mercredi 14 septembre 2016

L'arche de Noé


 Thème : Jurons originaux
 
 ***
 
 L'arche de Noé
 
 
J’ignore comment c’est arrivé. Je suis plutôt méticuleux, en général, mais cette fois-ci, ça complètement dérapé. Une punaise de lit de chance que j’avais eu la présence d’esprit de ne pas signer, comme je le fais toujours. Sûrement, le ciel qui m’a envoyé un printemps de signe. Je me souviens très bien que la journée avait commencé anormalement bien. Je ne suis pas du genre superstitieux, mais plutôt du genre prudent. Alors, quand le jour J arrive, je suis toujours à noter le moindre détail de tout ce qui se produit. Ce matin-là, il pleuvait à verse. J'ai bien crû que Dieu, dans son délire perso, nous rejouait le déluge. Même que pendant au moins une minute, je me suis mis à espérer que j'allais être le nouveau Noé et sauver l'humanité. Ça m'a fait sentir spécial et j'ai failli oublier ce que j'avais de prévu aujourd'hui.

C'était un peu loin de sauver des animaux.

J'étais un peu fébrile, voir même excité. Rien d'anormal à ça, par contre, quand je me sens ainsi, j'aime bien manger des croustilles au BBQ. Le petit goût piquant m'aide à rester focus. Je savais que je n'en avais plus, mais quel n'a pas été ma surprise, d'en trouver dans le garde-manger. Si ça ce n'était pas un polochon de signe, je ne sais pas ce que c'était.

Peut-être que finalement, j'allais sauver une vache et quelques canards.

La journée tirait à sa fin et je me préparais avec méticulosité. Rien ne devait être laissé au hasard. J'ai mis mon pantalon noir et je me suis maté le derrière. Bien ferme et rebondit. C'est important, dans mon métier, de bien paraître et surtout, d'être désirable. Je m'entraîne fort et je ne laisse rien à la légère. J'ai souri un peu niais et si j'avais voulu être vulgaire, j'aurais dit que j'avais un sortilège de beau cul. Mais bon, je suis un gentleman, je reste poli tout de même. Donc, j'ai revêtu une chemise d'un gris tempête et enfilé un chapeau pour me donner encore plus de charme. Franchement, j'étais à croquer. J'ai sorti un petit sac de voyage et déposé à l'intérieur tout mon matériel ainsi que sa photo. Elle était immortalisé avec son animal de compagnie.

Et un cochon d’inde, il semblerait.

La pluie avait cessé, mais le ciel était bas et gorgé de gros nuages noirs. Les gens dans la rue, marchaient de pas rapide, la tête rentrée dans le cou. Le vent était glacial, mais ça ne m’affectait pas. J’irradiais d’une chaleur, un peu comme un feu de foyer. Ça allait arriver. Tous ces mois de préparation arrivaient à terme. J’ai marché près de quinze minutes et je peux affirmer, sans me tromper, qu’on m’a au moins dévisagé le postérieur trente fois à la dérober, et dix fois, franchement. On m’a même remis un numéro de téléphone. C’est là, que j’ai commencé à me poser des questions.

Est-ce qu’il y avait des rats dans l’arche ?

Je sais qu’avec mon pantalon moulant, mon chapeau et mon trench, j’ai une allure folle, mais j’attirais beaucoup trop l’attention. J’avais un furet de boulot à faire et le mieux, c’était que je passe inaperçu. J’avais l’impression, pour l’instant, d’être dans un spectacle dans un club de nu. Ce n’est pas pour me déplaire, j’aime qu’on me regarde, mais ce n’était pas le bon moment. J’ai alors changé d’itinéraire pour me rendre sur place. Ça, oui, ça, je crois que c’est Dieu lui-même qui m’a guidé sur ce chemin. Aujourd’hui, quand je repense à cette journée, je me dis qu’Il a vraiment besoin d’un nouveau sauveur de cochon et c’est pour ça qu’Il a pris ma main et m’a entraîné sur le chemin de traverse. Enfin, je dis ça parce que ça sonne bien, mais en réalité, c’était un chemin de terre boueux et mes bottes en ont pris pour leurs frais.

Combien il y a d’animaux, dans cette foutue arche ?

Quand je suis arrivé au numéro 666, j’ai comme eu un sursaut d'incrédulité et mon coeur s’est mit à faire des bonds irréguliers. Ça sentait le roussi, mais je ne pouvais pas reculer. J’ai tendu la main vers la série de chiffres, et j’ai vu qu’en fait, ils étaient mal fixés. J’ai lâché un soupir qui a fait bondir le chat de cinq mètres dans les airs. Il s’est tourné vers moi, le dos rond et le poil hérissé. J’ai inspiré un bon coup et je lui ai craché dessus. Il a détalé sans demander son reste.

Finalement, il n’y aurait pas de chats, sur l’arche. Tant pis.

J’ai fait le tour de la maison, j’ai ouvert doucement la fenêtre et écouté les bruits ambiants. C’était plutôt calme, comme je m’y attendais. Elle devait être en haut, en train de faire sa sieste. Depuis des mois que j’observe le moindre de ses faits et gestes et que je note tout. Le jeudi à quinze heures, elle se fait une cure à l’eau de rose et à la lavande et dort une heure. Elle a un teint radieux et des yeux pétillants de jeunesse. C’est ça qui m’a séduit le plus, le bleu perçant et féroce de ses prunelles. Une soif intarissable de vivre. Le désir m’attire toujours, la beauté aussi. Cette fille, a vingt-trois ans, un corps magnifique et une chevelure assez courte, mais d’un roux profond, presque indécent.

Toi, si j’étais Noé, je te sauverais bien dans mon arche, même si tu n'est pas un animal.

Mais bon, soyons réaliste, je ne crois pas que Dieu m’ait choisi pour ce rôle. Enfin, moi, je ne dis pas non, mais je trouve ça difficile comme job, aller chercher deux paires de chaque animal. J’ai autre chose à faire, aussi. Puis, il faut manger, hein, personne n’a pensé à ça, que deux paires d’animaux, ce n’était pas suffisant ? Colibri d’incompétent, ces gens, quand même…

Donc, m’étant fait à l’idée que je n’allais pas être le prochain Noé, j’ai lentement pénétré dans la chambre. Sa respiration était régulière et sa poitrine se soulevait à ce rythme. C’était presque hypnotisant. Je la contemplais, béat d’admiration devant tant de vitalité et de fraîcheur. J’ai souri, je m’en souviens et doucement, je me suis assis sur le bord du lit. J’ai caressé sa joue sans aucune imperfection et le feu est revenu, mais cette fois-ci c’était plus un feu de forêt. J’ai ouvert mon sac et j’en ai sorti ma corde. J’ai pris ses poignets que j’ai attaché à la tête de son lit. Ensuite, j’ai fait de même avec ses chevilles que j’ai attachées ensemble. Je sais, que vous vous demandez, à ce moment, pourquoi elle ne s’est pas réveillée. C’est simple, je suis un professionnel, voyez-vous. J’avais tout prévu. Le verre d’eau sur sa table de nuit et une dose de somnifère qui aurait pu assommer un cheval, au lieu de son médicament naturel. Je sais, je suis le meilleur.

J’aurais pu être Noé, je sais comment soigner les bêtes en détresse.

J’ai ensuite sorti mon long couteau. À ce moment-là, je me sentais réellement comme Dieu. Puissant, prêt à écraser avec mépris la vie. Sans sourciller, sans pleurer. Je suis un folichon de Dieu ! De mon couteau, j’ai longuement caressé sa peau de pêche. Je l’ai vu frémir à plusieurs reprises. Je me suis humecté les lèvres, résistant à l’envi de toucher les siennes. C’était bien la première fois, que j’éprouvais une émotion pour ma victime. Celle-ci, était mon serpent. Ce n’était pas désagréable, comme sentiment, mais cela réduisait ma concentration. J’étais fasciné par elle, par ses lèvres charnues, par son petit nez, légèrement retroussé et par sa poitrine plus que rebondie. Elle était mon fruit défendu et je n’avais qu’une envie, la prendre violemment. Et c’est ce que j’ai fait, parce que je suis beau et parce que j’ai ce droit. J’ai soulevé mon arme, qui a capté un rayon de soleil, et je l’ai abattu droit dans son coeur. Un long frisson de plénitude a traversé ma main pour venir se loger dans mon corps. J’ai basculé la tête vers l’arrière et j’ai goûté ce long parfum qui ondulait en moi. Puis, j’ai recommencé encore et encore, jusqu’à ce que ses draps blancs soient gorgés de pourpre sombre. Comme du vin. Jusqu’à ce qu’elle n’ait plus de soubresauts, jusqu’à ce que sa jeunesse est fuie par ce liquide vermeil.

En général, je profane le corps, pour faire croire à un détraqué sexuel, mais je ne pouvais pas, cette fois-ci. C’est ce qui m’a sauvé. J’en étais à ranger mes trucs pour ne laisser aucune trace quand la porte d’entrée s’est ouverte à la volée et que j’ai entendu aux bas mots, trente personnes crier :

-Joyeux anniversaire Stella.

-Tablette de cadran à batterie me suis-je exclamé.

Si j’avais été en elle, jamais je n’aurais eu le temps de fuir. J’ai embarqué le dernier témoin et sauté par la fenêtre. J’ai repris le chemin boueux que Dieu, dans sa grande miséricorde, m’avait montré plutôt et je me suis imaginé l’effet que les invités auraient en voyant mon cadeau.

Finalement, ma princesse allait être la reine de la soirée et moi, je ferais un Noé remarquable, pour avoir sauvé le cochon d’inde d’une hystérie certaine.


FIN

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