mercredi 22 juillet 2015

Carte postale


Consigne : Un matin, en récupérant votre courrier, vous vous rendez compte que vous avez reçu une carte postale qui ne vous est pas destinée, et dont le contenu vous intrigue beaucoup.

Le texte devra être écrit à la première personne du singulier.


Carte postale

Je suis étendue sur mon lit, regardant le plafond suspendu d’un blanc terne. À quelques endroits, de gros cernes brunâtres tâchent les tuiles et menacent de les faire tomber. Il n’y a aucun bruit dans la pièce. Mon partenaire de chambre n’est pas là. Il a son cours, à onze heures trente. Pour moi, ce n’est que dans une heure. Tant de temps à tuer, à ne pas savoir que faire de moi, de mes pensées. Je lance une balle vers le plafond et la rattrape. Une balle jaune, jaune comme le soleil qui perce doucement à travers les barreaux. Une couleur, rien de plus. Parfois, je la lance si haut que j’imagine qu’elle fait éclater le plafond et s’envole, telle une fusée, dans un ciel vierge de nuages et de problèmes. Elle part loin et vit des aventures excitantes, des vraies, et non des chimériques, créées de toutes pièces par un produit chimique.

Je déglutis et mon pied droit commence à s’agiter tout seul. Je secoue la tête, essaye de chasser ces pensées qui me font du tort. Je dois me concentrer, me focaliser sur autre chose que ma condition. Une brise pénètre à ce moment dans ma chambre et m’apporte les effluves de la mer tout près. Mon cœur se gonfle de désirs et d’envies. Je sens presque, à force de me concentrer, l’eau salée sur mes chevilles. Une sensation presque réelle. Je me lève d’un bond et au même instant, la porte de ma chambre s’ouvre sur une jolie demoiselle. Elle est en stage et semble fragile. Plus que moi. Elle a cependant le plus joli sourire que j’ai pu apercevoir depuis longtemps. Et quand elle me l’offre, comme un rayon de soleil sur une eau turquoise, ses yeux se gorgent d’étoiles. Elle est la seule, ici, qui ne sait pas comment construire des forteresses. Peut-être que ça la détruira, peut-être pas, mais elle est la seule aussi avec qui je peux rêver et croire encore. L’espoir est un si grand mot, quand on ne connaît que le susurrement de la poudre blanche.

-Bonjour, Skye, tu vas bien, ce matin ?

Une question banale, et pourtant, je la sais sincère.

-Tu as ta journée de repos aujourd’hui, est-ce que quelqu’un vient te chercher ?

Je fronce les sourcils.

-Ce n’est pas aujourd’hui, j’ai un cours dans une heure.

Elle jette un regard rapide sur son agenda et secoue la tête.

-Non, c’est bien aujourd’hui. Alors ?

-Alors rien, dis-je en évitant sont regard mordoré. Je vais rester ici.

Je l’entends s’avancer vers moi. Je remarque la couleur de ses ballerines, magenta, puisque je fixe le plancher. La seule fantaisie qui contraste sont uniforme blanc.

- J’ai senti, en venant te voir, la brise venant de la mer. Il fait une journée splendide. J’aurais aimé marcher sur la plage, sentir le doux sable sous mes pieds, mais seule, ce n’est pas rigolo, ne crois-tu pas ? Ça te dirait de m’accompagner ?


*
Je suis assise sur le sable brûlant et je regarde les vagues venir s’échouer à mes pieds. L’eau froide me revigore. J’ai envie de rire. Il y a longtemps que ça ne m’était pas arrivé. J’ai les yeux fermés, je savoure ces vraies sensations, qui ne sont pas fausses et fabriquées par une substance nocive, quand quelque chose de dur heurte ma jambe. Je me lève et ramasse une bouteille. À l’intérieur, je vois une carte postale affichant un jardin aux fleurs multicolores. En l’ouvrant, j’ai l’impression d’être dans un film. La stagiaire s’est approchée de moi.

- Lis-là me presse-t-elle !

À la personne qui lira ses lignes,

Je sais que c’est un moyen plus qu’improbable pour arriver à mes fins, mais je ne désespère pas, je considère que tout est possible, du moment qu’on y croit suffisamment. Je cherche à envoyer cette carte postale à ma mère, mais elle me revient toujours. Je ne te connais pas, toi qui lis ces lignes, et toi aussi, tu ignore qui je suis, mais je te fais confiance. L’adresse de ma maison est sur la carte, si tu connais l’endroit, si tu sais comment m’y envoyer, je ne te demande que cette petite faveur, apporte-moi à elle. Elle ne le sait pas encore, mais elle a besoin de me lire. Tu peux être indiscret, étranger, et lire la carte. Je ne t’en voudrais pas et t’en serais même reconnaissante. J’ai eu envie de tenter la vie, voir si elle allait me répondre. Je crois que tu comprendras.

Merci infiniment.
Helly.

Maman,

Tu ne le vois pas, mais je viens de prendre une grande inspiration. Ça me fait peur de coucher ces mots ici, il y a si peu de place et moi, j’ai tant de choses à dire. Je vais bien. C’est le principal, ce que tu dois savoir et te rappeler. Je sais que tu m’en veux, je l’imagine du moins. J’aurais voulu te le dire, t’en parler, comme à l’époque où j’avais douze ans et qu’on se disait tout, c’était avant…
Cependant, je crois que tu ne m’aurais pas écoutée. Ce n’est pas un reproche, ce n’en est plus un. Je ne sais pas si je vais revenir. En fait, je ne reviendrai pas. Je sais que tu ne comprends pas. Tu dois déjà serrer les dents de désapprobation, te dire que la fuite ne règle rien, que je devrais affronter la vérité, au lieu de partir. Tu vois, c’est pour cela que je ne t’ai rien dit. Ce n’est pas fuir, ce que j’ai fait. J’ai pris la décision de voler. Je ne suis plus la petite fille qui attend après les autres : leur amour, leur approbation, leurs désirs, leurs choix, etc. Dix-sept ans que j’attends. C’est trop. Je veux vivre, maman, tu peux comprendre ça, n’est-ce pas ?

Tu recevras les résultats dans quelques jours. C’est la dernière chose que j’ai faite pour un autre personne, qui n’était pas moi. La réponse : elle m’importe peu et ne m’arrêtera pas. On ne pourra plus m’enfermer, me confiner, me posséder. Je veux être un électron libre. Un oiseau sauvage, un papillon éphémère. Voir la vie, même si c’est seulement trois brindilles et dix fleurs. Parce qu’il n’y a que ça de beau, maman. Malgré que cela puisse te paraître dérisoire et futile, même fantasque, c’est ce que je veux, c’est ce que je suis. Ne sois pas triste, je t’en prie, maman. Sois heureuse, heureuse pour moi, car je me sens plus vivante que jamais. Sèche tes larmes, ne me renie pas, conserve mon souvenir, plus beau et plus vrai que ce qu’il aurait été si j’avais attendu de savoir.
Je te réécrirai et à l’aide de ces cartes postales, je te dessinerai le chemin de ma vie. Tu me suivras et évolueras avec moi. Tu me verras grandir et tu pourras contempler, à travers mes yeux, l’immensité du bonheur que je ressens chaque jour depuis mon départ, depuis que je ne suis plus liée à ce fardeau qu’est l’incertitude.

Je t’aime, maman et je pense à toi tous les jours.

Helly.

-Il semble que tu aies une mission, à présent.

Elle me sourit et je sens, sans le comprendre réellement, que ma vie change, indiciblement.

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