samedi 20 septembre 2014

Le masque


Elle est assise au milieu de la pièce le regard vide. Sa jupe d'un jaune flamboyant est déchirée et sale. Il n'y a aucun bruit, hormis sa respiration sifflante. De longues traces de mascara noir sillonnent ses joues couleur cendre. Sa lèvre inférieure d'un rouge indécent est coupée et saigne légèrement. Elle ne bouge pas. Elle cligne à peine des yeux. Son poing, crispé sur un marqueur noir, est blanc à force de serrer. Autour d'elle, le chaos.

Tous les murs, blanc immaculé, sont à présent noircis de centaines et de milliers de citations. Elle les a toutes écrites l'une après l'autre. Certaines citations racontent sa vie, d'autres celle qu'elle rêve de vivre. Elle a habillé le vide de mots. Des mots qui veulent tout dire. Des mots qui refusent de passer ses lèvres scellées par le temps.

Elle est épuisée d'avoir écrit mais pas apaisée. Son coeur bat furieusement contre sa cage thoracique. Il aimerait tellement lui insuffler une brise d'espoir, un souffle d'énergie, mais il sent le poison de l'abdication couler lentement en lui. Elle a perdu du sang. Précieux fluide. Elle s'est coupé les bras. Dans sa rage, elle a troqué le feutre contre son sang donnant ainsi vie à ses mots. Quelqu'un les lira, un jour. Il ne comprendra pas le message.

Il ne verra que des mots enchevêtrés. Comme sa vie. Il dira que c'était inévitable. Il ne cherchera pas à voir au-delà de toutes ses lettres.
Elle n'est pas encore prête.

Alors, lentement, mécaniquement, elle se lève. Elle ramasse un pinceau et le trempe dans la peinture blanche. D'un pas morne, elle s'avance vers le mur et commence à le repeindre. Des heures passent où sans réfléchir, elle repeint sa chambre, replace les meubles et accroche le miroir qui était dans un coin. Puis, elle enlève ses vêtements déchirés, passe un jean et un pull à manches longues pour cacher ses blessures et se dirige vers le miroir. Elle se fixe sans se voir. Elle nettoie les traces de mascara, dissimule les rougeurs avec du fond de teint, peint ses lèvres meurtries, allonge ses cils d'un mascara haute de  gamme. Finalement, elle se parfume. Puis, elle entend la porte de la chambre s'ouvrir. Juste à temps, elle plaque un sourire lumineux sur son visage, et se retourne et enlace son petit ami. Et pendant qu'il la serre contre lui, il ne voit pas le vide abyssal derrière la façade de ses magnifiques yeux verts.

Il ne voit pas le masque.

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