mercredi 15 juin 2016

Le baiser de la magicienne

Thème : Ciel rouge le matin, avertit le marin
 
 ***
 
-Regarde le ciel, il se teint de vermeil. Il faut avertir les marins !

J’ai levé les yeux, malgré que je l’aie déjà aperçu, du coin de l’œil, un peu plus tôt, pendant que je surveillais la proue. Il fallait bien que je confirme ses dires, si je voulais prendre une décision. Cependant, en apercevant le rouge profond, presque bouillonnant, j’ai eu un hoquet de consternation. Certes, c’était magnifique ces lignes rubis striées d’or dû au lever de soleil imminent, mais ce que cachaient les causes de ce phénomène n’augurait rien de bon. Il fallait faire demi-tour immédiatement.

-Nous sommes damnés, n’est-ce pas ?

La voix de mon second me fit sursauter. Je l’ai fusillé du regard.

-Ne t’avise pas de répéter cela à quiconque. Tu vas foutre la trouille aux marins et ils ne pourront plus fonctionner. J’ai besoin qu’ils soient alertes pour nous sortir d’ici.

Il voulut répliquer, mais d’un geste de la main, je l’ai congédié. J’avais besoin de toute ma concentration pour nous naviguer hors de la zone maudite. Je ne comprenais pas pourquoi ce mauvais sort s’était abattu sur nous, si peu de temps après notre départ. Mes tripes se tordirent dans mon ventre. L’angoisse a fait son chemin le long de ma colonne vertébrale. J’ai serré la mâchoire à m’en faire mal et j’ai donné un coup de barre pour diriger le navire vers l’ouest, vers notre sécurité.

-Izabelle…

Mon cœur s’est serré douloureusement à la pensée de ma fiancée qui devait très certainement m’attendre sur les berges de notre île. Je lui avais promis mon retour, je ne pouvais pas me dispenser de cet engagement. J’ai étreint de toutes mes forces la barre à me blanchir les jointures et j’ai fait cap vers un ciel plus clément, un ciel bleu.

-Monstres à tribord !

La voix affolée d’un matelot me tira de ma concentration. Nous étions presque hors de danger, je ne devais pas céder à la panique. Mon second pouvait s’en occuper. Cependant que je continuais sans réagir, celui-ci a surgi à mes côtés le teint exsangue.

-On est encerclé.

J’allais lui répliquer quelque chose, quand j’ai aperçu des dizaines de sirènes flottant dans l’eau tumultueuse.

-Donnez-nous la femme et nous sombrerons à jamais dans l’oubli, recolorant le ciel de ses couleurs d’espoirs.

-Il n’y a aucune femme à bord, à hurlé mon second. Vous faites erreurs.

L’une des sirènes s’avança dangereusement. Elle était surement le chef. Elle possédait de grands yeux turquoise étoilés de vert jade. Ses lèvres vermillon s’étiraient dans un rictus sauvage. Sa longue chevelure dorée cascadait dans son dos. Sa poitrine nue laissait voir deux seins opalins et fermes. J’ai accusé le coup de sa beauté en titubant. Elle m’a suivi du regard et s’est esclaffée. Son rire m’a presque rendu fou. Je me suis avancé lentement vers elle, avec l’intention de discuter, mais dès que je fus près du bord, elle noua l’infini de ses yeux au mien et je me sentis basculer.

-Je sais, murmura-t-elle.

Je déglutis péniblement.

-Que vas-tu faire ? Susurra-t-elle.

Elle nagea pour être tout près du bateau. J’ai senti mon second s’approcher de moi. Sa tension était palpable. Le corps de la sirène ondulait avec provocation tandis que les autres, psalmodiaient un hymne aux intonations tragiques. Je vis du coin de l’œil, un matelot éclater en sanglots et éperdu, se jeter dans l’eau. Trois sirènes rousses se précipitèrent à sa rencontre et disparurent dans les profondeurs de l’océan noir avec le malheureux.

-Un par un, ils sauteront vers leur mort si vous ne nous rendez pas la femme nous prévint la diablesse.

-Mais puisque je vous dis que vous faites une grossière erreur, s’insurgea mon second qui étrangement, échappait à la chanson hypnotisant des sirènes.

-Vous croyiez ? Répondit doucement la chef.

Au même moment, un second matelot sauta par-dessus bord, cueilli par des bras glaciaux.

-Lex, fait quelque chose, parlemente avec elle, dit-lui, qu’il n’y a pas femme sur ce navire.

La sirène me fixa, le regard teinté d’amusement.

-Un sacrifice, pourrait me satisfaire me dit-elle.

Mon second toussota scandalisé. Je n’ai pas pipé mot. Que pouvais-je faire ? J’étais le capitaine, il me fallait prendre une décision en faveur de sauver mon équipage. Ils comptaient sur moi. J’étais le seul à pouvoir le faire.

-Je suis désolé Izabelle, murmurais-je faiblement, j’espère que tu sauras me pardonner.

Un cri désespéré accueilli mes mots. Un autre matelot venait de se jeter à l’eau. Je devais agir.

-Arrêter, ais-je crié, cessez ce chant mortel, il y aura un sacrifice.

-Lex ! S’est exclamé mon second.

La magicienne des eaux m’a regardé imperturbable. Le ciel était gorgé de sang et celui-ci, si je n’agissais pas vite, allait se déverser sur le bateau, l’amenant en enfer.

-Je m'excuse.

Je me suis tourné vers mon second le regard brouillé de larmes, mais aussi de détermination. Avant même qu’il puisse réagir, je l’ai poussé de toutes mes forces par-dessus bord. J’ai vu ses yeux s’agrandir d’horreur, quand il a percuté le ponton et basculé dans l’eau marmoréenne. La sirène aux yeux turquoise m’a sourit triomphante puis s’est jetés sur mon second. Elle a scellé ses lèvres aux siennes et a aspiré de toutes ses forces. Je l’ai vu se désintégrer sous l’effet du sort. Quand elle eu terminé, elle la jeté à ses sœurs qui se sont empressé de le prendre et de disparaître sous les eaux agités.

-Ton secret est le mien à présent. Tel que promis, vous êtes libre, mais sache que si tu reviens naviguer par ici, je ne te laisserai pas une seconde chance.

Je déglutis péniblement.

Elle inclina la tête de côté et me toisa.

-C’est du gâchis de…

-Aller vous en m’écriais-je, horrifié qu’elle ait su voir au-delà de mon masque. Vous avez promis…
Elle hausse les épaules, presque indifférentes.

-Soit, mais si tu changes d’avis, un jour, tu sauras trouver ton chemin jusqu’à moi. Tu n’auras qu’à murmurer mon nom, Elvyna.

-Partez ! Hurlais-je.

Elle étira ses lèvres grossières dans un rictus de fauve et sautant hors de l’eau. Je vis sa longue queue faite d’écailles incandescentes et mon souffle se bloqua dans ma gorge. Elle déposa ses lèvres à l’orée de ma clavicule droite. La brûlure fut terrible.

-Adieu.

Elle replongea dans la mer devenu calme.

J’abaissé mon regard sur ma peau pour y voir, épouvanté, mon prénom gravé en lettre d’ardoise brûlante.

LEXA.

FIN. 

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