mercredi 17 septembre 2014

Réincarné en larme

(Thème : Réincarné en larme)

Elle courre éperdument, elle courre, à en perdre haleine. Son cœur cogne violemment contre sa poitrine, son souffle est court, de la sueur perle à son front et dessine des auréoles dorés sous sa chemise de soie verte. Ses longs cheveux d’un blond sable, parsemé de violet virevoltes autours de son jolie visage, à chaque foulée qu’elle fait. Elle est terrorisée et se mord la lèvre inférieure pour ne pas hurler. Elle ne les voit pas, ni ne les entends, mais elle sait qu’elles sont là. Tout près. Un frisson la parcours quand le vent se lève en une bourrasque glaciale et hostile. Elle peut même entendre leurs murmures dans le chant de la nuit. Elles sont tout autour d’elle. Elles sont venues la chercher, tel que promis car elle a failli à sa promesse.

Elle se déleste de son manteau qui certes, la garde au chaud, mais aussi l’empêche de bien se mouvoir. Elle n’aurait pas dû mettre ses bottes à talon ce matin. Elle le regrette amèrement. Comme elle s’en veut d’avoir échoué à la seule demande qu’on lui avait formulée lors de l’accord du marché : Ta liberté contre la plume d’argent.

Une plume d’argent, toutes les fées dignes de ce nom en possédait une. C’était un talisman puissant qui permettait à celui qui l’avait en sa disposition de pouvoir disparaître purement et simplement. Même un humain un peu croyant ou un peu fous qui tombait sur cet objet rare et qui savait l’utilisé pouvait devenir invisible, donc introuvable. C’était un bien précieux que les fées ne cédaient que sous des conditions sévères, mais pas impossible à se procurer. Surtout pas pour moi. Enfin, en principe, ils auraient dû en être ainsi, mais j’avais été piégée. On m’avait truquée au moment de ma liberté pour faire croire aux fées que j’étais une ennemie. On n’avait jamais voulu la plume d’argent, on avait voulu m’éliminer depuis le début car je gênais par ma différence. Je n’étais pas un ange comme les autres, j’étais née avec une troisième paire d’ailes… noires. J’étais donc un avorton, une anomalie de la création de Dieu. Toute suite, on m’avait enfermée pour me faire passer des milliers de tests mais aussi, pour préserver la sécurité de l’Éden. Le noir, dans mon monde, fait peur. Il est le signe infaillible de la mort et de la destruction et par la même occasion, le symbole de la Bête.

J’avais tant supplié qu’on m’avait fait croire à ce marché ridicule pour recouvrer ma liberté et je n’y avait vu que du feu. Alors aujourd’hui, il n’y avait plus d’issue. J’étais sur terre, sans pouvoir et à la merci des fées qui voulaient ma mort car elles me croyaient corrompu et aux ordres de Satan. Sans la moindre parcelle de magie, je ne pouvais les détecter. Seul mon instinct puissant me prévenait d’un grave danger. Tous mes sens étaient en alerte. Mais je ne courrais pas suffisamment vite. Je le savais. Je déglutis une nouvelle fois affolée. Je ne voulais pas mourir. Je priai, suppliant qu’on me laisser à tous les moins vivre sur terre. Mais au moins, je serais libre et surtout, je pourrais contempler encore et encore les levés de soleil, spectacle magnifique et unique de couleur et de sensation.

Au loin, je vis un Archange se matérialisé. Réponse à ma prière silencieuse. Sa lumière d’un vert éblouissant réchauffa mon cœur épouvanté. L’espoir venait de se peindre, là, devant moi. Un sourire de soulagement se dessina sur mes lèvres gercées par le froid de cette fin d’octobre. J’essuyai d’un geste nerveux, mes yeux et tendit la main pour que l’Archange puisse la saisir et me sauver, sauver de ce cauchemar aux saveurs d’enfer. Il l’attrapa mais au même moment, des milliers de fées se révélèrent dans la noirceur de la nuit. Il n’y eu aucune discussion, aucune hésitation. Leur monde, leurs lois. Leurs magies, régis par la puissance du nombre, ne me laissa aucune chance. Je la sentie pénétrer en moi, se canaliser dans mon ventre, devenir aussi chaude que les flammes où elles croyaient que j’étais née et puis, l’explosion qui me dispersa dans tous les coins de la rue où nous étions. Si je puis voir ce qui arriva par la suite, c’est parce que l’Archange, insensible à la magie, mais pas à ma mort récupéra de ses doigts graciles la larme qui venaient de naître à ses yeux.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire