveux. Il les caresse doucement. Elle ne le voit pas, il fait déjà si noir, mais elle perçoit sa douce chaleur, celle qui, déjà, a quitté son corps brisé. La mort est belle.

Je lui ai tenu la main jusqu'à la fin. Jusqu'à ce que ses yeux, grands ouverts, ne pétillent plus de cette joie et de cette fougue qui lui étaient caractéristiques. J'ai vu ses rêves mourir avec les derniers battements de son cœur. Mes lèvres tremblent, des larmes glissent sur mes joues livides et fiévreuses. En moi, gronde un tel désespoir, mais qu'aurais-je pu faire d'autre ? Ses papiers de divorce étaient une insulte à nos cinq ans de bonheur. À présent, elle est immortelle, vivant au travers de ces mots gravés en argenté, entrelacés d'or, sur l'anneau à mon annulaire.

À l'extérieur, l'aube colora le ciel de fuchsia et de pêche et vint caresser le corps inerte au pied de l'escalier. Un oiseau bleu s'envola en piaillant dans l'air frais du matin.
 
Fin. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire