lundi 28 mars 2016

L'ombre du soleil

     


Je me regarde dans le miroir de cette chambre minable de motel, songeant non sans tristesse, que j’avais imaginé la chose différemment. Mes yeux sont cernés de bleu violacé. La fatigue accumulée à rester éveiller, jusqu’à ce que tu rentres et que tu t’écroules sur la chaise de l’entrée, ivre. J’attendais toujours quelques minutes, pour voir si tu allais te réveiller et venir te glisser dans les draps près de moi. Je soupirais toujours de soulagement quand je réalisais que ça ne serait pas le cas. 

Pourtant, j’ai renoncé à mon immortalité pour toi. 

Je ne sais pas ce qui nous a conduits à cet hôtel bas de gamme, sur la route des regrets, mais nous y étions et j’ai peur. Je contemple mon reflet, j’essaye de respirer calmement, mais je sais que tu vas revenir, bientôt, et cette pensée, me tort les tripes parce que je ne pourrai plus faire semblant, maintenant que je connais la vérité. 

Comment ais-je pu être aussi naïve ? 

J’inspire profondément et passe nerveusement la main dans ma longue chevelure blonde. Tu aimais tellement les caresser au début. Tu te posais près de moi, me souriais gentiment et passais doucement ta main dans les mèches soyeuses. Tu ignorais que je me les étais brossé cent fois pour toi. Parce que je te trouvais tellement beau, que je voulais que tu me voies, que tu me reconnaisses et j’aurais fait n’importe quoi pour toi. Pour te séduire. Même renoncer à ce que j’étais, pour un simple sourire de ta part. J’avais tourné le dos à la Gloire de Dieu pour t’entendre, une fois encore me dire que j’étais la plus belle femme que tu n’avais jamais rencontrée. Je m’étais offerte à toi et tu m’avais promis une autre éternité. 

À tort, j’ai cru à l’amour. Mais c’était… 

Un bruit de pneus sur le gravier interrompt brutalement toutes mes pensées moroses. Je me suis trop longtemps apitoyé sur mon triste sort et à présent, tu es de retour. Je déglutis affolé de ne pas arriver à masquer la vérité de mon regard lavande. Il le faut pourtant, si je veux vivre une autre journée. J’inspire profondément et murmure une prière que je sais inutile. J’ai fait mon choix, IL a fait le sien. Je dois me débrouiller seule. Tu pénètres dans la chambre un immense sourire accroché à tes lèvres pleines et sensuelles. Des lèvres que j’aimais mordiller affectueusement. 

Avant. 

-Tu es habillée, parfait. Nous allons partir bientôt. 

Il laisse tomber son sac de sport près de la porte et commence à rassembler nos affaires, notre vie. Je le regarde faire, incertaine de ce que je dois dire. Je suis mal à l’aise et cette aura m’imprègne tant, qu’il finit par se retourner vers moi, le regard perçant. Mon cœur manque un battement. 

-Pourquoi me dévisages-tu ainsi ? Qu’est-ce qu’il y a ? 

Je prends sur moi, affiche l’air le plus innocent que je puisse et m’avance vers lui pour lui planter un baiser sur la joue. 

-Je te trouve particulièrement beau, aujourd’hui, voilà pourquoi je ne peux cesser de te regarder. 

J’ai envie de vomir à ces mots, mais je dois me contraindre à les dires. La seule manière de gagner du temps, c’est de caresser sa vanité. Il esquisse une grimace satisfaite et m’ébouriffe les cheveux, puis, il glisse sa main vers ma poitrine. Mon cœur s’affole de nouveau.

-Viens par ici, marmonne-t-il.

Il me tire par la taille, me plaque contre lui, hume mon parfum et je vois une lueur briller dans ses yeux. 

-Nous avons peut-être, encore, quelques minutes, grogne-t-il. 

Il dirige ses longs doigts plus bas et je retiens ma respiration. 

-Tu as envie, n’est-ce pas Lys ? Je sens ton émois, contre ma poitrine. Tu es chaude. 

Il tire mes cheveux vers l’arrière et m’embrasse dans le cou. 

-N’est-ce pas pour ça que tu m’as dit oui ? Dit-il de sa voix devenue rauque. N’est-ce pas pour ça que tu as rejeté le ciel, pour connaître ça avec moi ? 

Il enfonce ses doigts en moi et je retiens un gémissement. Je dois jouer le jeu, je dois être la même, sinon, il saura que j’ai découvert son secret, son terrible secret. Je me mords la lèvre inférieure et se méprenant sur les réelles causes de mon agitation, il s’embrase et me plaque violemment contre le mur. Ma tête rebondit et je vois l’iris de ses prunelles devenir de plus en plus noir. Une sourde terreur s’empare de moi. Il approche son visage de moi et m’embrasse violemment, forçant sa langue dans ma bouche. Je ferme les yeux et tout ce que je vois, c’est les centaines de photos de jeunes adolescentes, mortes. Des enfants, encore, belles, innocentes, mais plus aucune étincelle dans leurs regards figés. Toutes pareilles physiquement, toutes me ressemblant.

J’ai renoncé à mon immortalité pour un meurtrier. 

Mais où est-donc Dieu ? 

Je m’aperçois, tout à coup, qu’on ne me touche plus. J’ouvre les yeux et je le vois, m’observant avec ce qui ressemble à de la tristesse au fond de ses yeux pailletés d’or. Je déglutis. 

-Tu sais donc, lâche-t-il d’une voix égale. 
-Oui… 
-Depuis combien de temps ? 
-Depuis trop longtemps. 

Il secoue la tête, semble désolé. 

-Tu étais différente. 

-Parce que j’ai vingt-et-un an ? 

Il s’éloigne de moi, presse ses mains sur ses tempes, devient rouge. C’est ma seule chance de m’enfuir. Il ne me laissera pas en vie, maintenant qu’il sait que je connais la vérité, que je sais ce qu’il fait. 

-Ce que j’ai fait, rectifia-t-il. 

Il peut lire dans mes pensées, pensais-je affolée. 

-Je l’ai toujours pu, mais je ne l’ai jamais fait, je croyais que je pouvais te faire confiance, je croyais que tu étais… 

Il se tourne vers moi, son visage crispé par la douleur. 

-Amoureuse ? Je complète pour lui. 
-Oui. 

Quelque chose semble le blesser et il se reprend la tête entre ses mains. 

-Fait les taire, je ne cesse de les entendre, dans ma tête, elles hurlent. C’est toi qui fais ça ? Tu as encore tes dons ? 

Il tombe à genou, le regard fou. Je dois partir, pendant qu’il en est encore temps, pendant qu’il est distrait. Je cours vers la porte et l’ouvre à la volée, le cœur comme un marteau-piqueur, les mains moites et la respiration courte. Devant, une route de campagne, derrière, un champ.

Piégée. 

Il me reste encore mes ailes, mais fonctionneront-elles ? Je ne les ai pas appelées depuis fort longtemps, depuis trois ans. Je ne me retourne pas, je ne veux pas savoir s’il est derrière moi. Je cours vers le champ et murmure les paroles d’une ancienne prière avec ferveur. Mon cœur est à Dieu et je sens une chaleur diffuse dans mon dos. Elles sont là, elles sont venues à moi. Un soulagement intense se déverse dans tout mon corps et je tape du pied sur le sol pour me donner un élan, mais au même moment, je sens quelque chose de métallique me transpercer l’épaule. La douleur qui éclot en moi, telle une fleur au printemps, me tétanise et m’empêche de concentrer mon esprit pour voler. Je me retourne au moment où d’un geste violent, il me frappe de la crosse de son arme. Une entaille s’ouvre sur ma tempe et du sang suinte lentement le long de ma joue. Je perds l’équilibre et ma vision se brouille.

«Notre Père qui est aux cieux…» 

-Tu crois encore en ses sottises ? Ricane-t-il et il me donne un coup de pied dans les côtes. La violence du coup me laisse sans souffle. 

-S’Il existait réellement, n’essayerait-Il pas de te sauver ? De les sauver toutes ? 

«Que ton nom soit sanctifié…» 

-Tu peux toujours réciter ta prière dans ta tête, Il n’entend rien et Il ne t’aidera pas. 

Il s’accroupit en face de moi et me relève d’une main. Comment n’avait pas remarqué ce qu’il était, quand j’ai commencé à le fréquenter, quand j’avais encore mes dons. C’était pourtant si évident, à présent qu’il était trop tard.

«Que ton règne vienne…» 

Il me gifla rageusement. 

-Tais-toi. J’en ai assez de t’entendre prier. Cela n’aura aucun effet. Tu es mortel, tu n’es plus son enfants chéris, tu n’es qu’une pauvre humaine, certes très belle, mais surtout, très imprudente. Tu aurais dû te méfier, à présent, même si cela me brise le cœur, je dois te laisser aller. 

À ces mots, il me relâche. 

«Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd’hui, notre pain de ce jour…» 

Je ne réfléchis plus, n’essaye pas de savoir si c’est une autre ruse et je m’élance vers l’avant, le corps meurtri, mais le cœur gonflé d’espoir et d’amour pour ce Dieu qui me répond enfin. Le soleil se met à briller très fort et je vois dans les rayons dorés, la promesse de ma réédition. Mes ailes se déploient à nouveau et je fais le vide dans ma tête.

«Pardonne-nous nos offenses…» 

Je sens enfin l’air frais de ce début de juin, voguer entre mes ailes et me transporter, l’espace d’une seconde éphémère qui me semble éternelle, puis, un bruit d’explosion vient rompre ce moment magique. 

-J’ai dit que j’allais te laisser aller, pas que j’allais te laisser vivre, hurle d’en bas, cet homme que je ne reconnais plus mais pour qui, pourtant, j’ai donné mon immortalité. 

La balle me percute de pleins fouets dans le dos et dans sa course folle pour se rendre à mon cœur, broie mes os, mes ligaments et les vaisseaux sanguins jusqu’à se ficher dans sa cible. La douleur est si soudaine, si brutale que je hoquette de surprise. Un second coup de feu brise la tranquillité et la balle, cette fois-ci, déchiquette mes ailes. Un cri d’animal s’échappe du tréfonds de ma gorge.

Mais où est Dieu ? 

Je me sens tomber en spirale, comme dans un trou, des plumes blanches virevoltant autour de moi. Les nuages se fendent d’un rayon et dans mon délire, j’ai l’impression de voir une main se tendre. Je souris, heureuse. 

Mais je n’ai plus la force de lever la mienne. 

«Comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. Et ne nous soumets pas à la tentation, mais délivre-nous du Mal… 
*** 

Il la regarda tomber comme une flèche et s’écraser au sol comme une poupée de chiffon. Son bel oiseau était mort et il essuya, d’un geste rageur, une larme qui s’était égarée sur sa joue. Il s’avança doucement vers elle et s’agenouilla à ses côtés. Elle avait un regard rempli de la lumière Divine. Il se sentit soulagé pour elle. Dieu, l’avait récupéré. Il n’avait pas su l’aimer. Il avait cru qu’elle serait différente, qu’elle le guérirait de sa noirceur, mais il n’en avait rien été. Il était déchu et le resterait, sans espoir de rédemption. C’était le destin qu’il avait choisi, lui fils indigne des Cieux. Il s’inclina et déposa un doux baiser sur son front et murmura doucement : 


«Amen.» 



FIN.

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