Une petite nouvelle écrite hier. Il n'y a aucun thème.
Le ciel était gorgé d’un jaune
moutarde brumeuse, strié par de minces lignes gris anthracite. Au loin, les
détonations résonnaient comme le passage d’un millier de chevaux. Parfois, dans
ce vacarme assourdissant, des cris intolérables à entendre, comme si la mort se
moquait, bouleversaient les centaines d’hommes qui essayaient, malgré la terreur
prise en étau autour de leur gorge, de se reposer un peu. Un sommeil bien
volatile pour la plupart et pour les autres, qui semblaient paisibles, il
fallait sonder leurs songes pour contempler toute l’horreur qui les peuplaient.
Des corps démembrés, du sang en flot indomptable et des amis, perdus à jamais.
On lui avait dit d’aller se
reposer. Qu’il le fallait, car à même pas sept lieues, les envahisseurs
avançaient. Lentement, mais déterminés, semant sur leurs chemins, une mort
aussi certaine que l’aube qui se lève chaque jour. Leurs sillages, disait-on,
étaient imprégnés par la désolation et la putréfaction. Un cauchemar dont on ne se
réveillait pas.
Mais le soldat, refusait d’écouter
les ordres et fébrilement, il répondait à la lettre qu’il venait de recevoir.
Il était assis sur une chaise de fortune sous une tente dont les battants,
claquaient au vent. Une odeur de chair brûlée flottait près de lui. Il essayait
de l’occulter pour ne pas que son cœur, déjà si inquiet, bondisse dans un
rythme effréné contre sa poitrine. Il avait besoin de concentration, ultime
effort qu’il lui devait, pour ne pas que sa main tremble et trahisse la
terrible vérité.
« À toi mon amour,
Ta lettre m’a procuré une telle joie.
J’aurais voulu être à tes côtés, pour voir notre fille naître, mais par la
photo, je constate qu’elle est aussi jolie que toi. Je te remercie tant, de me
l’avoir envoyée. Elle est le rayon de soleil de mes journées, qui sans te
mentir, sont enténébrées ces derniers temps. Beaucoup sont morts, amour, mais
ne te soucie pas de ma santé. Je vais bien et si je prends la peine de coucher
sur papier ces mots, c’est que j’ai de merveilleuses nouvelles. Je rentre
demain. Nous serons enfin réunis après dix longs mois de séparation… »
Le vent tomba soudainement, laissant une moiteur puante s’installer. Le
soldat releva la tête, étonné par ce soudain calme. Même les oiseaux,
d’ordinaire si pimpants à cette heure, s’étaient tus. Une sourde angoisse
comprima la gorge du soldat. L’urgence de terminer sa lettre, le préoccupa à un tel point,
qu’il n’entendit pas l’agitation qui commençait à gronder autour de lui.
« … J’arriverai, avant ma lettre, mais je tenais tout de même à
t’exprimer tout ce que mon cœur ressent pour toi et notre fille. Ainsi, restera
à jamais, quelque part la trace de l’amour que je te porte… »
Un par un, les soldats qui
étaient couchés, se réveillaient en sursaut, certains, incapables de se souvenir
de l’endroit où ils étaient. Bienheureux furent ceux-là, car jamais, ils ne
comprirent ce qu’ils leur arrivèrent. L’ennemi, supposé être encore à une
journée de marche, était apparu, tel un spectre funeste, sur les plaines
endormies de ce matin de juin. Le jour se levait, aurore cotonneuse aux tons
d’hydromel rosé, mais qui pourrait encore en témoigner, le soir venu ? Les
soldats se précipitaient, piétinaient dans leurs hâtes, ceux qui n’étaient pas
aussi rapides, pour attraper leurs armes. Une cacophonie monstre, s’installa,
mélangeant peur, cris de guerre et cris de douleur. Pourtant, James ne lâchait
plus son crayon, frénésie presque hystérique, de donner ce qui restait de lui,
à celle qu’il aimait plus que la vie.
« …J’ai toujours crû que notre guerre était juste. Pourtant,
j’entrevois la vérité et celle-ci, n’est pas glorieuse. Avais-je besoin des
honneurs, est-ce pour cela que nous nous battons ? Pour mourir dignement ? Tout
me semble futile, à cet instant précis où je regarde les yeux lilas de notre
fille et son doux sourire. Je comprends enfin, ce que je cherchais ici. La vie,
n’existe que par l’amour des autres et non dans leurs morts. C’était si facile
et pourtant… »
Une violente explosion, tout près celle-là, secoua la
plaine, rasant cent hommes, en blessant cent autres. Des chevaux hennirent
paniqués ou blessés eux aussi. Des ordres furent donnés. De la fumée s’élevait
dans le ciel à présent cobalt.
« …Je dois terminer cette lettre, car elle ne
partira jamais, si je m’éternise. Sache que je trépigne de te serrer dans mes
bras et de pouvoir sentir à nouveau, ton corps contre le mien. Ne perds jamais
ton sourire, mon amour, quoiqu’il arrive, tu as été l’ange qui veillait sur
moi. Un nouveau monde se lèvera demain, je te le promets, si tu peux encore
croire en l’amour. Ne perds pas la foi, jamais je n’ai cessé de penser à toi.
Il me tarde de cajoler notre petite fille. Prends soin d’elle d’ici mon retour.
Je t’aime tant.
James »
James se leva, enfila son casque
et prit son fusil. Il rangea la lettre dans la poche de sa veste militaire. Il
sortit de la tente et contempla, consterné, ce que l’homme avait fait du cadeau
sacré de la vie. Une larme coula sur sa joue qui déjà, se salissait de suie. La
plaine était recouverte de sang, un rouge profanateur qui serpentait entre les
dépouilles. Ses amis, frères et pères, gisaient tous à ses pieds, morts ou
agonisants une mélopée funèbre. Il ne restait plus que quelques survivants,
s’enfuyant lâchement pour préserver la minuscule étincelle de vie qui battait
encore en eux. L’horreur ondula dans les veines de James, quand il discerna non
loin de lui, son meilleur ami. Il regarda à gauche, puis à droite, mais ne
distingua personne. L’envie de fuir, lui aussi, le tenaillait, mais il ne put
se résigner à le laisser pour mort. Il courut, le ventre à terre, la peur lui
tenant la main rejoindre celui qui l’avait déjà sauvé deux fois. Il ne vit pas,
trop préoccupé par son objectif, sortant de derrière une tente, un ennemi aux
yeux vides, armés de rancœur et de haine, le mettre en joue et tirer. La balle,
petit objet pourtant si insignifiant sans l’arme, le percuta de plein fouet. Il tituba de stupeur, plus que de douleur. L’ennemi,
ébloui par son tir prompt, lâcha un cri victorieux. Un cri, dénudé d’humanité
qui se réverbéra le long de chaque cadavre au sol. James tomba à genou, une
main sur la poche percée où dormait la précieuse lettre, pleurant des larmes de
sang. Sa bouche s’ouvrit, laissant souffler un murmure rauque entre ses lèvres
qui devenaient exsangues, une phrase qui emporta les derniers filaments
argentins de sa courte vie :
-Ne perds pas ton sourire, amour.
Fin
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