vendredi 17 juillet 2015

Sans titre



Je me tiens en équilibre précaire sur le rebord du muret en pierre. Je tremble, non de froid, mais de peur. Je tente d’inspirer, lentement, mais mon souffle se bloque au creux de ma poitrine. Je suffoque et peste. Je me trouve d’un tel ridicule et je n’ose pas ouvrir les yeux. J’oscille, comme le pendule d’une horloge, entre allégresse et terreur. Autour de moi, des murmures pour la plupart compatissants ; je les occulte. Une brise fraîche caresse mon corps, solide et pourtant mince. Trop mince, presque cadavérique, diraient certains. Quelle importance ? Je suis ici, au bout du monde, pour une bonne raison, non pas pour me soucier de ce qu’un groupe de touriste pense de ma taille. Je dois le faire, me prouver que…

- Mademoiselle ?

J’ouvre les yeux, un peu à contrecœur, et réprime un soupir d’agacement.

- Tout va bien ?

Il me regarde de ses yeux gris moucheté de turquoise, un regard presque féminin. Il est soucieux, mais je décèle aussi une légère impatience. Je peux presque y lire un « on n’a pas toute la journée, vous savez ».

- Oui, merci.

- Vous voulez de l’aide ?

De l’aide pour quoi ? Pour enlever ma petite culotte ? Car je peux voir ça aussi, dans votre regard décoloré, ai-je envie de répliquer froidement. Je me ressaisis en secouant la tête, quelques mèches fauves virevoltant dans le mouvement. Je dois être compatissante : tous attendent après moi et n’ont pas, non, toute leur journée à me consacrer. Je fais un pas et j’entends presque la foule retenir son souffle. Va-t-elle réellement le faire ? se demandent-ils. Oui, enfin, ce n’est pas comme si j’avais le choix. Je l’ai écrit sur ce bout de papier il y a trois ans, enfin, écrit est un euphémisme, je l’ai plutôt crié, hurlé serait plus juste. Voilà le portrait : Une fête, la mienne, sept Sex on the Beach, deux Margaritas, ma jeunesse, dix-huit-ans, une idée folle et me voilà à griffonner la liste des trois choses importante à accomplir en l’espace de trois ans et ensuite, à en faire part à la terre entière, comprendre tous les invités de ma soirée et même les voisins à deux rues de chez moi.

Liste :
1. Nager avec les dauphins
2. M’inscrire à Médecin sans Frontière
3. …


Si seulement j’avais su…

- On commence à s’impatienter, à l’arrière, vous savez ? Voulez-vous redescendre ?

Redescendre sur terre ? Redescendre dans votre lit ? J’ai l’esprit confus. Vous envoyez des signaux contradictoires. Soyez plus clair, vous allez manquer votre chance. Je m’accorde encore quinze secondes de réflexion avant de prendre une décision, à savoir si oui ou non, j’abandonne le numéro trois de ma liste. C’est tout ce que vous avez pour vous décider à m’inviter.
Après avoir goûté le chant des cigales et la chaleur torride du soleil sur ma peau opaline, je murmure :

- Non.

- Bien, alors pourriez-vous, s’il vous plaît, me faire le plaisir de vous aider à le nouer correctement ?

- D’accord, nouez-le, si ça vous chante, mais solidement, ce n’est pas aujourd’hui le bon… moment.

Voilà, ma décision est prise. Je ne recule pas, malgré le plaisir que certains derrière pourraient y prendre. S’en réjouir, même. On y va.

- Vous êtes magnifique, vous savez ?

J’évite de rouler des yeux. J’aurais apprécié un compliment plus original, surtout aujourd’hui. Pas un que j’ai déjà maintes fois entendu dans ma jeune vie. C’est… Important.

- Merci.

- Voilà, c’est fermement noué ; rien à craindre, vous êtes en sécurité.

À ce mot, j’ai envie de lâcher un rire sarcastique, mais je me retiens. Ça serait déplacé, et il est gentil. Il ne sait pas, c’est ça qui est beau. De plus, je suis heureuse d’être ici, avec lui, malgré qu’il soit macho et sans originalité. Il est mignon et je me délecte. Du paysage, bien sûr, et peut-être aussi de ses yeux, pénétrants et touchants. Comme une caresse sur le bras.

J’inspire profondément. L’air passe librement dans mes poumons. Je suis prête. Je sens sa main se glisser dans la mienne, chaude, forte, avec de beaux longs doigts propres. Je m’imagine déjà ce qu’il pourrait faire…

- Je vous conduis.

Reconnaissante, je lui adresse un sourire, qu’il me rend, mille fois plus beau que l’eau qui vient s’échouer sur les immenses rochers dorés du soleil d’été. Le ciel est dégagé ; seuls quelques flocons vaporeux glissent avec paresse.

- Vous allez être sensas.

Je chuchote un merci, simple mais sincère. Le bourdonnement de la foule cesse. Je les entends se rapprocher. Ils ont compris qu’on y était enfin. Je déglutis, rejette les épaules en arrière, inspire et…

- Chambre 405, me glisse-t-il, in extremis.

… saute, tête la première, bras en croix, le vent cinglant mon visage, la mer agitée se rapprochant à une vitesse fulgurante. Et mon corps entier est parcouru d’un frisson de plaisir. Un instant suspendu, inaltérable. Mon cœur cogne fort dans ma poitrine.

Mon cœur… bat.

- Fin -

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