mercredi 21 septembre 2016

À l'angle de nos coeurs


Thème : Angle mort. 
 
***

C’est arrivé hier, au coin de la quinzième et de Warteloo.

J’avançais d’un pas rapide, des fleurs pleines les mains. Un gros bouquet avec des roses, mais pas que. Il y avait aussi des oiseaux du paradis, des lys d’un jaune très doux et des frangipaniers blancs, ses préférés. J’étais fébrile et un peu désorienté. C’était un grand jour qui lentement, se dessinait à l’horizon. J’allais être papa. Pour moi, ex criminel, je prenais cela comme un signe que j’étais pardonné de tous les actes que j’avais commis plus jeune. Certes, il m’arrivait parfois encore de faire de petits boulots, mais rien d’extravagant. C’était surtout pour payer les factures qui s’accumulaient. Maïa, désirait tant accueillir ce petit être avec les honneurs qu’il se doit, qu’elle achetait en quantité considérable, vêtements, jouets et décoration pour la chambre qui, soit dit en passant, était magnifique. Entre vous et moi, je ne lui avais pas démontré trop mon enthousiasme pour ne pas perdre ma crédibilité, mais elle a du goût, ma Maïa chérie.

Je l’aime, si vous saviez.

Je sais, ça fait cliché de penser ça. De le dire aussi, surtout pour un homme comme moi. Cependant, c’est la vérité, elle m’a sauvé des affres de l’enfer ou doucement, j’étais en train de sombrer. De petit criminel, j’entends par là que j’étais un cambrioleur, j’allais franchir le pas vers la grande cour, celle d’où on ne revient pas : le meurtre. C’était ma mission et pas la moindre. J’avais su me tailler une place dans le milieu, ma réputation me précédait et j’étais de confiance. J’étais le meilleur cambrioleur de la ville, je pouvais subtiliser n’importe quoi au nez et à la barbe des gens. Rien ne m’effrayait, pas même les caméras cachées un peu partout. Je me sentais invincible, mais surtout invisible. Dans le cercle très fermé des criminels, quand vous êtes bons, vous pouvez grimper rapidement les échelons et vous faire énormément de pognon. C’est lucratif, oui, mais très dangereux. Je me souviens encore de ce matin de juin. Il ne faisait pas encore jour, le ciel, au loin, se paraissait de rose vif et d’orange. C’était flamboyant. On m’avait donné rendez-vous à l’angle de la quinzième et de Warteloo. Le même où dix ans plus tard, je me tiens en attendant pour traverser la rue. C’était mystérieux comme invitation. Il y avait eu beaucoup de chuchotement à ce sujet. J’aurais préféré ne pas m’y rendre, je ne le sentais pas trop, mais on m’avait clairement fait comprendre que refuser n’était pas une option si je ne voulais pas froisser irrémédiablement la personne qui désirait me rencontrer. Alors j’y suis allé, parce que j’étais curieux, mais aussi parce que j’avais vingt et un an. Quand j’ai vu la silhouette qui se dessinait lentement à l’horizon, marchant d’un pas légèrement boitillant, j’ai su à ce moment que ma vie ne serait plus jamais la même.

On m’a confié l’assassinat de la princesse Lana.

Je l’aurais fait. Je n’en suis pas fière et ça restera toujours ma part d’ombre, celle qui parfois, scintille dans mon regard, surtout quand je me retourne vers le passé. Il y a des soirs où je me réveille complètement désorienté et effrayé. J’ai l’impression d’être dans la chambre aux foulards de soies ambrés. Je la revois étendu près de moi, offerte et confiante.

Lana.

Elle ne le sait pas, Maïa, que j’ai aimé très fort avant elle. Tomber amoureux de sa proie. Encore un truc cliché à mon actif. Je les cumule… Et pourtant, c’est la vérité. Elle était belle, fougueuse et impertinente. J’ai crû que j’allais la tuer plus d’une fois simplement parce qu’elle avait ouvert la bouche. Une très jolie bouche, certes, mais qui crachait des inepties à n’en plus finir. Elle me rendait fou et moi, comme un con, comme un débutant, je me suis laissé prendre au piège. Je l’ai aimé en secret puis, à grand cri dans ses draps de satin. Ma Lana. Morte aujourd’hui, par ma faute, mais pas par mes soins.

Une balle dans le coeur, des grands yeux noirs ouverts sur les étoiles dessinées sur le haut de son baldaquin. Du sang, partout, des éclaboussures de rêves déchiquetés.

J’ai dû fuir parce que j’étais à présent, persona non grata. On me recherchait de partout. J’avais failli à ma mission, mais surtout, j’avais essayé de trahir ceux qui m’avaient engagé. J’avais dégringolé à grand bruit, toutes les marches que j’avais mises longtemps à grimper. Pourtant, très vite, je me suis rendu compte qu’il me serait impossible de me cacher indéfiniment et je n’en éprouvais pas réellement le désir. Je me sentais mourir à petit feu. Comme une fleur dont on ne prend pas soin, je perdais de ma vigueur et de mon intérêt en tout chose, même de me nourrir et de boire. Lana me hantait et une semaine plus tard, tout ce qui m’importait, c’était la rejoindre. Je voulais, par contre, que ça soit à la hauteur de la femme qu’elle avait été. Elle m’avait offert sa vie, j’allais lui donner la mienne en retour. J’étais un peu romantique, à cette époque ou pour être plus juste, évaporé. Je n’étais plus Guillaume, j’étais l’ombre de Lana et j’errais, sans but, dans les rues. J’ai échafaudé un plan pour que ma mort soit grandiose. J’allais emporter avec moi, la tête du clan qui m’avait engagé pour la tuer. Je me suis muni d’armes, de faux papiers et j’ai commencé à faire circuler des rumeurs. Je voulais que les gens parlent de moi, qu’on se pose des questions à mon sujet, qu’on se questionne.

J’ai fini par me rendre là où je voulais mais ce n’était pas le grand criminel qui m’attendait, c’était Maïa.

J’inspire profondément à me remémorant ce souvenir. Je la revois, grande, belle dans sa robe d’été couleur pêche et son sourire, le plus doux que je n’avais jamais vu. Elle m’a offert sa main et a chuchoté très bas : allons-nous en d’ici, partons très loin, quoique tu es fait, cela ne mérite pas ta mort. J’ouvre brusquement les yeux, le coeur battant. Quelqu’un m’a bousculé, mais je n’y fais pas attention. Pourquoi, à l’époque, je n’avais pas trouvé cette phrase étrange ? Pourquoi l’avais-je suivi aveuglément, sans poser de questions ? Parce que j’étais désespéré, mais surtout, parce que j’étais un…

-Un lâche, oui.

J’ai serré les poings très forts, essayant de contrôler le flot d’émotions violentes qui se fracassait en moi, tel d’immenses vagues sur la berge. J’ai serré les dents, parce qu'étrangement, j’avais envie de pleurer. J’ai regardé les deux panneaux de rues. La quinzième et Warteloo. Notre chemin croisé. Un angle mort. Des pourquoi et des comment, se sont heurtés à mon coeur et on voulut sortir de ma bouche, mais je me suis mordu la langue pour ne pas parler. C’était d’une telle évidence, que je ne comprenais pas pourquoi, je n’avais rien vu plutôt. Mon ego démesuré m’avait préservé de la vérité. J’ai finalement lâché un soupir de lassitude. Les gens continuaient leur chemin, sans s'apercevoir que tout à côté d’eux, se dénouait la fin de l’histoire.

-Je…
-Je n’ai pas besoin de tes excuses ou tes mensonges.
-Tu ne devrais pas être là.
-Tu crois ?

J’ai entendu qu’elle armait le chien de son pistolet. Ça a fait un petit clic. Ça m’a semblé un coup de tonnerre.

-Je t’ai aimé.

Lana.

-Pas moi.

J’ai su qu’elle mentait, j’ai senti les larmes amères dans sa voix qu’elle durcissait pour ne pas que je sache qu’elle tremblait de peur. J’ai compris, trop tard, qu’il y a dix ans, ce n’est pas moi qu’on avait engagé pour tuer Lana, c’était elle. J’avais pris trop d’importance au sein de la bande de criminelle et on avait essayé de m’éliminer. Ils ont attendu que je tombe amoureux d’elle pour la recruter et lui faire croire que je l’avais dupée depuis le début. Ils ont mis en scène sa mort pour que je me suicide. Ils me connaissaient bien. Trop bien. Mais Lana, n’avait pas voulu se contenter de ça, elle désirait une vengeance flamboyante, à la hauteur de ma trahison. Elle avait alors envoyé sa cousine Maïa pour “m’aider”. La suite, n’était que hasards et histoires secrètes de coeur. Maïa était tombée amoureuse, m’entraînant avec elle dans ces sentiments que je croyais à jamais éteint. Avait-elle cru, qu’ainsi, elle nous sauvait de la folie de sa cousine Lana ?

-Elle est enceinte, ne lui arrache pas ce que tu lui as obligé à prendre.
-Tu n’es rien pour moi, je veillerai sur Maïa et sur l’enfant.
-Mais moi, je suis tout, pour elle.

Un cri d’animal blessé s’est réverbéré dans mon dos. Elle s’est précipitée vers moi et m’a cogné très fort avec la crosse de son pistolet. Les gens autour se sont affolés. J’ai posé ma main sur ma nuque et sentit le sang poisseux sur mes doigts. Je me suis retourné, vif comme l’éclair. Sa vue, m’a complètement chamboulé. Pendant une seconde, dans ses yeux turquoise, j’ai contemplé la mort. Elle m’a mise en joue, mais instinctivement, je me suis baissé et j’ai chargé vers elle. Je l’ai attrapé par la taille et l’ai plaquée au sol. La touché fut comme une décharge électrique. Les battements de mon coeur se sont accélérés. Une rage indescriptible s’est répandue dans mon corps et je l’ai frappé. Une fois, deux fois, trois fois. Des cris de stupeurs s'élevaient autour de nous. Quelqu’un a essayé de me retenir, mais j’étais plus fort et je l’ai repoussé. J’ai levé à nouveau le poing pour tuer les vestiges de notre amour floué, mais mon regard a rencontré le sien. J’y ai vu miroiter l’amertume de l’escroquerie, sa jeunesse bafouillée et ses rêves fracassés. J’ai suspendu mon élan, magnétisé par l’étendue de sa souffrance. C’était Roméo et Juliette à l’envers. Des larmes ont coulés de ses prunelles nébuleuses, puis, elle a pointé le pistolet qu’elle n’avait jamais lâché sur mon coeur et a tiré. Le choc fut d’une telle intensité, que j’ai crû que tous mes os explosaient en millier de morceaux. J’ai ouvert la bouche pour dire quelque chose, mais il n’y a que du sang qui en soit sorti. La balle avait pulvérisé mon coeur, je sentais les dernières secondes de ma vie s’évaporer. Elle m’a enlacé avec une extrême douceur et à chuchoté à mon oreille :

-Je t’aime.

FIN.

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